Chapitre 2 : Partie 1
Erian logeait chez Halès depuis que sa sécurité était en péril, abandonnant son appartement en se disant qu'ils finiront par le trouver un jour ou l'autre. Cela faisait huit jours qu'Enys était officiellement recherchée, huit jours qu'elle n'avait donné aucun signe de vie. Courts et longs en même temps, le trait de personnalité relativiste du porte-parole prenait le dessus sur l'appréhension de ses deux camarades.
– Ça fait une semaine qu'elle ne s'est pas montrée, elle a peur.
L'hôte grimaça d'impatience, cela faisait bien trop longtemps qu'il supportait son entêtement et il était à saturation.
– Ce n'est quand même pas une raison pour reprendre ta vie normale.
– Mais elle ne me fera rien. J'ai toujours les iomons avec moi.
– Ça ne suffit pas. Mieux vaut prévenir que guérir.
Leur concentration à exposer tous leurs arguments pour gagner le débat leur fit oublier la présence d'Elwynn qui ne disait pas un mot depuis un quart d'heure. Elle se rongeait les ongles d'angoisse, coincée dans son propre univers qui la déconnectait de la réalité. Quand Erian s'en aperçut enfin, coupant net la conversation qu'il avait, il n'hésita pas une seconde sur l'idée qu'il se faisait sur son comportement.
– Je sais que tu m'en veux pour t'avoir fait mentir, mais je n'avais pas le choix.
– On n'aurait pas dû.
– Elle m'a réellement fait des menaces de mort, ce qu'on a dit reste la vérité, elle est seulement un peu extrapolée.
– On aurait pu trouver un autre moyen.
Il arrêta ses quatre-cents pas afin de la lorgner d'indignation, penchant une oreille vers elle comme s'il avait mal entendu. Son impulsivité le perdit, malgré sa voix calme, son ton devint accusateur. Il ne supportait pas de s'emporter, mais il ne pouvait pas s'en empêcher.
– C'est une tueuse en série et je suis le prochain nom sur sa liste. Si c'était toi à ma place, tu comprendrais.
– Mais je comprends. Je suis juste un peu... Déçue.
– Déçue de quoi ?! Que je ne me laisse pas tuer ? Ouvre les yeux un peu.
Elle roula des yeux, fatiguée de ses excuses, et changea de sujet.
– Ouais, bref. Halès a raison, tu devrais prendre tes précautions.
– Elle n'est pas stupide au point d'affronter des iomons.
Sûr de lui notamment grâce à ses deux gardes du corps qui le rassuraient constamment ; après tout, les iomons sont imparables, il ne pouvait qu'avoir raison. Il se décida à sortir une seule après-midi en guise d'essai, quand le soleil tapa de plein fouet jusqu'à illuminer chaque recoin pour avoir une vision sur tout ce qui l'entourait.
Il se baladait dans les rues, entouré de passants qui vivaient leur routine, sa peau illuminée par la fraîcheur de la température, un léger vent qui faisait s'envoler quelques mèches de cheveux, où tout était fait pour profiter de l'extérieur. Sa bonne humeur était telle qu'il prolongea sa promenade d'une heure et sa confiance le fit passer par des larges rues piétonnes davantage vides que la place du centre-ville.
Tout allait bien, tout confirmait son positivisme sur ce qui l'attendait. Quelques bruits venaient le surprendre de temps à autre, mais si ce n'était un coup d’œil, il n'y prêta pas attention, car les courants d'air portaient à confusion. La paranoïa de se sentir menacer décuplait les bruits ambiants alors il adopta une attitude candide pour les faire taire.
Cela marchait bien, pendant un temps. Puis un bruit plus fort, comme des verres qui se brisaient au sol, résonna entre les murs. Il ne pouvait pas nier ce qu'il venait d'entendre, un léger sursaut lui confirmait son existence. Ses yeux balayaient l'horizon, de devant, de droite, de gauche, et même derrière lui. Il analysait tout ce qui se trouvait autour de lui, jusqu'à viser les toits. Mais il ne vit rien, ou du moins rien d'alarmant.
Un deuxième bruit lui fit battre son cœur à mille à l'heure, d'autant plus qu'il semblait plus proche encore que le premier. Il prit le même réflexe à observer les lieux, mais il n'y avait toujours rien. Cependant, son angoisse lui annonçait rien de bon, il sentit au fond de lui un avertissement.
Il était temps pour lui de mettre fin à cette balade attrayante, ne serait-ce que pour se rassurer. Il fit demi-tour et accéléra le pas pour se sortir d'une peur sûrement peu rationnelle.
Soudain, une silhouette sortit de nulle part.
Elle attaqua l'un des iomons qui se tenait derrière lui, un poignard à la main, mais il esquiva. Entre deux mouvements rapides, il constata un voile transparent blanchâtre aux extrémités dentelées de dorures et de paillettes, ou des diamants pendouillaient de sorte à cacher son cou. Il n'eut pas besoin d'examiner son visage qu'il comprit immédiatement l'identité de son agresseur. L'élégance et l'extravagance de ces accessoires ne pouvaient venir que d'Enys.
Elle était là, en face de lui, à éviter les attaques des deux iomons comme par miracle. Pourtant, ils étaient rapides, énormément rapides, et leur ouïe les aurait dû se méfier d'elle, mais ils semblaient plus faibles que la normale face à elle. Ou peut-être que c'était elle qui était plus forte que les autres humains. Cela n'empêchait qu'elle se débattait, qu'elle leur tenait tête à se faufiler entre leurs griffes sans jamais se faire prendre.
