Chapitre 3 : Partie 3
Au moment où elle finit seule avec son partenaire, elle entra dans le vif du sujet, encore agacée par son attitude violente.
– C'est quoi ton problème ?
– C'est une salope.
– Arrête ! Je déteste quand tu agis comme ça. T'es là à faire ton enfant capricieux.
– Tu ne vois pas qu'elle essaye de nous séparer parce qu'elle est amoureuse de toi ?! Tu es aveugle à ce point ?
– Tu trouves n'importe quel prétexte pour te donner raison, c'est n'importe quoi.
Il la fixa empli de dégoût tout en prenant son temps, sa rage était redescendue pour ne laisser place qu'à de la déception. Quand il trouva enfin une dernière phrase à répondre, il n'usa qu'une intonation calme.
– Je t'ai déjà beaucoup trop donné, dit-il avant de partir à son tour.
Elle ne le reverra pas de la journée et passa la nuit en solitaire, ce qui n'était pas plus mal pour elle. Elle put réfléchir à cette histoire, examiner les différents arguments donnés et surtout se détendre. D'ailleurs, le soleil à peine levé, elle avait une idée bien précise de ce qu'elle allait faire. Elle fonça dans le logement de Lycure et y entra sans même toquer. Elle tomba nez à nez face à lui, surpris de la voir aussi tôt. La politesse passée, il aborda rapidement les événements de la veille.
– Tu tombes bien, je devais te parler.
– Pourquoi ? Elle ne va pas bien ?
– Si si, ce n'est pas ça qui va la toucher. Mais j'ai discuté avec elle. Il faut que tu la comprennes, d'un point de vue extérieur, Ocrate est un peu... tyrannique.
Elle souffla d'agacement, ses yeux roulèrent sur le côté en parallèle à ses gémissements. Elle avait affaire au même discours, encore et encore, qui commençait à la lasser. Elle voyait d'avance la longue discussion qui l'attendait, connaissant par cœur ces conseils. L'entendre prendre la défense de sa camarade la braqua, se sentant forcée de défendre son bien-aimé pour se rassurer.
– Tu vas pas t'y mettre toi aussi. Il ne vous faisait rien avant que vous lui montriez clairement que ce n'était pas votre grand ami.
– C'est-à-dire qu'il nous empêche de te conseiller. Il serait pas spécialement content d'apprendre que tu es chez moi.
– De toute façon, je l'ai pas vu depuis hier alors bon.
Il alla s'asseoir dans son salon, s'installant plus confortablement pour entamer la délicatesse du problème. Comme une corvée qui suspendait au dessus de sa tête, il passa le cap en s'occupant de la gêne. Sans passer par quatre chemins, il lui partagea ses pensées, la douceur de son ton contrebalançait la sévérité de ses mots.
– On pense juste que tu mérites mieux que lui.
– Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs, le rejoignit-elle. Je comprends pas que vous le blâmiez pour ça.
– C'est pas... réfléchit-il. C'est pas son erreur d'avoir transgressé ses règles qui nous dérange, c'est la manière dont il te change pour que tu lui correspondes.
– Je n'ai pas changé.
– On finira par te faire ouvrir les yeux sur lui.
Pendant qu'elle réfléchissait à cette perception de son partenaire, tiraillée par sa rationalité et ses sentiments, ce dernier ne s'était pas montré depuis la veille. Il ne pouvait pas la rassurer, la réconforter ou simplement se défendre, il était absent dans, sûrement, le moment où il se devait d'être là.
Néanmoins, cela ne signifiait pas pour autant qu'il ne pensait pas à elle. Bien au contraire, de retour au musée, le repère d'Onos, il avait retrouvé son ami pour se lamenter sur le sort qu'elle lui attribuait. Bousculé par leur dispute, les doutes s'emparèrent de sa confiance en soi. Il ne se gêna pas d'afficher ses faiblesses, se privant de sa jovialité quand il le vit, une mine qui annonçait un appel au réconfort.
Il s'assit à côté de lui sans que l'un commence à poser des mots, même les plus superflus, ne serait-ce que pour briser ce malaise. En fin de compte, il n'était pas venu seulement pour admirer ce large tableau, il avait besoin de parler, de se confier alors il se lança.
– Enys a des doutes sur moi.
– Tu as besoin d'une épaule sur qui pleurer ? titilla-t-il.
– Ça me fait chier. Elle a besoin de moi pour mener son plan à bien, qu'elle n'ose pas me fuir.
L'admirateur des arts leva les sourcils, un regard qui accentuait l'absurdité de ce qu'il entendait, partagé entre stupeur et raillerie.
– Tu veux dire ton plan.
– On s'en tape. Je refuse qu'elle fasse son génie avec moi. Elle doit m'écouter.
Il expulsa un soupir exagéré de sorte à pointer la mentalité extrême qu'il devait supporter.
– Ça ne vous fera pas de mal, autant à elle qu'à toi.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Plus vous êtes ensemble et plus vous mettez en danger l'autre. Si vous prenez vos distances, vous vous protégerez.
– Nous protéger de qui exactement ? Tu me caches quelque chose.
– Osthène ne te laissera pas commettre une deuxième erreur. Je pense que c'est bien si tu te sépares d'elle et ça le soulagerait.
Ocrate se leva déterminé à ce que cette conversation se cesse après son mot de fin.
– J'en ai rien à foutre de ce qu'il peut penser, déclara-t-il en le visant de son index.
Il le dévisagea une dernière fois, sa réaction excessive le fit douter sur le coup ainsi, il hésita plusieurs secondes avant d'être persuadé d'avoir correctement agi. Son assurance revint en dépit de la mauvaise tournure de cet échange et d'un pas décidé, il s'en alla.
