Chapitre Pénultième : Le maître et l'élève
« Monseigneur, pourquoi vous arrêtez au milieu de votre récit ? Voilà deux minutes que vous fixez les astres. Quelque chose vous tracasse ?
- Es-tu là Edwanna, te caches-tu derrière les étoiles ? Me regardes-tu accomplir ma tâche ? Elle est presque achevée Edwanna, après toutes ces années de guerre, toutes ces années de douleur... Edwanna la guerre va prendre fin, et nous allons nous revoir !
- Monseigneur ?
- Pardonnez-moi, je me suis laissé gagner par un instant de mélancolie. Puis-je te poser une question Amaric ?
- Bien certainement, seigneur.
- As-tu déjà été amoureux ?
- Je le crois oui, j'ai déjà eu des sentiments pour une fille. J'ai déjà eu cette sensation étrange dans le ventre, à la simple idée de partager un baiser.
- Je vois... mais je parle d'un amour véritable et passionné. T'es-tu déjà senti capable d'éteindre la lumière d'Astos le céleste, de vider la mer de toute son eau et de renier des civilisations entières ? Tout ça au nom d'une femme ?
- Et bien, non. Je ne crois pas avoir jamais ressenti cela.
- Ce sont ces idées qui guident ma vie depuis maintenant bien trop longtemps. Mais j'aime encore d'une amour éternel, et le temps lui même n'éteindra pas ce feu qui brûle en moi.
- Mon seigneur, narrez-nous donc le jour de l'invasion ! Je gage qu'il s'agit là de la meilleure histoire jamais racontée !
- Et bien Saduj, si ceci peut te faire plaisir, alors soit... A condition seulement que tu ne sois pas le seul à vouloir l'entendre...
Tous les généraux lèvent leur choppe en criant, puis le général reprend.
- J'imagine que ceci veut dire oui... Un jour, alors que j'observais l'horizon en pensant au passé, je vis les voiles d'un navire. Je plissai les yeux pour mieux discerner, et finalement découvris une infinité de vaisseaux de guerre, voguant dans ma direction. Une semonce retentit, puis une seconde et une troisième. Soudain, je fus téléporté dans la caverne.
- Es-tu prêt pour ta leçon du jour ? me demanda le maître mystique.
- N'entendez-vous pas ces bruits sourds ? Un combat a lieu dehors.
- Le jour que je t'ai prédit est arrivé. Et alors ?
- Je dois défendre mon peuple ! Je dois les prévenir !
- Tu n'es pas prêt. La meilleure des solutions est de rester là car ils ne seront pas capables de trouver cet endroit, et d'attendre qu'ils repartent.
- Mais ils vont ravager les miens ! Il vont piller cette île et repartir sans honte !
- Mais tu ne peux rien y faire.
- N'êtes-vous pas le seigneur véritable de ces terres ? Ne vous êtes-vous pas vanté d'être le propriétaire de cette île, en certifiant qu'il s'agissait là de votre foyer ? N'allez-vous donc rien faire ?
L'homme ne répondit rien, avant qu'un hurlement comme je n'avais jamais entendu ne résonne dans les entrailles de la pièce, et ne préoccupe enfin l'indolent magicien.
- Cette île, Tortuga, c'est une tortue n'est-ce pas ? J'en ai aperçu la tête la première fois que j'ai fait votre connaissance. J'imagine même, et j'ignore comment cela se peut, qu'elle est votre animal. Allez-vous donc la laisser périr sans lever le petit doigt ? »
Je me souviens de l'air contrarié ancré sur ce visage obscur. En une seconde l'espace autour de moi était de nouveau altéré, et je reparaissais au milieu du village, en tentant du mieux que je le pouvais de réinstaurer le calme. Les gens couraient de toutes parts, les gardes-tempêtes se réunissaient autour de moi, sans même se demander d'où je pouvais bien venir, et moi je leur ordonnais d'emmener tout le monde dans notre sanctuaire, et de nous préparer au pire.
Une fois mon peuple mis en sécurité, je me dirigeai au niveau du promontoire, pour regarder les navires accoster. Des vaisseaux plus gros que les autres parvenaient à voguer dans les courants sans être rejetés vers le large, et les soldats à leur bord purent ainsi dresser des panneaux gigantesques, faits de bois.