Ses yeux finissaient toujours par retourner vers la même personne, Erian. C'était lui qu'elle visait, bien qu'elle était armée, elle n'attaquait pas les gardes, cette lame attendait une autre chair.
Et alors qu'elle les esquivait, elle réussit à se diriger vers lui tandis que lui n'était que paralysé en plein milieu de cette rue particulièrement vide. Il ne bougeait pas et ne disait rien comme s'il attendait sa mort. Et elle se ruait vers lui à toute vitesse, sur le point de finir cette guerre.
Elle courut, puis elle était déjà à un mètre de lui.
Quand elle put enfin le poignarder violemment, elle freina d'un coup tellement qu'elle s'arrêta en face de lui. Ses bras avaient disparu derrière son dos, le porte-parole était sans aucune égratignure. Le visage de ce dernier en face du sien, ses yeux apeurés au bord des larmes et ses mains tremblotantes couvertes de sueur. Il baissa son regard vers l'arme du crime, celle-ci cachée derrière elle. Il comprit que ce n'était pas elle, mais les iomons qui l'avaient capturé et forcé à s'immobiliser à la dernière seconde.
Elle était prise au piège, ses poignets enfermés dans des menottes et ses bras empoignés par les gardes. Sa situation la rendait vulnérable et bientôt punie, pour autant, elle esquissait un faible sourire.
Erian tenta de sortir un mot de sa bouche, mais sa gorge nouée l'en empêcha. Ses lèvres entrouvertes, il bégaya à s'efforcer de se défendre.
– Tu-Tu te trompes d'ennemi.
– Je ne vais pas me laisser faire.
– Ce n'est pas moi... C'est Ocrate.
Les deux iomons se mirent subitement à changer, à quitter leur attitude agressive pour devenirs passifs, ils se reculèrent et attendirent le corps bien droit. Il s'enfonça à nouveau dans un profond silence en voyant les poignets d'Enys se libérer. Sans comprendre tous ses enchaînements de surprises, il en subit des nouvelles.
Ocrate sortit de nulle part, passa entre les deux gardes à grands pas, faisant de même avec sa conjointe qu'il laissa de côté sans même admettre sa présence. Il s'orienta droit vers son ennemi, le regard strict qui renforça le danger qui se tramait.
D'un coup, quand il fut assez proche d'Erian pour le toucher, il saisit son cou et serra ses doigts. Ses cicatrices commencèrent lentement à rougir comme si elles s'activaient et le sang redevint flamboyant et brillant. Son œil le plus pâle, quant à lui, se modifia pour laisser place à un iris en forme d'amande comme un reptile.
Plus un seul brin d'air pénétrait la gorge du jeune homme qui se faisait brutalement étrangler. Ses mains s'agrippèrent aux siennes, ses ongles s'enfoncèrent dans sa chair, ses paumes frappaient en boucle tout ce qu'elles touchaient, il se défendit du mieux qu'il le pouvait, mais il était face à une force insurmontable.
Il était bloqué, sans aucune possibilité de s'enfuir, à lutter pour ingérer de l'air.
C'était sa priorité, de réussir à respirer, quitte à oublier la douleur de sentir son cou se faire broyer. Des ecchymoses apparurent telles un collier de couleurs diverses, assorti à son visage qui devint rouge sang. Sa détresse de voir sa mort arrivée le fit fondre en sanglots, ses larmes glissèrent jusqu'aux doigts de son assassin. Ses coups cessèrent, signe d'abandon et d'acceptation sur son destin qui s'arrêtait là. Il allait mourir et il le savait.
Les secondes étaient si longues, que ce soit pour survivre ou pour tuer, les deux prirent conscience de la ténacité d'une vie. Le rouge de sa peau se transforma en violet, ses veines gonflèrent à en sortir de sa chair et ses pleurs continuèrent.
Tout à coup, une aveuglante lumière et une rapide lame épaisse brisèrent le lien. Erian s’écroula sur le sol, d'immenses inspirations le possédèrent tandis qu'il combattait ses larmes. Mais son instinct de survie était tel qu'il tourna son regard vers son tueur.
Il observa en premier lieu le métal qui l'avait séparé de lui, grande, longue, épaisse, à la pointe qui s'affinait. C'était une arme qui ne semblait pas réelle tant elle était détaillée, au manche gravé d'un nombre incalculable de gravures et à la lame qui se courbait comme il n'avait jamais vu auparavant. Elle était plantée sur le sol, loin d'être en position de combat.
Son possesseur se tenait devant les deux hommes, grand, aux cheveux bruns parfaitement coiffés de sorte à ce que les boucles soient toutes liées entre elles comme si elles ne formaient qu'une, des cicatrices ressemblantes à celle d'Ocrate, un œil noir et l'autre blanc au même titre que ses cils comme s'ils étaient contaminés par son iris, des bijoux qui reliaient sa lèvre inférieure à son oreille gauche, habillé de noir.
Sa venue fit automatiquement s'agenouiller les deux iomons, chose qu'ils n'avaient jamais fait jusque-là.
– Tu ne dois pas dépasser les règles. Continue d'aller trop loin et je m'occuperai personnellement de toi.
Ocrate se tut, frustré de ne pas avoir fini son travail et vexé par ce sermon. Sans même se défendre, il obéit et partit simplement pour garder sa dignité, le menton levé. Enys lâcha un dernier regard provoquant à Erian, un sourire moqueur sur son visage, et le suivit.
– Qui est-ce ? chuchota-t-elle discrètement à son conjoint.
– Mon chef.
Annotations
Versions