Yoshito émergea du sommeil comme d'un coma, les sens brouillés, la vue constellée de points lumineux. Il émit un son étranglé et remua,tentant de se relever. Il était dans le noir. Une panique sourde monta au fond de lui et sa respiration s'accéléra, de plus en plus vite, jusqu'à ce qu'il sente une main toucher sa joue.

Il saisit cette main et la projeta le plus loin qu'il le pouvait avec ses maigres forces, puis tenta de ramper dans une direction au hasard afin de prendre ses distances de cette personne qui envahissait son espace intime. À peine se fut-il éloigné de quelques centimètres qu'il se sentit basculer et heurta le sol, une douleur cuisante sera vivant dans tout son organisme.

-Ben voyons. Je prends la peine de te coucher sur un matelas, et toi tu en descends...

Yoshito entendit un soupir près de lui, tellement proche qu'un souffle d'air chaud effleura son cou. Il ferma ses yeux aveuglés et plaça ses bras devant lui pour se protéger de cette menace inconnue. Mais cela semblait inutile. L'envahisseur était tout près de lui et le frôlait presque.

«-Tu devrais te calmer, » dit d'une voix plus douce cette personne inconnue. «-Tu es ici dans une sécurité relative. Relative à la période de temps que je déciderai de te garder, bien sûr. Inconnu intransigeant (Aide + Abri) = Hôte(Inconfort). Mais je suis patiente, donc c'est bon.»

Yoshito était très loin de se sentir rassuré par ces paroles, mais le ton était apaisant et il cessa d'hyper-ventiler. La personne qui se tenait près de lui parlait comme dans l'un de ses souvenirs... Il n'y avait pas si longtemps... Les images et les mots se bousculaient dans sa tête en un fouillis inextricable. Il n'aurait pu expliquer où il se trouvait, depuis quand, avec qui...

-Vu tes réactions, tu dois probablement être un peu embrouillé. C'est la drogue qui cause cela.

Le mot «drogue» alluma une alarme dans son esprit et il se redressa,avec succès cette fois.

«-Qu'est-ce que tu m'as fait?» demanda-t-il, sur la défensive.

«-Moi? Rien. C'est cette intéressante femme, Amaterasu Kimura, qui amis tout le jeu en place. Honnêtement, c'est tellement compliqué que je n'arrive pas encore à savoir qui elle est, pour quelle organisation elle travaille et quel est son lien avec ta sœur, mais j'ai bon espoir d'arriver bientôt à une réponse concrète... »

Yoshito sursauta quand l'image de sa sœur traversa son esprit l'espace d'un éclair. Puis tout lui revint : le quartier sombre et démoniaque, Kyomu, sa fuite dans les ruelles, son réveil à l'hôpital, son angoisse, sa dérape vers la folie, et Lucian...

Oui, Lucian. Son ami.

Il cligna des yeux dans le noir. Sa vision s'éclaircit et il distingua deux yeux d'un bleu électrique, interrogateurs et enfantins, et des lumières dans la pièce qui éclairaient des cheveux roses comme un néon. Puis son regard se noya à nouveau et quelques larmes coulèrent sur ses joues. Il ne les essuya pas. Une fois qu'elles furent disparues dans le col de son veston, ne laissant que des traînées luisantes, son visage se durcit.

Yoshito se leva d'un bond, l'esprit éclairé par trois résolutions bien nettes : partir, venger son ami et retrouver sa sœur.

Cependant,il avait surestimé ses forces et chancela. Sa joue manqua d'heurter le sol mais Arya glissa sa main dessous juste à temps, l'air exaspérée. Elle le repoussa négligemment sur le lit avec une force peu commune, sans se soucier de son mouvement réprobateur.

-Je veux partir d'ici.

-Commence par savoir où tu te trouves avant de vouloir quitter... Ce serait plus logique, non?

Il cilla en entendant ce mot qu'il détestait tant depuis peu, mais il était vrai que reconnaître les lieux en premier était une bonne idée. Il prit donc le temps de stabiliser sa vision sur les éléments qui l'entouraient et ses yeux pourtant aguerris de choses invraisemblables s'écarquillèrent.

Ils se trouvaient dans une petite pièce de béton, aux murs rapprochés mais au plafond haut. Des lampes brisés se balançaient au plafond dans le courant d'air émanant d'une grille d'aération. Le lit sur lequel il reposait n'était en fait qu'un matelas déchiré, recouvert d'une couverture à fleurs, et partout sur les murs, en guise de tapisserie, des feuilles arrachées à des cahiers d'algèbre avaient été collées. D'autres feuilles étaient flottantes; il mit longtemps à comprendre comment et observa d'un regard perturbé ces pages tenir toutes seules dans les airs, puis aperçu un petit ventilateur d'où les feuilles étaient rattachées avec des cordes.

Dans le coin le plus sombre de la pièce se trouvait un assemblage gigantesque et monstrueux d'ordinateurs, de consoles de jeu, de téléphones tenus ensemble bout à bout et émettant des signaux lumineux aussi sinistres qu'incompréhensible. Et au milieu de cet étrange univers se trouvait sa créatrice, accroupie, l'air curieuse et enfantine, la tête penchée de côté et ses grands yeux bleus ouverts sur un monde invisible.

Elle sembla revenir à la réalité quand Yoshito s'assied sur le matelas, ramenant ses jambes contre son torse et laissant tomber sa tête entre ses mains. «-Je me demande parfois, » murmura-t-il comme pour lui-même, «-si tout ce que je suis en train de vivre n'est qu'un scénario de roman, qui s'achèvera inévitablement et restera emmuré dans des caractères noirs et blancs...»