A mesure des instants, une armée gigantesque se constituait, sur les bords de mon île où les courants étaient les moins forts. Ils dressèrent des grappins, pour escalader la falaise, et se retrouvèrent sur un terrain aussi vaste que plat. Vous vous demandez peut-être pourquoi je n'ai fait que les regarder tandis qu'ils envahissaient les restes de mon monde, mais la vérité est pourtant simple... je ne pouvais les défaire à moi seul.
Bref, au bout d'un moment, une fois que les archers furent en formation, derrière, ainsi que les épéistes et les hallebardiers, devant, le magicien apparut.
J'ignore comme il s'y prenait, mais à la suite d'une migraine je me mis à voir dans ses yeux. L'espace se courba, et il prit place, dans une déflagration qui brûla les herbes de manière circulaire. Ses vêtements dansaient dans les airs, et curieusement, le vent lui-même était calibré sur son propre souffle. De la fumée noire s'échappaient de ses yeux sans expression, et il observa chacune des âmes devant lui, lentement, mémorisant chacun des visages, chacun des détails de leurs armures, avant de délaisser les hommes pour observer la mer.
« Sur ordre de sa majesté l'empereur Eraste, nous revendiquons la propriété de cette île et de tout ce qui s'y trouve par essence. tonna le héraut des envahisseurs, qui n'avait pas vu l'apparition surnaturelle du mage.
- Nous voilà donc face à un problème. Cette île, et tout ce qui s'y trouve par essence, est déjà ma propriété. Aussi vous abandonnez-vous à mon bon vouloir par votre simple présence. Faites demi-tour, cessez les hostilités, et aucun mal ne vous sera fait.
- Des rires s'élevèrent du fond de la masse, quand des sourires plus crispés s'esquissaient timidement, à l'avant.
- Allons, nous sommes une armée et vous êtes seul. Qui pensez vous donc impressionner en agissant de la sorte ?
- Ceci est mon dernier avertissement. Partez ou je moissonnerai jusqu'à la dernière âme vos effectifs.
- Archers ! Décochez ! »
Une pluie de flèches obscurcit les cieux, mais le porteur de la broche resta dressé comme à son habitude, les bras croisés dans son dos, avant de changer la course des projectiles, pour les faire s'abattre directement sur les tireurs. Alors, il fit quelques pas en avant, en faisant léviter ses deux épées hors de leur gaine, pour en diriger une avec ses propres mains, et l'autre avec sa pensée. Certains, plus courageux que d'autres, foncèrent sur le magicien, sans même en avoir reçu l'ordre, mais leurs armures se plièrent alors qu'ils les portaient encore, et ils moururent en lâchant des cris terrifiants.
Un groupe encercla le maître reptile, et tandis que celui-ci faisait face à cinq individus devant lui, il tenait en respect cinq autres soldats derrière, grâce à sa seconde épée. Le combat fut bref, car il semblait deviner à l'avance les coups qu'on allait lui porter, et réagissait en conséquence. Il tendit sa main et un soldat lui parvint comme s'il ne pesait rien, mais il attrapa simplement la lance du malheureux, avant de le laisser poursuivre sa route, pour s'écraser contre un arbre derrière. Il lança l'arme, et la guida à travers les nuées belliqueuses. Des centaines d'hommes tombaient, empalés par une pointe de fer dont la vitesse ne diminuait jamais, quand d'autres se faisaient écraser par un tronc dénudé, lui aussi guidé par une force surnaturelle.
Des projectiles immenses et sphériques zébraient parfois le ciel d'une lueur incandescente, avant de laisser place à un couloir de fumée noire. Ils embrasaient tout sur leur passage, et démolissaient aussi les maisons alentour. L'un d'eux fut proche de s'abattre sur le héros solitaire, mais d'une pensée il le disloqua, en retenant les flammes entre ses mains, ainsi que des morceaux de métal, avant de tourner sur lui-même en écartant les bras, et de carboniser de nouveau une autre centaine d'hommes, et d'en blesser mortellement une centaine d'autres.
