Chapitre 9 : Mon prénom c'est Andrea
Le loft est plongé dans le noir mais je vois deux silhouettes se dessiner à la lumière des lampadaires. Ils sont tous deux appuyés contre la fenêtre donnant sur la rue. Je les entends chuchoter mais ma tête me fait trop mal pour que je puisse réfléchir à ce qu'ils peuvent bien se dire.
Même si le lit de Ryan est plus que confortable, mon corps entier me fait souffrir. Chaque parcelle de peau me tire, me pique. J'ai l'impression que ma tête enfle et que mes yeux sortent de leur orbite.
Alors je les ferme et je sombre dans un nuage blanc.
Une odeur de café et de pancakes chatouille mes narines. Mes paupières se soulèvent lentement, papillonnent quelques secondes avant de rester ouvertes.
Je me redresse mais un marteau piqueur cogne dans ma tête. Mes mains enserrent mes tempes fermement, essayant de contenir au maximum la douleur. Mais, rien n'y fait, elle est plus forte que moi.
- Tu devrais prendre l'aspirine posée sur la table, me conseille Ryan.
Je tourne la tête dans sa direction. Son débardeur et sa chemise ont disparu laissant place à un torse musclé. Je hoche la tête machinalement, attrape l'aspirine et l'avale en buvant une gorgé du verre d'eau posé à côté.
Puis, je m'enroule dans le drap et me déplace lourdement jusqu'au bar. Le tissu blanc me recouvre presque entièrement, laissant juste mes pieds dépasser un peu. Ma cheville se rappelle à moi mais j'ignore la douleur.
Lorsque j'arrive sur la cuisine ouverte, délimitée par le bar, je m'assois sur le premier tabouret que je vois. Je dois m'y reprendre à deux fois pour grimper cette montagne. Le drap glisse de mon corps, je le rattrape avant qu'il ne finisse sa course par terre et le rabats sur mes épaules.
Une assiette et une tasse de café fumante arrivent comme par magie devant mes yeux. L'assiette déborde de pancakes couverts de sirop d'érable, de fraises et de morceaux de chocolat noir.
- Pour la plus belle des filles de cet appart, chantonne la voix de Matthieu.
Je lève les yeux vers lui, voulant lui faire remarquer que je suis la seule fille ici présente, mais les mots ne sortent pas. Pour cause, le nouveau a revêtu un tablier de cuisine noir avec l'inscription suivante dessus:
"Si tu veux frôler la perfection, passe devant moi."
Je reste bouche bée. Faut-il rire ? Oui. En suis-je capable ? Non. Je ne sais pas si je le trouve ridicule ou beau avec ce tablier.
Matthieu me sourit en baissant les yeux sur sa tenue.
- T'aimes pas ?
- C'est...
- Matt, je t'avais dit que tu n'allais pas l'épater avec ça. Il ne te va pas aussi bien qu'à moi !
Ryan arrive en posant ses mains froides sur mes épaules. Alors ce tablier lui appartient. Pas étonnant lorsqu'on sait que nous sommes dans son loft.
Je penche ma tête en arrière pour apercevoir les yeux rieurs de mon hôte. Il rigole avant de m'ébouriffer les cheveux. Je grommelle en essayant de me recoiffer.
- Allez mange, ça va refroidir, m'ordonne-t-il. Et puis, si tu ne le fais pas, tu vas faire de la peine au cuisto, ajoute-t-il tout bas. Il s'est tellement donné pour ça.
Il me donne une fourchette et s'en va je ne sais où dans son loft. Matthieu s'asseoit sur le plan de travail en bois foncé, une assiette à la main. Il se verse du sirop d'érable sur ses pancakes, ajoute de la chantilly puis en fourre la moitié dans sa bouche. Un filet de sirop coule sur son menton. Je lui fais signe en souriant.
- Apparemment, je ne sais toujours pas manger, rit-il en s'essuyant le menton. Je suis désolé d'être aussi crade.
- Au premier abord, j'aurais pensé que tu serais une personne distinguée. J'avoue être un peu déçue, raillé-je.
- Déçue, dis-tu ?
