Hiver 2018
Je n’ai pas répondu présent, je suis restée dans mon coin, j’ai observé les choses sans en prendre part, peut être par peur, ou parce que je n’ai pas envie d’être mêlée à la politique.
Mais aujourd’hui, pour des raisons qui me dépassent, je dois sortir de mon silence.
Peut être que maintenant, j’ai peur effectivement, et qu’écrire s’avère être mon seul moyen d’évacuer toute la négativité en apesanteur autour de moi. J’essaye de me protéger, rejeter les idées sombres, faire mon bout de chemin. Une colère a implosé à l’intérieur de moi cette nuit... Mon cœur me fait mal et j’ai honte, non pas d’être française, c’est bien au-delà de ça, j’ai honte de faire partie de cette humanité qui n’en ai plus une.
Je suis comme tout le monde, je lis les informations, je vois les vidéos qui tournent, je subis. Mon travail s’en fait ressentir, mon quotidien, mon salaire, toute ma perception des choses s’en trouve bousculé.
L’angoisse est palpable.
Et les problèmes se multiplient à vitesse grand V. On parle du pouvoir d’achat, on parle des flux migratoires, des taxes, des gouvernements corrompus, on parle du réchauffement climatique, l’appel est sourd .. ! Tout le monde dit que c’est un point de non-retour, tout le monde prétend que c’est trop tard, mais peu agissent. Egoïstement, oui, j’ai peur pour mon futur, mais si je regarde au plus profond de moi, j’ai perdu tout espoir. Je sais, je suis bien pessimiste, mais je suis presque certaine à ne pas être la seule à penser de cette manière. Je me demande en fait, concrètement, combien de temps il me reste à vivre en sécurité sur ma planète, ma maison qu’on détruit depuis des millénaires. Je me sens coupable. Chaque matin, quand je démarre ma voiture. Quand je mets des emballages à la poubelle. J’essaye de me dire que je ne peux pas porter toute la culpabilité du monde sur mes épaules, mais il m’arrive de pleurer quand je pense à ce que je fais endurer à ma planète.
Si ce n’est pas le gouvernement qui nous tue, je sais que la terre s’en chargera. Pas par méchanceté, par avidité, Elle est bien au-dessus de ça. C’est un instinct de survie, Elle se protègera.
Honnêtement, ça fait bien longtemps que je n’écris plus. J’ai l’impression d’être trop occupée à prendre soin de mon quotidien. Notre priorité c’est bien ça, subvenir à nos besoins premiers. Alors je travaille (beaucoup trop) pour gagner de l’argent. Gagner de l’argent pour acheter de la nourriture et me permettre de vivre décemment. Bien sur j’écris toujours cachée, dans ce petit journal, mais aujourd’hui 9 Décembre 2018, alors qu’on approche de ces fameuses fêtes de famille, j’ai besoin d’écrire à haute voix !
Je suis écœurée de tout. Et même fêter Noël m’apparait comme une obligation hypocrite. Et quand je vois ces enfants pourris gâtés, de toutes ces boites de Playmobil, de Barbie, de vêtement H et M, et d’objets électroniques de toutes sortes, j’ai envie de pleurer. Pour toutes sortes de raisons plus tristes les unes que les autres. D’abord parce que ces futurs adultes sont complètement déconnectés de chose telle que l’empathie, la compassion, l’abnégation, toutes sortes de qualités humaines nécessaires à notre survie, et aussi parce que cette surconsommation entraîne à l’autre bout du monde le travail forcé et inhumain d’autres enfants, sans maisons, sans familles, mal et sous-alimentés, et qui ont une espérance de vie d’à peine 15 ans.. On détruit des forêts entières, les poumons de notre planète, on éteint des espèces entières d’animaux, pour le confort de quelques-uns. Des plus riches. Car la loi du plus fort est universel. Le système a mis la richesse au pouvoir et le pouvoir a la richesse.
Quand j’étais enfant moi-même, je n’avais pas conscience que le monde allait si mal. Le peu d’espoir qu’il me reste, c’est de voir d’autres enfants, en Allemagne, en Norvège, dans des écoles à Bali, des enfants partout dans le monde qui passent une grande partie de leurs temps, à chercher des solutions pour notre futur, à apprendre l’agriculture, à recycler les déchets, et à apprendre le savoir-vivre en communauté.
Bref.
Cette année, mes expériences personnelles m’ont mis devant une autre réalité. J’ai perdu quelque chose de très précieux ce soir. L’envie de croire que l'humain peut être capable du meilleur. L'espoir qu'il y a encore du bon en chacun de nous.