Epéistes, hallebardiers et même les généraux foncèrent sur lui, mais ce dernier ordonna à leurs armes de se retourner contre leurs propriétaires, et cinquante d'entre eux se firent empaler sans comprendre. Les troupes étaient décimées plus vite qu'elles n'arrivaient à gagner les hauteurs, aussi une fois les rangs éclaircies, le guerrier magicien gagna le bord de la falaise, en propulsant sans même les toucher les quelques âmes qui osaient encore tenter des attaques contre lui, les épées bien rangées dans leur étui, les bras symétriquement pliés dans le dos, et la tenue impeccablement ordonnée.
Une flèche traversa le champ de bataille, mais avant de pouvoir parvenir à sa cible, elle fut stoppée par un bras d'eau, comme si la mer elle-même avait choisi son parti. Pendant ce temps, même si je ne pouvais m'empêcher d'observer le mage faire ses œuvres, je me rendais compte que d'autres soldats avaient réussi à monter jusqu'ici, aussi entrepris-je de défendre mon peuple. Un soldat fondit dans ma direction, et je discernais dans son regard une rage incompréhensible.
Pourquoi était-il furieux contre moi, alors même que j'ignorais tout de son peuple, et lui tout du mien ? Pourquoi sa rage était-elle dirigée contre les miens, quand dans l'absolu nous n'avions rien fait pour la déclencher ? Pourquoi cherchaient-ils tous à venir s'emparer de quelque chose en sacrifiant tout et n'importe quoi dans leur quête frénétique ? J'ignorais tout du pourquoi, mais je savais comment y mettre un terme. J'étais le Gilgamesh, et j'allais mettre fin au conflit, d'une manière ou d'une autre.
Le belliqueux personnage me frappa, d'un mouvement vertical, mais je me ruai sur lui au moment où il levait son épée, pour lui retenir les mains, lui fracturer le nez, et m'emparer de son arme. Je l'achevai sans pitié, sans lui laisser le temps de se défendre, et il tombait, comme l'intrus répugnant qu'il était. Alors d'autres guerriers lui succédèrent, et je me positionnais face à eux, et Hallena fit de même. Il n'y avait que quelques ennemis au début, qui arrivaient sur nous de manière fractionnée, et nous n'eûmes aucun mal à les défaire.
Pourtant, à mesure du temps qui passait, leur nombre grandissait. Hallena se fit désarmer, en conséquence je lançais mon épée dans la tête de son assaillant, pour qu'elle puisse continuer la lute, et elle désarmait un hallebardier, pour me lancer l'arme lourde, et compenser ma perte. Nous formions un cercle avec les autres défenseurs, mais bien vite nous sentions que nous étions submergés.
Ma fierté exigeait que je périsse par le fer, sous le poids de mes erreurs, mais j'adressais tout de même une pensée au magicien, en le priant d'intervenir, car la seule âme qui devait s'éteindre ce soir, c'était la mienne. Après quelques secondes, l'armure d'écailles arriva en lévitant, avant de s'ouvrir et de venir épouser ma peau. Je ressentais quelque chose d'étrange, comme une énergie puissante et libératrice, qui me faisait oublier que je pouvais être blessé, fatigué, ou même encore que je pouvais mourir.
Je voyais au niveau de ma taille une gaine fondue directement dans la masse, et la poignée de l'épée dépassait. Sans attendre une seconde de plus je me saisis de l'arme, et commençait à apprécier sa puissance. Je ne retenais plus mes coups, car je ne me fatiguais plus, et les lames de mes opposants se brisaient, à chaque parade qu'ils tentaient.
Le fer de la l'épée brillait de mille feux, tout comme l'armure d'ailleurs, et je m'égarais un instant dans la contemplation. Quelques secondes. C'est tout ce qui fut nécessaire à l'un des impériaux pour prendre la vie de Jonah, tandis que je me noyais dans ma propre prétention. Il suppliait que je l'aide, mais ses cris ne me parvinrent pas, à la fois noyés par les bruits ambiants, et par ma cupidité. Alors je levai les yeux, pour voir mon adversaire, son épée plongée dans le corps sans vie de mon ami. Une rage innommable s'empara de nouveau de mon être.
Je convulsais.
Je bouillonnais.