Il pointe sa fourchette dans ma direction sans pour autant ajouter autre chose. A-t-il perdu sa langue ? J'ai envie de rire mais je n'ai pas le temps. Il s'approche dangereusement de moi avant de me retrouver avec une trace de chantilly sur la joue.
- Tu...
Les mots se perdent dans ma gorge. Je suis trop abasourdie par son geste. Mes yeux s'écarquillent. Pendant un instant, cette soudaine légèreté me fait oublier la soirée d'hier et le mal de crâne que je me traine.
- Je voulais me rattraper, mais je ne savais pas comment. Alors, je me suis dit qu'on pouvait être égaux dans l'incapacité à savoir manger.
Je lui tape l'épaule doucement. Son rire grave et chaleureux m'entraîne dans une soudaine euphorie.
Des pas se font entendre derrière moi. Une langue s'abat sur ma joue, où la chantilly est toujours présente. Je m'écarte, l'air dégoûté. Ma main nettoie ma joue avec une serviette. J'observe le coupable.
- Mais... Tu...
- Déjà, nous allons t'apprendre à parler correctement, ensuite je suis outré de voir que vous vous amusez sans moi !
Ryan tire le tabouret à côté de moi et s'y assoit. Il attrape une fraise dans mon assiette et la glisse dans sa bouche. Je le regarde faire comme si son geste était magique. Ses lèvres s'étirent quand il comprend que je l'observe mais il ne fait aucune remarque.
- Matt, il paraît que tu écris, dit-il.
- Comment tu sais ça ?
- Je sais beaucoup de chose, s'exclame-t-il après avoir croqué dans un carré de chocolat, à nouveau piqué dans mon assiette.
Nous le regardons tous les deux, attendant qu'il continue. Il laisse durer le suspens trop longtemps. Je viens de finir mes pancakes et je n'ai rien d'autre à faire qu'attendre.
- Bon et bien, j'ai discuté avec un ami qui est le directeur du journal du lycée.
- Donc t'as des amis au lycée ? Je croyais qu'ils craignaient tous ? raillé-je.
- On vient du même collège, en fait. On sait juste perdus de vu quelques temps lorsque j'étais... ailleurs.
Je remarque son hésitation à la fin de sa phrase. Matthieu semble le remarquer aussi car il change de position. Mais aucun de nous ne relève et Ryan fait comme si tout allait bien.
- Je me suis demandais si ça t'intéresserait d'en faire parti ?
- Vraiment, mec ? C'est sérieux ?
- Je ne suis pas le genre de personne à dire des paroles en l'air.
Lorsqu'il prononce ces mots, une ombre passe devant ses yeux. Ryan, que caches-tu ?
Matthieu pose son assiette et se lève. Il tend ses bras vers Ryan.
- Bien sûr que j'accepte !
Ryan saute presque dans ses bras. La scène me fait rire. On dirait un vieux couple.
Je les observe un moment avant de filer en douce hors de la cuisine.
Je ne pensais pas me retrouver entourée de ces deux garçons un jour. Quelque chose de spécial nous lie j'ai l'impression. Quelque chose que je n'arrive pas à expliquer. Mais, tout cela rend les choses plus légères. Je les connais à peine. Je ne sais quasiment rien d'eux. Mais, j'ai l'impression que ça ne va pas tarder.
Je m'installe sur le canapé, allonge mes jambes sur la table basse et allume la télévision.
Je suis rapidement rejoint par Ryan. Il passe un bras autour de mes épaules et fixe l'écran.
- Où est Matt ?
- A la douche, pourquoi ? Tu veux le rejoindre ?
Mes joues s'empourprent. Mes yeux n'osent pas le fixer tellement je suis gênée par ses mots. Je baisse la tête. Mes ongles me paraissent tout à coup beaucoup plus intéressant. Ryan me donne un petit coup d'épaule et rigole.
- Ne t'inquiète pas, ça reste entre nous, répond-il en un clin d'oeil.
J'ose à peine lui jetter un regard, préférant fixer les images qui défilent sur l'écran.