Si d'un côté, la décision était difficile à prendre et les querelles allaient à contre-sens, de l'autre, Erian avait retrouvé l'espoir de pouvoir gagner la guerre. Il avait expliqué en détails tout ce qu'il avait découvert, tout ce qu'il y avait de nouveau et surtout tout ce qu'il avait prévu pour survivre. Mais alors que Halès semblait intéressé, et même approuvait largement l'idée, Elwynn, quant à elle, refusa catégoriquement cette stratégie.
– C'est une mauvaise idée.
– C'est le meilleur moyen d'avoir des informations !
– Mais c'est immoral et dangereux. On ne peut pas leur faire confiance enfin.
– Je vais faire en sorte que tout se passe bien.
– Et s'ils le découvrent ? Tu n'aurais plus aucune chance, tu seras foutu. On ne peut pas prendre un risque pareil !
Sans surprise, le rouquin était totalement partant, voire même excité d'aller aussi loin. Il adorait les sensations fortes et il ne comptait pas passer à côté de cette chance de les vivre. Il avait ce côté distant avec les émotions, un recul qui ne lui donnait pas avantage sur l'image qu'il renvoyait, loin d'avoir de l'empathie, mais cela ne l'intéressait guère. Il pensait aux faits, à ce qu'il voulait et le reste n'avait pas d'importance.
– Erian a raison. Elle n'a aucune pitié alors nous devons en avoir aucune non plus. On la tuera même s'il le faut, s'emballa-t-il ardemment.
Son ami le jugea, perplexe devant ce côté sadique assumé, ses mains posées contre ses hanches et les sourcils froncés.
– Tu vas peut-être un peu trop loin là.
– Mais non. Elle veut te tuer alors ça serait légitime pour toi de te défendre.
– Je ne vais pas aller jusque-là, mais merci quand même.
– Et bien si jamais, tu sais que tu peux compter sur moi, sourit-il.
Devant le mauvais tournant que prenait leur désaccord, elle faisait face à l'insensibilité de ses camarades sans pouvoir intervenir. Elle les jugeait en sachant qu'ils n'allaient pas changer, de toute manière, c'était ainsi qu'elle les connaissait. Mais elle n'était pas influençable, elle resta bloquée sur ses positions et rappela son existence.
– Prends ton temps pour bien réfléchir. En espérant que tu réalises que c'est n'importe quoi... baragouina-t-elle dépitée.
– C'est déjà réfléchi, ils seront à moi.
– Tout ça parce qu'un Ardian t'a conseillé de faire ça ? On ne connaissait pas leur existence quelques semaines avant aujourd'hui !
– Non, parce que je suis désespéré de savoir que je vais mourir à même pas trente ans. Si c'était ta tête qui était mise à prix, tu agirais comme je le fais.
Rien ne pouvait le faire changer d'avis, bien que loin d'être convaincue, elle se terra dans un silence, vexée de ne pas être écoutée. Erian n'avait pas pour but de débattre de la qualité de son plan, seulement d'informer de ce qu'il allait faire. Il savait que c'était son seul moyen de vaincre et il était temps pour lui de faire face à ceux qui l'attaquaient sans raison. Il allait passer à l'action, ce n'était plus qu'une question de jours.
Les nuits passaient sans qu'Ocrate ne soit retourné chez lui, le froid dans son couple devenait glacial, chacun buté sur leur vision des choses. Ils étaient coincés dans leur monde et refusaient de s'ouvrir à celui de l'autre. Cela jusqu'à ce qu'il se sente forcé de mettre de côté sa rancune pour accepter un problème bien plus profond. C'était le déclencheur, une chose qu'il ne pouvait pas ignorer, il se devait de la partager alors il regagna enfin son appartement.
Il entra sans s'introduire, sa discrétion était telle qu'il lui fit peur en pensant qu'il était un intrus. Finalement, le voir la rassurait, c'était toujours mieux qu'un inconnu potentiellement dangereux. Intriguée par sa venue, en espérant qu'il avait réfléchi et qu'il s'était rabaissé à ce qu'elle pensait, elle allait émettre un son quand il la coupa nettement.
– C'est une traîtresse !
Cette simple phrase suffit à l'agacer, elle souffla du nez d'impatience, sa difficulté à garder son sang-froid sur une même discorde qui durait depuis déjà bien trop longtemps la braqua tout de suite.
– Si c'est pour me redire la même chose, tu peux t'en aller.
– Non non, je l'ai vu avec Erian il y a quelques heures. Je t'avais dit qu'elle était louche.
– Mais qu'est-ce que tu viens inventer encore ? C'est même pas crédible.
Son enthousiasme le quitta en un rien de temps, son corps reprenait des mouvements lents, sa respiration se coupa pour un soupir. Sa placidité soudaine le rendait davantage crédible alors il insista.
– Et pourtant, c'est la vérité.
– Et pourquoi je devrais te croire ?
Malheureusement, la personnalité têtue de sa petite-amie le fit perdre patience, tout son travail sur soi pour la convaincre s'évapora aussi vite qu'il était venu.
– Mais parce que je suis ton mec putain !
Elle refusa de le croire, épuisée d'être perçue comme une femme naïve, elle s'était forgée un caractère qui lui était propre, et ce, même face à Ocrate. Il avait beau tout faire pour lui prouver qu'il disait la vérité, il ne s'agissait que de paroles, ce qui n'était pas suffisant pour elle. Comment accepter que sa plus grande alliée serait en réalité une félonne ? Il n'était plus question de faits, mais de volonté, celle de ne pas vouloir y croire.
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