Des larmes brûlantes traçaient des sillons sur mon visage, et je me mis en tête de ravager le tueur devant moi. Il frappa d'un coup puissant, et la lame affamée voulut me mordre dans les hanches, mais elle rebondit sur la surface, sans même que je ne ressente la moindre douleur.
De ma main droite j'attrapai la gorge de l'assassin, en le soulevant, et de l'autre je lui frappais le visage. Au bout d'une dizaine de coups, je le projetai au sol pour le finir à coups de pieds. Du sang se répandait partout, même entre les écailles de ma protection. Les gardes-tempêtes reculèrent, ainsi que les soldats, à la vue de la rage frénétique qui s'emparait de moi.
En levant les yeux vers les doyens, je constatais que certains d'entre eux étaient allongés au sol, inanimés, et je comprenais bien vite l'étendue de mon échec. Un son strident retentit, et tous les soldats convergèrent en direction des navires qui les avaient déposés, en abandonnant leurs armes pour la plupart, et moi j'avais de nouveau accès au monde derrière les yeux du magicien.
Un soldat voulut poignarder le sorcier, mais d'un revers de la main il le claqua, et tandis que son corps tombait au sol, je jure avoir vu son âme s'en détacher, pour imprégner la pierre derrière, telle une ombre piégée à jamais dans le roc. Il réitéra son opération avec d'autres assaillants devant, avant de répandre une fumée noire, dont la simple inhalation provoquait une mort infiniment douloureuse.
Je fus stupéfait de voir certaines créatures de l'île accourir pour défendre le maître des lieux, dont certaines, habituellement, n'hésitaient même pas à se manger entre elles ! Un boulet de canon s'éleva dans les airs, pour venir éborgner la tortue qui nous portait tous, et dont l'œil rouge tombait maintenant en mille morceaux, dans les profondeurs abyssales. En conséquence, le climat se mit à changer.
Un vent puissant se leva. Une pluie torrentielle se déversa. La mer s'agita. Des rouleaux immenses se formèrent. Puis, un dragon émergea. Il faisait battre ses ailes toutes d'eau composées, et les navires titanesques ne pouvaient plus se stabiliser vers les falaises. Il crachait des cascades, et aucun projectile ne pouvait en venir à bout. Les flèches se perdaient dans la masse liquide, dénuée de muscles ou d'os, et les boulets ne faisaient que la traverser, arrachant une flaque, brièvement, pour se reformer derrière, intacte. Je le vis prendre de la vitesse, avant de plonger en laissant traîner une de ses ailes à la surface de l'eau, et je vous le dis, mes héritiers, il sépara la mer en deux ! Des vagues plus hautes que mon île menaçaient de s'abattre sur nous, mais le magicien les repoussait d'un revers de la main, lévitant sous la pluie, toujours sans qu'une goutte ne vienne décolorer la perfection de sa tenue.
Les bateaux, même les plus gros, étaient avalés par les flots déchaînés, et la mer que l'on ne pouvait repaître, hurlait famine. Alors, des éclairs illuminèrent les cieux, et le porteur de broche en attrapa quelques uns au creux de sa main, avant d'en dégager toute la puissance sur les navires, et de les enflammer. Les éclats de lumière blanche traversaient les rouleaux formés au dessus des vaisseaux, et je voyais à travers elles comme à travers le miroir de la mort. Les hommes à bord prirent feu pour la plupart, et d'autres explosèrent, contrastant les ténèbres d'une nuit surnaturelle, par le pourpre de leurs entrailles, et la furie blanche céleste – Cette peinture macabre, elle est figée dans ma mémoire comme la plus belle pièce qu'il me fut donné de voir, mais aussi la plus terrifiante. Puis soudain, tout s'arrêta. Le soleil reparut. La mer s'apaisa.
Les navires n'étaient plus. La menace se dissipa.J'étais au sommet de la falaise, et tout le monde autour de moi pleurait un être cher. Je récupérais le corps de Jonah, et celui de Hallena, pour les empiler au niveau du promontoire, avec tous les autres. Le dernier doyen s'avança, se pencha à mon oreille, le regard vide et les yeux remplis, pour me parler en ces mots :
« Gilgamesh, que venons-nous de voir ?
- Une déclaration de guerre, haineuse et débridée.
- Je veux dire... les mots ne lui vinrent pas.