Bien sûr que non je ne veux pas le rejoindre ! D'accord il est plutôt pas mal. Il est gentil et gentleman. Et il me fait rire aussi. Mais Dios mio, je ne veux pas le rejoindre !
Je me cale dans les bras de Ryan, contre son torse chaud. Je sens son souffle régulier dans mes cheveux.
Quelques mintues passent lorsqu'il brise le silence. J'aurais préféré rester encore quelques heures comme ça. Dans le calme, la sérénité et la sécurité. Mais je sais pourquoi il l'a brisé.
- Sinon, West... On peut parler d'hier ?
Il n'a pas dit "Andy" ni "Andrea". Il m'a appelé "West". A-t-il réellement entendu mon vrai prénom ? A-t-il oublié ? Arrête de te poser ces questions débiles ! Bien sûr qu'il l'a entendu. Il t'a regardée, rappelle-toi.
- Je... Je ne sais pas si...
- Je ne te forcerai pas, mais si tu dois rester quelques jours ici, j'aimerais savoir quelques trucs.
- Pourquoi je resterai ici ?
- Nous savons pourquoi tous les deux...
Je sais pourquoi il dit ça. Je ne vais pas avoir la force de retourner chez moi parce que je sais comment Lucas va me regarder. Je sais aussi que Sarah aura insisté pour garder un oeil sur lui et par conséquent, elle dormira chez nous. Je ne peux pas franchir une nouvelle fois cette porte, sachant déjà qu'il n'est plu là et que eux, me regarderont blessés et avec colère. Mais, comment Ryan arrive-t-il à savoir tout ça ? Est-il ce genre de personne à avoir des dons de voyance ou alors sait-il plus de choses qu'il ne veut me le faire croire ?
- Fais-moi une liste et je passerai chez toi, propose-t-il.
- Tu as déjà fait beaucoup, Ryan...
- West, tu iras où ?
- Mon prénom c'est Andrea.
- Ça ne répond pas à ma question.
- Ce n'est pas ton problème.
- Maintenant que je t'ai défendu, que je t'ai laissé mon lit pour dormir et que j'ai nourri, ça l'est. Et j'ai besoin de réponses, West.
L'entendre m'appeler ainsi après mes contestations me fait un drôle d'effet. J'aime quand il m'appelle ainsi. Il est le seul et j'ai l'impression que ça me rend unique.
Ryan prend mon menton entre ses doigts et tourne ma tête vers lui. Ses yeux marrons me fixent intensément.
- Si tu me dis ce que signifie tes tatouages, alors je te répondrais peut-être ?
- Peut-être ?
Je sais qu'il ne lâchera pas sous le chantage ni sous les pseudo-vérités. Alors après l'avoir fixé une seconde trop longue, je lâche enfin ce qu'il veut, dans un souffle.
- Depuis la mort de nos parents, on vit comme on peut. Nous avons tous fait des erreurs mais... Ander n'a pas arrêté. Je crois même que ça empire. Hier en rentrant, il avait laissé deux messages. Le premier disait qu'il avait trouvé une affaire en or qui allait nous permettre de reprendre à zéro. Le second, je l'entendais me crier qu'il devait disparaître. Ryan, il nous a abandonné parce qu'il a toujours trop voulu et...
- Tu ne peux pas le juger sur ça, me coupe-t-il sèchement. Tu ne sais pas ce que ça fait de... de faire ce qu'il fait, West.
- Et toi, tu crois que tu sais ce que ça fait peut-être ?
Il ne me répond pas, lâchant mon visage. Après quelques minutes passées à attendre une réponse, cette dernière vient. Mais, je ne m'attendais pas à ça.
- Ecoute, West. Je ne le défends pas, mais il est là, à sa façon. Et cela ne te convient peut-être pas, c'est normal, ce n'est pas commun. Certes, ce qu'il fait est mal, nous le savons tous les deux. Et tu as beau te dire qu'il fait tout ça pour oublier ce tragique accident, mais il y a peut-être une autre histoire en dessous que tu ignores... Alors, il y a toujours des hauts et des bas dans la vie. Mais, s'il fallait réellement retenir une chose, West... Tu ne crois pas que se serait les hauts ?
KL.Phoenix
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