Je cherche mes mots et ce sont des larmes que je trouve.
En France, on se fait gazer et matraquer parce qu’on cherche à améliorer notre quotidien, on se bat pour notre condition humaine non ?
En ce moment même, dans un autre pays, le Portugal, certains se fond tabasser seul dans une rue sombre par huit autres personnes parce qu’ils ont l’air différend, parce que leur couleur prétend autre chose, parce la langue qu’ils parlent défend d’autres paroles. La différence fait peur, et parfois la peur incite à la violence, je ne comprendrais jamais le rejet de la différence..
J’ai rencontré quelqu’un il y a quelques mois au Portugal avec qui j’ai longtemps discuté, des journées entières à parler religion, culture, liberté, à refaire le monde. Il vient d’un pays, dont j’ignorais presque l’existence. J’étais loin d’imaginer l’histoire du Bengladesh, d’imaginer la diversité des régions, les mangrooves, la faune et la flore. Saviez vous que là bas, dans les petites villages, ils font sécher au soleil les excréments des bœufs pour créer leurs propres charbons ?
Bref, il a fait ses études en Angleterre, a obtenu 4 diplômes, a travaillé dans des banques, dans des bars dans des restaurants et avait pour vocation de devenir professeur d’Histoire. Un jour, son visa l’a ramené à la réalité et il a du trouver un autre pays d’accueil pour espérer un semblant de liberté. Ce n’est pas la guerre au Bengladesh, pas comme on peut la voir en Syrie, c’est une autre forme de guerre, une sorte de guerre silencieuse. La religion écrase le peuple, la liberté de penser et de s’exprimer.
Bref, il travaille dans un restaurant très coté de Porto, il a un numéro fiscal, un numéro de sécurité social, il paye des impots chaque mois au gouvernement, et dans moins d’un an il obtiendra sa carte de résidence temporaire.
En quelques mois, il est devenu mon meilleur ami. Sensibles sur des sujets similaires, et en cohérence sur beaucoup de projets, nous avons vite trouvés de grand sujet de conversation. Moi-même, sortant d’une communauté religieuse à dérives sectaires, j’ai longtemps travaillé à gagner ma liberté. Ma liberté d’action, de ressentir, de penser et de m’exprimer par moi-même. Voilà maintenant 10 ans et je ne peux qu’être fière du chemin parcouru, du jour où je me suis dit « je ne sais pas si je peux le réussir, mais je dois essayer »
Evidemment donc, je ne pouvais qu’être sensible à son histoire, il a 32 ans et il se bat dur pour gagner fièrement sa liberté depuis même qu’il est enfant.
Il est petit, brun, sa peau est plus foncée que la mienne, et il a des tâches roses sur le visage dû à la maladie de Vitiligo ou dépigmentation de la peau. Dans toute sa splendeur, il est différent.
Cette nuit, alors que je rentrais d’une soirée arrosée, il m’appelle en visio et je vois tout de suite que quelque chose ne va pas. Il a le visage presque déformé et les lèvres gonflées. J’insiste et il fini par me raconter qu’il rentrait du travail, il était 2h, qu’il a pris un chemin différend, une petite rue en sortant de la station de métro, un peu sombre. Huits hommes, des brésiliens saouls, ont commencé à se moquer de lui en le traitant d’indien, puis de musulmans, le charriant avec des danses indoues. Il a apparemment l’habitude de ce genre de choses et ça lui arrivait régulièrement en Angleterre. Le mot étranger prend tout son sens. Mais il essaie de ne pas y prêter attention. La bande de gars s’est ensuite mis à le frapper. Il a eu le temps de ramasser ses affaires et courir. Il me dit que, par chance, ils n’ont pas essayé de le rattraper, car à Londres, les voyous te courent après pour finir de te casser la gueule.
Je suis restée bouche bée, mes yeux versant des larmes, je pouvais voir outre ces blessures physiques, ce sentiment de colère et de déception immense. Il avait l’air d’avoir le cœur brisé, une fois de plus.
Je me suis demandée comment pouvions nous être capable d’autant de haine envers son prochain..?
C’est la guerre en Syrie, au Congo, la famille au Yémen, la guerre civile en France et dans d’autres pays, c’est la Montagne d’Or en Guyane, la déforestation en Amazonie, .. où va-t-on ?
Souvent, je m’en vais marcher dans la forêt, il y a une paix incroyable en forêt, comme si là bas, rien ne pouvait t’atteindre, et je prie, n’importe quelle divinité, j’implore .. « Que cela cesse .. ! Que cette folie s’arrête .. ! »
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