Partie 3

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HECTOR : Pensez-vous que la fin justifie les moyens ?

VERA : Ne le pensez-vous pas ?

HECTOR : Non Mademoiselle Véra. Beaucoup de gens le pensent, sans que ce ne soit très nuisible. Mais dès qu'on laisse cette croyance entre les mains d'un esprit qui se croit visionnaire, le danger est extrême.

VERA : Je sais que vous pensez que j'ai l'âme d'un dictateur. Je ne peux même pas vous contredire. Je crois juste qu'il y a pire sort pour l'humanité qu'une dictature de la Vérité. Je crois que son sort actuel est pire.

HECTOR : Vous croyez Véra ! Vous croyez ! Ce sont vos croyances, vos idées, vos opinions, vos théories, vos préférences. A vous. Le monde ne tourne pas autour de vous ! Vous n'aviez aucun droit de lâcher ces nanoparticules dans la nature et les laisser s'attaquer aux humains ! Si vous vouliez que ce soit universel et qu'elles soient imposées, il aurait fallu soumettre la décision à un référendum. Ce n'était pas à vous de prendre cette décision !

VERA : Je comprends bien votre argument Hector. Je sais que j'ai nié la liberté humaine ; mais c'était seulement pour lui permettre plus de liberté dans l'avenir. Vous savez tout comme moi quelle aurait été la décision à ce référendum. Et même si la majorité avait répondu "oui", l'autre partie de l'humanité se serait vue obligée à recevoir mon traitement sans avoir consenti. Croyez-vous vraiment que ça aurait été plus juste ? Pourquoi la dictature de la majorité serait-elle plus juste que ma dictature à moi ? Croyez-vous que le mérite et la raison soient toujours du côté de la majorité ? Ce que j'ai cherché à faire aurait été injuste oui. Mais toute solution aurait été injuste. Et ce monde est injuste lui aussi.

HECTOR : Je préfère subir l'injustice que de la créer.

VERA : Nous avons déjà établi que vous êtes un lâche Hector.

HECTOR : Je refuse de me salir les mains, oui. C'est ce qui fait de moi un être moral.

VERA : C'est ce qui fait de vous un lâche. Et ce n'est pas vos mains que vous refusez de salir, c'est votre réputation.

HECTOR : A quoi bon en débattre ? Vous pensez que la fin justifie les moyens, et moi pas. Vous vous attribuez des droits que vous n'avez pas. Vous pensez que la justice et la vérité sont de votre côté quand vous bafouez les libertés humaines les plus fondamentales. Vous n'avez aucune empathie pour autrui et êtes incapable de voir un autre point de vue que le vôtre.

VERA : C'est faux ! C'est vous qui êtes incapable de concevoir une autre réalité que celle dans laquelle vous êtes né ! Vous passez votre vie à traiter de malade tous ceux qui s'écartent de la norme et à tenter de les y ramener. Votre profession c'est de pousser des personnes à s'adapter à un monde que tout le monde sait pertinemment être injuste. C'est à cause des gens comme vous que le monde continue d'être ce qu'il est et ne pourra jamais changer.

HECTOR : Je ne suis pas le sujet de cet entretien Mademoiselle Véra. C'est vous.

VERA : Et quel est le verdict docteur ?

HECTOR : Vous êtes une gamine capricieuse pourrie gâtée qui veut faire de ses fantasmes une réalité et qui s'est malheureusement retrouvée avec en main les moyens de le faire. Vous avez une lubie pour la Vérité. Il n'y a pas d'autre moyen de l'appeler Mademoiselle Véra, si vous ne voulez pas du terme "obsession". Vous vous êtes accrochée à cette lubie quand il y aurait eu un millier d'autres causes à défendre, pour des raisons qui nous restent encore à déterminer. Vous aviez besoin d'un objectif à votre existence et vous en avez trouvé un. Vous vouliez faire la maligne, vous distinguer, vous faire remarquer. Vous auriez pu continuer votre travail habituel tranquillement et soigner des pathologies, sauver des vies, mais non ce n'était pas assez pour vous. Vous vouliez changer le monde et créer une réalité à l'image de vos préférences personnelles. Vous vous contrefichiez absolument de l'avis des autres et vous avez considéré qu'ils n'avaient pas leur mot à donner.

