Chapitre 1 : Dios Mio
"La vie ça craint."
Après avoir plié le papier en quatre, je le glisse dans le casier de mon bureau, caché parmi les chewings-gums et les toiles d'araignées. Personne n'aura l'idée d'aller mettre sa main à l'intérieur pour y chercher ce papier. Mais peu importe, je n'attends rien.
- Andrea García, pouvez-vous répéter ce que je viens de dire?
Je lève les yeux vers le ciel avant de fixer mon professeur d'espagnol. Il croise ses bras et fronce les sourcils. Son pied cogne le sol à un rythme régulier. Il me tape sur le système. Ses cours ne me servent absolument à rien. Je suis espagnole. Je pourrais lui apprendre plus de choses qu'il m'en apprend.
- ¿ No señior, puede usted repetir ? (Non monsieur, pouvez-vous répéter ?)
Je le fixe, un sourire discret aux coins des lèvres mais insuffisant au vu de son changement de couleur. Son visage d'un blanc aussi clair que du lait vire au rouge du drapeau espagnol. Il part toujours en vrille rapidement et surtout pour rien. ¡ Dios Mio ! (Mon Dieu !)
- Tu vas me faire le plaisir de te mettre à écouter mes cours, sinon tu dégages! ¿ Comprendes ?
- Claro señior... (Bien sûr monsieur...)
Il me jette un dernier coup d'oeil avant de soupirer et d'abandonner cette bataille. J'ai toujours su qu'il me voyait comme une cause perdue. Peu importe, je ne vais pas mourir !
Au fond de la classe, je peux observer tout le monde. Quelques terminales de ma classe parlent au milieu, se lançent des bouts de gomme. Seuls les trois élèves de devant écoutent, buvant chacune des paroles du professeur. Pourquoi les gens sont autant immatures? Ils ont, pour la plupart, dix-huit ans et le bac arrive à grands pas. Je sais que je n'en fais pas parti. De ces personnes "je-m'en-foutiste". Je bosse, je fais ce qu'on me demande. Je bloque juste au niveau des cours d'espagnol. En même temps, pas facile de se retenir de rire quand le professeur sort des conneries à longueur de temps.
J'attends donc avec impatience que cette heure s'écoule, comme à chaque fois. Parce qu'après, ma journée se termine et je suis en week-end. J'ai pris l'option espagnol approfondi pour me faire gagner quelques points et je me retrouve avec quatre heures d'espagnol par semaine. En plus du vendredi à 16h, je retrouve cette classe le lundi à 13h, le mercredi à 8h30 et le jeudi à 10h. Quatre heures avec ce prof. ¡ Dios Mio ! Je ne sais pas si je vais suppporter ça toute l'année.
J'entends la sonnerie retentir. Je plie bagage avant de me ruer hors de cette salle. Plus vite je mettrai d'espace entre ce lycée et moi, mieux ce sera. Je fonce tête baissée jusqu'à mon casier pour récupérer mon skate et quelques livres. Puis je sors sur le parking pour fumer une cigarette.
Mon frère ne vient pas me récupérer aujourd'hui. Il parait qu'il a mieux à faire. Sûrement encore une de ses nombreuses magouilles. Depuis trois ans, ce n'est plus le même. Il passe ses journées à traîner dans les rues sombres de Manhattan. Je ne suis pas aveugle, je sais ce qu'il fait. Je n'arrive pas à le juger parce que je l'ai vu lutter contre les démons, nos démons. Nous les avons surmontés chacun à notre manière. Moi dans les bouquins et les cours. Lui dans ses magouilles à deux francs.
Je tire une taffe et expulse la fumée dans les airs. Je suis censée rejoindre Maxence, mon meilleur ami, au skatepark à 17h15. J'ai peut-être le temps de me fumer une deuxième cigarette. Je regarde l'heure sur mon téléphone. Il est dix. Sachant qu'il faut dix minutes pour arriver là-bas, je suis déjà en retard. Et Maxence déteste par-dessus tout le retard. J'écrase ma cigarette d'un coup de semelle et m'élance sur mon skate après avoir resserré les sangles de mon sac. J'ajuste le casque sur ma tête et lance un bon vieux son de Green Day, comme je les aime. Les premières notes de "Wake Me Up When September Ends" résonnent dans mes oreilles.
