La suite de la croisière l’emmena vers les iles éoliennes où une randonnée sur le Stromboli était organisée. Vierge de toutes excursions extravagantes, Bertrand s’attendait à une balade quelconque. Une simple promenade en montagne. Grimper cette masse sombre sous le soleil couchant se révéla vite beaucoup moins anodin que ce qu’il imaginait.

La montée lui en mit plein les guiboles et la vue plein les mirettes. Tout là-haut au bord du cratère, la vie semblait s’être arrêtée dans ce décor aride et impassible quoique fumant par-ci par-là. Il n’avait jamais rien admiré d’aussi impressionnant. La tombée de la nuit rajoutait en plus une ambiance idyllique à la situation. Il se sentait revivre de la façon la plus brute possible.

Le pique-nique se déroulait sous les meilleurs auspices quand soudain un grondement rauque provenant des entrailles de la Terre sema la pagaille au milieu des victuailles. Les verres d’eau s’échouèrent sur la nappe culbutant tour à tour chips et tomates, détrempant dans le tourbillon pain et fromage. Quelques secondes plus tard, encore plus tonitruant, un deuxième râle souterrain fit tressaillir le groupe. Le guide affolé pressa les touristes de s’éloigner du cratère de toute urgence et leur ordonna d’allumer leur lampe frontale. Dans la panique tout le monde s’éparpilla à droite à gauche, à l’abri derrière un rocher, affalé sur le sol quelque part ou dévalant la pente du retour sur les fesses. Bertrand, avec sa grâce naturelle, se prit les pieds dans les bretelles d’un sac à dos, s’étala à de tout son long dans la caillasse et la poussière, la tête la première. À peine émergeait-il de son hébétude, le visage camouflé de cendres, qu’un jet de lave giclait déjà hors du cratère. Il entendit le guide crier “Bertri” pour qu’il revienne, mais… sa position tant au physique qu’au figuré, relevait du vulnérable. Impossible de se redresser, car tétanisé par la force incoercible du monstre tout juste sorti de son sommeil. Des cascades de lave incandescente incendiaient désormais le ciel obscurcissant. Le spectacle, grandiose devint vite dantesque quand les expectorations de l’Etna s’intensifièrent autour de Bertrand. Le regard vissé vers ce qui lui arrivait droit dessus, le cœur a mille battements la minute, il s’écouta jurer comme un charretier. La soupape de sécurité venait de sauter. L’imminence d’un danger en forme de déjection de magma lui fit prendre les jambes à son cou juste avant que le sol, où il s’était échoué, ne soit éclaboussé de lave bouillonnante. Et dire que brûlé au quatrième degré aurait pu être une possibilité, une voie de sortie. La vie ne tenait décidément qu’à un fil.

Au final, plus de peur que de mal. Néanmoins cette expérience lui avait retourné les tripes puisqu’il avait bien failli y passer. Et rejoindre sa mère de si tôt n’était pas particulièrement ce dont il rêvait.

De retour sur le bateau, il entreprit d’y rester et de ne plus tenter le diable à l’extérieur jusqu’à la fin du séjour. Son souhait consistait désormais à essayer toutes les attractions possibles et inimaginables à bord du MSC Preziosa. Ainsi, il s’adonna aux toboggans aquatiques, aux bains à remous, aux machines à sous du Milenium Star casino et enfin aux jeux de simulation de l’Espace Monde virtuel. Glisser pour mieux ressentir ? Buller pour mieux endurer ? Bluffer pour mieux vivre ? Simuler pour mieux profiter ? Non, juste paraphraser pour mieux s’amuser. Puis, transformer sa réalité en jeu. Façonner sa banalité en divertissement. Être soi et lâcher prise. Se trouver intrinsèquement et délaisser le butin. Exister simplement. Régner tout bonnement. S’aimer inconditionnellement. S’affectionner aveuglément. Tels étaient ses préceptes dorénavant. De quoi présager à notre héros une deuxième partie de vie remarquable.