VERA : J'ai été faible. J'ai sacrifié la Vérité à la Vérité. J'aurais pu réussir ! J'aurais pu remplir ma mission. Mais j'ai succombé à ma lubie pour la vérité comme vous l'appelez. Peut-être qu'au fond j'avais peur de ma salir les mains. Non, je n'en avais pas peur. Mais, j'avais peur de me salir les lèvres.

HECTOR : A quoi faites-vous allusion ?

VERA : Savez-vous comment j'ai été arrêtée Hector ?

HECTOR : Non, je l'ignore.

VERA : Vous savez pourquoi ils ne vous ont pas révélé cette information ? Parce que ça empêcherait l'opinion publique de prendre au sérieux ma tentative de "crime". Si on le leur racontait, ils prendraient ça pour une histoire drôle. C'est juste trop ironique. La vie est trop ironique. J'ai encore été piégée dans l'un de ses paradoxes où la Vérité est son propre ennemi.

HECTOR : Que s'est-il passé ?

VERA : Un collègue est entré dans mon bureau et m'a demandé sur quoi je travaillais. Je lui ai répondu la vérité. Il m'a dénoncée aux autorités. C'est tout.

HECTOR : Vous auriez pu mentir.

VERA : J'aurais dû mentir.

HECTOR : Mais vous étiez trop attachée à la lubie de vous voir comme une personne sincère.

VERA : Vous considérez-vous comme une personne sincère Hector ?

HECTOR : Vous savez, Mademoiselle Véra, j'aime la vérité moi aussi. Mais savez-vous les dégâts que je ferais si je conseillais à mes patients d'être honnêtes ? Bien sûr je leur conseille de l'être en thérapie, parce que j'ai la capacité de les écouter et les accepter sans les juger. Mais s'ils étaient honnêtes dehors dans le monde, ils seraient détruits. Les gens jugent au lieu de chercher à comprendre Mademoiselle Véra. Moi je suis un thérapeute, je ne le fais pas. Mais les gens jugent. Et mes patients ne sont pas prêts à subir ces jugements. Ils progressent, peu à peu. Et je veux bien accepter votre idée d'un développement psychique qui aboutirait à la capacité de reconnaître la vérité et être prêt à l'assumer. Forcément ! C'est l'objectif d'une thérapie. Mais demander aux gens d'avoir cette capacité du jour au lendemain, c'est absurde. Vous pensez que si ils n'avaient plus l'option de mentir ils auraient forcément la capacité d'accepter la vérité ? C'est faux ! Il n'y a aucune raison que ça aille de pair ! Après trois générations dans votre société, peut-être. Mais à quel prix entre temps ? L'humanité n'est pas prête pour ce que vous proposez Mademoiselle Véra. Et vous ne pouvez pas la forcer à adopter votre idéal de l'Homme et de l'humanité.

VERA : Vous n'avez pas répondu à la question.

HECTOR : Ce n'est pas à vous de poser les questions Mademoiselle Véra. Je suis psychanalyste, je suis forcé de garder des secrets. Pensez-vous que ça fait de moi un être mauvais ? Pensez-vous que le fait de réclamer la confidentialité est un péché ? Pensez-vous que ce que me racontent mes patients est une vérité à laquelle l'accès par tous devrait être un droit ? Ne croyez-vous pas que le fait d'avoir une vie privée est un droit ? Ne croyez-vous pas qu'il s'agisse d'une nécessité pour notre fonctionnement psychique ?

VERA : Vous n'avez toujours pas répondu. Mais je connais la réponse. Si vous mentez sur ce que vous faites de vos week-end, pour des raisons futiles comme les vôtres, il y a peu de chances que vous considériez la Vérité comme une valeur. Et arrêtez de me parler de votre profession !