Je me dirige vers la sortie du parking rapidement en sautant par dessus une plaque d'égoût. Lorsque je me réceptionne, je sens mon skate trembler légèrement. Je n'y prête pas attention. Il a toujours l'habitude d'être capricieux. Je continue ma route jusqu'au grand portail de l'établissement lorsque mes pieds glissent de la planche. Je saute au même moment pour essayer de réparer mon erreur. Trop tard, je ne contrôle plus mes jambes qui partent dans tous les sens. Je vois ma planche partir à vive allure sur la route. Malgré la musique dans le casque, j'entends le bruit léger d'un klaxon. J'ai à peine le temps de tourner la tête à gauche que je m'étale de tout mon long sur le capot d'une voiture rouge foncé. Je me relève lentement et enlève mon casque. Ma cheville me fait un peu mal mais tout semble bon, je n'ai rien de cassé. Heureusement que la voiture roulait au pas ! Je me penche pour ramasser mon skate lorsqu'un pied s'abat dessus.
- Oh t'écoutes quand je te parle putain ?
Je me redresse, laissant mon bien là où il est, et fixe mon interlocuteur. C'est un homme plutôt grand, au corps élancé. Sa peau bronzée est recouverte d'un tatouage sur chaque bras. Sur son avant bras droit est tatoué une horloge sans heure représentée. Sur son bicep gauche, deux bandes noires épaisses. J'enregistre dans ma tête ces deux tatouages dont la signification m'échappe.
Je lève les yeux vers son visage. Sa mâchoire est légèrement de travers, ce qui lui donne un certain charme. Son nez porte un petit anneau d'argent sur la narine gauche tout comme ses deux oreilles. Ses yeux bruns clairs me lancent des éclairs, attendant une réponse. Au coin de son oeil droit, se dessine un grain de beauté et en dessous de son oeil gauche, je décèle une fine cicatrice.
- Bon tu me réponds là, au lieu de me mater ?
Je sens mes joues chauffer. Je ne suis pas en train de le mater ! Enfin, peut-être un peu. On ne peut pas se gâcher une aussi belle vue quand même !
- Bon excuse-moi, maintenant rends-moi mon skate. Je suis attendue !
- Madame est attendue ? Et où ça ?
- Je suis pas sûre que ça te concerne, je réponds en essayant de garder mon calme.
- Tu m'as coupé la route avec ton putain de skate. Je mérite de savoir si !
On se fixe en chien de faïence. Qui de nous deux craquera en premier ? Sûrement pas moi !
Je m'approche de lui pour pousser son pied et ramasser mon bien mais il me retient par le bras et me redresse.
- C'est quoi ton prénom ? demande-t-il d'une voix plus douce qu'auparavant.
Quel revirement de bord. Je le regarde en haussant un sourcil. Je ne comprends pas trop pourquoi il me demande ça. Il y a deux secondes, il m'agressait ! Remarque, c'est typique des gars d'ici. Forcer la victime à dire son prénom pour mieux se venger après.
- Pourquoi je te le dirais ?
- Allez quoi ! Tu me dis ton prénom, je te rends ton skate et on oublie !
Au pire, je ne suis pas forcée de lui dire la vérité. Faut que je trouve un prénom et vite !
Je négocie pour qu'il me rende mon skate avant. Après quelques secondes, il passe une main dans ses cheveux bruns foncés, en signe de résignation. Mes yeux se font plus grands, mais je m'empêche de sourire. Je ne voudrais pas perdre une bataille que je viens à peine de gagner.
Je ramasse donc enfin mon skate et le cale sous mon bras. Il plonge ses mains dans ses poches de sa veste en cuir et attend avec impatience ma réponse.
- West, lâché-je avant de reculer et de lui tourner le dos.
- Quoi West ? crie-t-il.
- T'es con ou tu le fais exprès ? Réfléchis !
Un sourire satisfait illumine mon visage. J'ai toujours eu une certaine arrogance. Provoquer les gens est un de mes passe-temps préférés depuis trois ans. Peut-être est-ce juste une carapace que je me suis construite pour éviter que les gens posent trop de question. Peu importe, ce n'est pas aujourd'hui que je changerai.
Je file à toute vitesse sans regarder mon téléphone. A quoi bon ? Je sais déjà que je suis en retard !
KL.Phoenix
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