Chapitre 2 : Partie 4
Dans un paysage sobre où la luminosité était maître, bien loin de toute civilisation, Osthène, l'homme au regard asymétrique qui avait fait une imprévisible entrée pendant le travers d'Ocrate, montrait une grande contrariété devant l'irresponsabilité de son subalterne. Et même s'il faisait preuve d'une large impassibilité où seuls son regard sévère accentué par ses paupières recouvertes de ses arcades sourcilières et ses lèvres pincées entre elles comme si elles barraient le chemin à des insultes prouvaient la colère qu'il contrôlait, elle en ressortait dès lors qu'il s'adressait à deux autres hommes qui lui tenaient compagnie.
– Il a eu le culot de ne pas venir. Ça ne fait rien parce que ça vous concerne aussi, ce qu'il a fait est inadmissible et je refuse catégoriquement que vous preniez exemple sur lui ! Vous n'avez qu'une seule chose à faire et vous n'êtes pas capables de le faire ?! C'est trop difficile pour vous de ne pas toucher les habitants ? Si jamais l'un de vous ose me défier à nouveau, je prendrai des mesures drastiques.
Et alors qu'il entrait dans un long monologue afin d'extérioriser tout ce qu'il s'était retenu de dire sur le coup, les deux autres ne faisaient rien d'autre que de l'écouter sans intervenir. Mais une fois qu'Osthène eut fini son discours moralisateur, l'un d'entre eux prit la parole.
– Si tu n'as rien à rajouter, ce n'est pas contre toi, mais j'ai des choses à faire.
Il n'était pas craintif, bien au contraire, il semblait indifférent face au fait de se faire disputer pour quelque chose qu'il n'avait pas commis. Il patientait sagement que le temps passe, inexpressif comme s'il connaissait cette situation par cœur.
Une attitude qui concordait parfaitement avec son physique grand et robuste, une taille bien plus imposante que tous ceux réunis ici, avec un manteau de fourrure rose qui exagérait l'épaisseur de son corps. De la même couleur, une mèche de ses cheveux courts qui se confondait avec le noir naturel, des cicatrices du même genre excepté qu'elles traversaient son œil droit jusqu'à sa pommette gauche. La différence venait des traits de leur visage, ceux de l'absent étaient bien plus fins et délicats par leur arrondi tandis que les siens apparaissaient plus volumineux et détaillés.
Une personnalité qui se montrait déjà largement contraire n'était-ce que par la pudeur et la simplicité vestimentaire de cet Ardian, la seule similitude extravagante qui se rejoignait était les nombreux bijoux à leurs doigts, où ceux-ci s'assortissaient avec une canne qui avait l'air de valoir une fortune détenue dans le creux de sa main.
Il était clair qu'il était davantage calme et discret, une maturité évidente et un respect accepté de tous. Osthène le laissa partir sans le retenir, peut-être était-ce dû à son indifférence de voir sa présence ici ou l'habitude de le voir aussi détaché de ces réunions.
Il était seul avec le dernier Ardian qui daignait se présenter quand il était demandé, sa mauvaise humeur retombée malgré sa rancune qui ne comptait pas le quitter de si tôt. Ce dernier scrutait son chef d'un regard qui relevait son appréhension, son œil observateur lui donnait un mauvais présentement, là où ses traits de caractère faisaient sens, il était quelqu'un d'intelligent qui préférait analyser plutôt que d'encaisser.
C'était d'ailleurs celui qui dissimulait le mieux ses cicatrices qui s'étiraient de son front à sa mâchoire tout en traversant son œil droit par ses longs cheveux bruns et bouclés qui se terminaient à ses épaules tout en couvrant son front avec des mèches plus courtes. Il possédait des iris identiques à ceux d'Ocrate qui confirmaient leur identité inhumaine malgré la ressemblance avec cette espèce. Son aspect était sobre, loin de toute l'excentricité dont faisaient preuve ses compères, au même titre que son comportement auprès des autres.
Alors qu'il pouvait suivre son camarade et retourner vaquer à ses occupations, il resta à sa place à attendre un dernier mot. Il ne fallut pas longtemps pour qu'il ait raison, Osthène tourna son regard vers lui après quelques secondes et dit une dernière chose.
– Je vais avoir besoin de ton efficacité. Je veux qu'on l'élimine.
La journée était ensoleillée, la fraîcheur de la matinée faisait oublier l'écrasante température qui allait s'abattre sur Elesi. En début d'après-midi commençait le dernier jour de l'assemblée du mois, le plus important car c'était là où toutes les décisions se prenaient et où les conflits éclataient. Erian savait bien l'envergure de cette journée-là dont la présence du porte-parole était une obligation pour qu'elle se passe correctement. La cité avait besoin de ses talents à cet instant précis, c'était sa charge, c'était à lui d'être là.
Il était reclus chez Halès depuis l'événement qui a failli lui coûter sa vie, avec une profonde angoisse de mettre un pied dehors. Il était hors de question pour lui de prendre un risque, mais son devoir lui tenait à cœur. Sa plus grande peur n'était pas de mourir, mais de décevoir ses concitoyens.
– Halès, je vais m'y rendre. Je ne peux pas les laisser seuls.
– La dernière fois que t'as voulu faire un essai, regarde où ça t'a mené.
– Je sais... Mais je n'ai pas le choix.
Après une grande discussion sur les pour et les contre quant au fait de se rendre en plein centre-ville à plusieurs dizaines de minutes de leur logement, le porte-parole se montrait trop têtu pour se faire contredire. Ce fut alors à ses risques et périls qu'il se rendit là où toutes les activités avaient lieu.
Pour plus de sécurité, il s'y rendit accompagné de ses deux amis et de ses iomons dans les trains qui longeaient chaque rue, accessibles par six personnes. L'entière cité était aménagée par ce transport où il ne suffisait que d'intégrer l'adresse de destination aux commandes pour qu'il s'y rende automatiquement. Ils étaient rapides, confortables et surtout sûrs.
Il ne lui restait plus que quelques minutes de marche pour accéder au bâtiment, accompagné de ses quatre gardes, ses chances de se faire attaquer étaient quasi nulles. Néanmoins, son anxiété fit qu'il ne put s'empêcher d'examiner tout ce qui l'entourait. La place était si bondée qu'il en était difficile d'apercevoir un comportement étrange dans cette foule.
Pourtant, ses yeux firent attirés par une silhouette à une trentaine de mètres de lui, immobile malgré les passants qui le dépassaient.
Il vit cet homme aux yeux rivés sur lui, un homme qui lui fit activer tous les signaux d'alerte. Il ne pouvait qu'être dangereux pour le fixer de la sorte. Mais il ne dit rien, son regard perdu sur cet individu, à l'examiner de long en large. Des cheveux longs bruns, des cicatrices sur le visage, cela ne faisait aucun doute, c'était un Ardian. Pas n'importe lequel, celui qui avait reçu une mission de la part d'Osthène. Il était là, debout, sans rien faire.
Erian s'arrêta, obsédé à l'idée de savoir que quelqu'un s'intéressait à lui. Et alors qu'il devrait fuir, il fit un signe de la main à ses amis et gardes d'avancer sans lui et ainsi, il se dirigea seul vers cet inconnu.
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