HECTOR : Je vous parle de ma profession parce que c'est important Mademoiselle Véra. Vous voulez le progrès de l'humanité ? Moi aussi ! Je partage votre croyance profonde en l'idée que le progrès individuel passe nécessairement par une meilleure connaissance de soi-même. Mais connaissez-vous réellement le prix de ça ? Savez-vous le courage que cela demande ? Pour parvenir à la vérité sur soi-même, il faut envisager toutes les hypothèses. Il faut se mettre soi-même en procès, et porter contre soi les accusations les plus horribles, les plus honteuses. Il faut déterrer toute la crasse au fond de nous. Et même si on tombait sur une personne qui n'avait aucune crasse en elle, il faudrait envisager l'hypothèse de la crasse pour l'en disculper ensuite. Vous comprenez où je veux en venir ?

VERA : Absolument pas Hector. Vous trouvez l'humanité trop lâche, j'ai compris ça depuis longtemps.

HECTOR : Ce n'est pas juste ça. Oui, l'humanité n'est pas prête. Mais elle ne le sera jamais. La réalité est moche Véra. Ce n'est pas seulement notre monde qui est moche. Le vôtre le serait aussi. L'intérieur de notre psychisme est moche. Peut-être êtes-vous capable de concevoir un monde où nos désirs profonds et notre égoïsme fondamental seraient des vérités acceptables et acceptées. Mais j'en suis incapable. Chacun doit l'accepter pour soi-même s'il veut progresser psychiquement. Mais l'accepter de tous ? Connaître la crasse de chacun ? Ce serait beaucoup trop lourd à porter. Le monde nous semblerait trop horrible.

VERA : Vous préférez l'illusion, je sais.

HECTOR : Mais croyez-vous vraiment que dans votre monde il y aurait plus de vérité et moins d'illusion ? Je crois que ce serait l'inverse, Mademoiselle Véra. Le mensonge les dégoûterait, et alors ? Vous savez quel est le meilleur moyen de ne pas mentir ? Ne pas connaître de vérité dérangeante. Savez-vous comment ne pas avoir à mentir sur soi-même et pouvoir maintenir une bonne image ? Ne pas s'analyser. Les gens cesseraient de s'analyser et d'analyser les choses ! Ils auraient trop peur des réponses qu'ils pourraient trouver, alors ils cesseraient de se poser des questions, tout simplement. J'en suis absolument convaincu ! Le psychisme humain est trop sombre. Vous êtes assez forte pour accepter de le voir en face ? Très bien ! Vous vous sentez assez forte pour accepter de montrer votre crasse à la face du monde ? Très bien ! Mais n'imposez pas votre choix à d'autres ! Parce que les conséquences en seraient dramatiques. Ce n'est pas juste qu'ils en souffriraient et s'effondreraient. C'est bien pire ! Ils arrêteraient de s'interroger. Et je ne crois pas qu'une humanité où personne ne se pose jamais de question soit ce que vous voulez.

VERA : Vous essayer de me faire avaler qu'un monde où on ne pourrait dire que la Vérité serait au final un monde où on connaîtrait moins de Vérité, parce que ce serait un monde où on arrêterait de chercher la vérité ?

HECTOR : Oui, Mademoiselle Véra. Les hommes ont besoin d'une vie privée. Ils ont besoin de pouvoir agir et réfléchir sans se demander systématiquement ce que les autres en penseraient. C'est cet espace de liberté qui permet de glander sur le canapé, mais c'est aussi cet espace de liberté qui permet de s'analyser et de rechercher la vérité ! On ne vit pas pour les autres Mademoiselle Véra ! Ce n'est pas sain ! Et, vous ne vous en rendez pas compte, mais dans votre monde, ce serait le cas ! Ce n'est pas quelque chose que je cherche à vous faire avaler, Mademoiselle Véra. C'est la Vérité !

FIN

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