- Il est des choses que je ne m'explique pas moi-même, doyen. Vous avez pris soin de moi depuis mon plus jeune âge. Aujourd'hui vient le temps pour moi de vous rendre la pareille.
- Tu... mais quelle est cette armure... et cet individu terrifiant ? De quoi parles-tu ?
- C'est un cadeau. Je ne le connais pas vraiment, il prétend être le propriétaire de cette île, et je n'ai pas la force de le contredire. A vrai dire, après ce que je viens de voir, je pense qu'il dit la vérité. Je parle d'une vengeance. Assalice n'était que le maillon d'une chaîne bien plus grande. Mon courroux ne connaîtra aucune limite, et mes châtiments seront d'une cruauté sans pareille.
- Tu comptes partir ? Mais qui nous défendra s'ils reviennent ?
- Beaucoup de nos gardes-tempêtes sont encore vaillants, et en état de vous défendre. Alors oui, doyen, je vais partir, mais pas encore. Je dois régler quelques affaires, et ensuite je les frapperai si fort que je leur passerai l'envie de s'approprier les richesses de qui que ce soit. En fait, je les frapperai si fort, que je j'effacerai leur existence des mémoires du monde.
- Tu vas devenir comme eux Gilgamesh. Je doute que ce soit la voie qu'aurait choisi feu ton mentor.
- C'est un choix auquel il n'a jamais été confronté. Je ne peux laisser ce crime impuni, et je sais bien au fond de moi que je ne me suis jamais affirmé comme je l'aurais dû. Le Gilgamesh que vous connaissiez est mort. Si je dois voguer cents âges pour trouver et punir les coupables, alors soit, je le ferai, car la menace qui plane sur nous s'étend par delà l'horizon. Elle s'étend par delà l'espace et le temps. Vous avez perdu vos frères doyen. La colère et la vengeance ne vous animent-t-elles pas toutes deux ? Ne vous sentiriez-vous pas satisfait de savoir que nos bourreaux ont payé pour leurs actes ?
- Et bien, je dois bien reconnaître que c'est la première fois dans notre histoire que nous essuyons des pertes si lourdes... ainsi que des trahisons au sein même de notre famille. Dans quel direction allons-nous, Gilgamesh, si nous ne pouvons même plus faire confiance à nos gens ?
- Je vous laisse le soin de purifier les esprits. Je vais pour ma part laver notre honneur.
- Parle à tes parents, explique leur ô combien tu les aimes, et vois si quelques uns de nos gardes-tempêtes désirent te suivre dans ta quête...
- Merci doyen, je vais faire ce que vous me conseillez, mais pour autant je vous le dis, je me dois de partir seul. Bien des dangers guettent encore, et nous sommes aux abois... Je ne peux risquer d'amoindrir nos défenses, quand tant des nôtres sont à l'agonie. »
Je voyais les gens autour de moi pleurer, certains avaient le regard perdu dans flammes de nos maisons, et d'autres s'employaient à retrouver les disparus. Puis les flammes s'apaisèrent toutes, jusqu'à disparaître totalement, alors que j'implorais le porteur de broche de m'accorder une discussion. L'espace se courba, et je fus de nouveau dans la forge, devant mon héros extraordinaire.
« Alors, es-tu prêt ? Me dit-il sans ménagement.
- Mais qu'êtes-vous ?
- Je suis un être de chair et de sang, de raison et déraison, d'intrigues et de dénouements ; je suis un homme, en tout point semblable à toi.
- Non, vous n'êtes en rien semblable à nous, j'ai vu quels prodiges vous réalisez, la concentration que vous pouvez déployer, et les ravages que vous pouvez causer. Mais je m'étonne que vous n'ayez pas plus d'ambition, pour quelqu'un dont la liberté transcende toutes les limites... et les interdits.
- Les ambitions ? J'ai fasciné ce monde, est-ce que cela ne représente rien à tes yeux ? Mais ta question est pertinente... qu'est-ce que l'interdit, qu'est-ce que la liberté ? Tu sais, comme tout concept que l'on ne retrouve pas par nature, dans le monde physique, comme toutes les choses abstraites auxquelles l'Homme adore s'attacher... et bien la liberté est relative à la perception que tu en as. Si rien de tout ceci ne s'était passé, serais-tu ce jeune homme avide de vengeance et de voyage que je te vois devenir ? Ta liberté tu veux la trouver par delà cette mer que tu connais si bien et si mal à la fois... mais si rien de tout ça ne s'était passé, ta liberté tu la trouverais toujours au sein de cette île, à apprécier le vent dans tes cheveux, l'odeur des fleurs, le frisson du combat et la potentialité de mourir...