«-Ou dans des séries de calculs!» supposa Arya, l'air très enthousiasme. «-Après tout, ce monde n'est qu'algèbre et logique. Même les sentiments sont calculables. Il suffit juste de trouver les inconnues-»

-ÇA SUFFIT!

Le cri jaillit de la gorge de Yoshito avant qu'il ne puisse le réprimer. Il plaqua sa main contre sa bouche, horrifié par son éclat tout à fait inconvenant. Perdre sa maîtrise de soi était une preuve de faiblesse... Tant qu'il se contrôlerait, tout resterait logique.

«-NON!» hurla-t-il à nouveau. «Plus rien n'est logique, plus rien. Il n'y a plus que des questions noires dans ma tête... des soleils éteints... Arrête de me regarder!»

Arya sembla intriguée par sa crise et se rapprocha de lui, glissant sur le plancher de ciment dans un mouvement leste. Elle détourna le regard puisqu'il le voulait, se concentrant sur ses mains, blanches par le manque de soleil, fines et délicates, crispées sur les draps. Des mains de capitaliste. Souriant effrontément, elle les saisit entres les siennes. Les doigts de Yoshito se nouèrent aux siens dans une convulsion désespérée.

Lentement, elle releva la tête vers lui, de manière mécanique, ses cheveux roses cachant quelques éclats azurs de ses prunelles. Malgré tout l'homme se détourna en se mordant les lèvres.

«-Arrête... » dit-il de nouveau. «-Il y a trop de galaxies dans tes yeux. Trop de ce... mystère effrayant...»

Arya lâcha ses mains et toucha ses paupières avec étonnement, puis finit par admettre le fait que les nombreux brillants de son fard ressemblaient probablement à des constellations.

«-Tu sais, les mystères ne sont pas effrayants, » déclara-t-elle songeusement. «-Ils sont l'essence même de la vie. Ma raison d'exister est de les résoudre. »

Il serra les dents avec amertume, affrontant finalement son regard étoilé, et rétorqua:

-Je déteste les mystères. Surtout ceux qui n'ont pas de sens, comme toi.

-Es-tu en train de dire que... je suis un mystère?

Il hocha la tête comme s'il s'agissant d'une évidence, notant avec incompréhension la joie profonde qui illuminait les yeux d'Arya. Elle garda le silence quelques instants, puis dit doucement, se rapprochant de lui jusqu'à ce qu'elle puisse sentir sa chaleur:

-Ça, Monsieur le Capitaliste, c'est le plus beau compliment qu'on ne m'ait jamais fait.

Légèrement mal à l'aise, Yoshito tenta de reculer, mais son dos se heurta au mur. L'angoisse d'être pris lui remonta à la gorge, puis repartie aussitôt qu'elle était venue. Arya élucubra d'une voix posée:

-C'est à cause de Naoko que tu n'aimes pas les mystères. C'est à cause de Naoko que tu ne m'aimes pas... 

-Heu...

-Si je retrouve Naoko, m'aimeras-tu?

Yoshito dévisagea Arya, totalement mystifié. Il n'arrivait pas à percevoir clairement ses intentions. Il se hasarda à demander, hésitant:

-Pourquoi... pourquoi voudrais-tu que je t'aime?

-Parce que ce serait un nouveau mystère à résoudre! En effet, comment pourrais-tu m'aimer? C'est scientifiquement, algébriquement et mathématiquement impossible! L'amour est un mot lié avec compréhension. Ce qu'on ne connait pas, qu'on ne saisit pas, on le fuit comme la peste.

Les yeux d'Arya prirent une nuance plus sombre. Elle fit une moue contrariée, et frappa le sol avec colère.

«-C'est un sentiment agréable d'être avec quelqu'un, et impossible à soustraire. Si tu me fuis, je pourrais peut-être te déprogrammer... faire de toi ma petite poupée,» clama-t-elle, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, sans rien voir de l'air horrifié que prenait le visage de Yoshito. «-Je te garderais avec moi pour dormir. Il parait qu'on se sent moins seule quand on dort dans les bras de quelqu'un.»

Yoshito repoussa vivement les draps, sa poitrine se soulevant et se rabaissant à un rythme effréné. C'était la première fois que cette fille lui paraissait aussi flippante. Même son détachement face à la mort était moindre par rapport à ce discours...

Arya le regarda s'agiter, confuse, et la lueur sombre dans ses yeux s'éteignit.

«-Oh, je suis désolée! » s'exclama-t-elle. «-J'oublie parfois que tu as peur facilement. Je vais arrêter de dire mes idées à voix haute. Ce n'est pas que je veux vraiment le faire, tu sais; et puis, si je te déprogramme, tu ne seras plus aussi vivant que maintenant. C'est juste que je me sens vraiment seule. Je ne veux pas qu'on m'abandonne, tu comprends?

Il hocha la tête, un peu calmé, et lança sans réfléchir:

-Si tu veux dormir avec moi, tu peux juste le demander, pas besoin de...

Il s'interrompit avec mortification en réalisant ce qu'il était en train de dire, mais le visage d'Arya s'était déjà éclairé, et elle s'écria:

-OUI! Je veux! Par contre, tu devras rester une vraie poupée, d'accord? Ne pas bouger, ne pas me pousser hors du lit...

Yoshito acquiesça de nouveau, trop sonné pour manifester son désaccord. Il se recoucha sur le matelas et ferma les yeux, pendant que la voix d'Arya continuait de débiter:

-...Mais je ne peux pas dormir tout de suite, je dois trouver Naoko... ce sera ce soir... ce soir...