- Mourir... parlons-en... Vous m'avez accordé cette armure, mais lorsque je la porte, j'ai l'impression de pouvoir accomplir des choses incroyables sans même faire d'effort !
- Je t'enseignerai toutes ses propriétés, mais pour l'heure tu dois me la rendre. Ton initiation va commencer, et tu dois mériter l'honneur de la porter.
- Je suis un garde-tempête, je suis le Gilgamesh de cette île, ce n'est pas rien !
- Un bien curieux argument que voici. Dois-je trembler à l'évocation de ce nom ? N'est-ce pas prétentieux que d'emprunter le nom d'un défunt et d'en faire un titre honorifique ?
- J'imagine que non, vous êtes supérieurs à nous sur bien des points, même si vous prétendez le contraire, du haut de votre fausse humilité. Je suis sûr que vous auriez pu terrasser ces hommes et ces femmes d'une simple pensée, plutôt que de vous livrer à une scène si spectaculaire. C'est peut-être dans notre faiblesse que réside notre plus grande force. Vous ne devez pas connaître d'ennemi, pour tenir un raisonnement si irrespectueux envers l'individu qui m'a inspiré. C'est pour sa mémoire que je vais me battre. C'est par ses enseignements et le respect que j'ai pour lui, que je me tiens à présent devant vous.
- Certes oui, petit homme, j'aurais pu défaire cette menace d'une simple pensée. Mais quel en aurait été l'intérêt ? Je ne vous dois rien, et ce combat devait être le vôtre. Je vous ai rendu service par le simple fait de prendre part à cette guerre, alors que mon intention première était de sauver mon plus vieil ami. Tu sais, les autres montraient un peu plus de respect que toi. Mais c'est cette irrévérence pourtant qui me fascine, et te différencie par la même de tous les autres... Qui plus est, tu te trompes. J'ai des ennemis, je ne leur voue simplement aucun culte, ni ne les arbore en trophée dès que la chance m'en est donnée. Bien que je maintienne que nous soyons semblables sur énormément de choses, vous vous enfermez dans des croyances et des rituels idiots.
- Votre plus vieil ami ? Votre plus vieil ami est un animal ? C'est cette tortue qui jamais ne plonge, et nous abrite depuis des millénaires ? Mais mes amis sont morts là-bas ! Vous auriez pu et vous auriez dû les sauver !
- Oui cette tortue. Je n'aime pas le dédain qui t'habite soudainement. Leur sort ne me concerne aucunement. Je t'ai donné le moyen de les défendre, et tu as échoué. Il va te falloir apprendre à vivre avec tes frustrations Gallen.
- Gilgamesh !
- Peu importe, le nom que tu portes ne change rien à ce que tu es. Tu es venu à moi comme un enfant effaré la première fois. Tu n'étais pas prêt. Aujourd'hui la seule chose de différente, c'est que tu as goûté au meurtre, et qu'en plus d'être effaré, tu deviens même effarant. Ton innocence s'est envolée, et ton assurance frise l'orgueil. Je vais faire en sorte de te mettre sur le bon chemin, et nous reparlerons de tout ceci quand tu auras enfin ouvert les yeux.
- Je me souviens ne rien avoir eu à répondre à ces attaques à mon encontre, car le porteur de la broche avait raison. Il semblait mieux me connaître que je ne me connaissais moi-même.
- Monseigneur, se peut-il que cet individu se présente à nous, un jour prochain ?
- Je l'ignore, Heliomère. Je sais simplement que ses dessins son nombreux, et que je ne serais absolument pas surpris s'il en avait un pour toi aussi. Pour autant, il ne semble pas se montrer sans raison vraiment valable, aussi le fait que tu me poses cette question prouve que tu n'es pas dans ses plans.
- C'est d'une logique imparable Gilgamesh. »
Annotations