Un prince pas si charmant (partie 2)

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Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Lola se réveilla. Elle ouvrit péniblement les yeux, le cerveau embrumé et la tête cotonneuse. Avec difficulté, elle se redressa dans le lit. Elle calait son dos avec son oreiller lorsque Kévin entra dans la chambre, un plateau-déjeuner dans les mains. En le voyant, son corps tout entier se raidit.

— Ah, ma princesse est réveillée ! lança-t-il d'une voix tout ce qu'il y avait de plus naturelle.

Lui décrochant un sourire à tomber par terre, il posa le plateau sur le lit. Lola eut un mouvement de recul lorsqu’il se pencha pour l'embrasser. Il fit mine de rien et prit place sur le rebord du lit.

— Tu as faim ? Y'a du café, des tartines beurrées et un grand verre de jus d'oranges fraîchement pressées.

Sur la retenue, la jeune femme fit un signe de dénégation.

— Oh, sinon la glace a fait des merveilles, ta lèvre a bien dégonflé, poursuivit-il en infirmier consciencieux.

Lola hallucinait ! Il est frappé d'amnésie ou quoi ! se disait-elle. Il a occulté de sa mémoire qu'il m’a frappée… que la violence de son geste m’a fait perdre mon bébé ? Elle le regardait comme si il s’agissait d’un extra-terrestre. Kévin tenta d'approcher sa main de la sienne posée sur les draps mais craintive, la jeune femme l'enleva aussitôt. Une pointe de tristesse passa dans ses yeux tandis que ceux de Lola se chargèrent de peur.

— Parle-moi ! Je t'en prie, parle-moi ! Déteste-moi, s'il le faut mais dis-moi quelque chose ! la supplia-t-il en s'écroulant à genoux. Pardonne-moi ma chérie ! Je te jure que je n'ai pas voulu ça ! Pardonne-moi… Je t'en supplie… Je t'aime tant !

L’homme éclata en sanglots tel un gamin meurtri.

— Si tu me repousses, je me tuerai… Je te jure que je me tuerai ! Je ne pourrai jamais vivre sans toi ! hurla-t-il de désespoir.

Sa voix se perdit dans un râle douloureux. À bout de force, il s'écroula, la tête enfuie dans le matelas qu’il martelait de son poing comme s'il voulait se punir... Comme s’il se martelait lui-même.

Lola posa son regard sur sa grande carcasse secouée de pleurs mais ne bougea pas d'un pouce. Elle se contentait juste de le fixer mais sans vraiment le voir. Perdue dans les méandres tortueux de son esprit, elle se repassait en boucle sa soirée d'hier.

Son dîner avec Beth… La tristesse de leur séparation… Sa course folle… Kévin ivre mort… La dispute… Des paroles acerbes… Une gifle… LA gifle… puis CE sang… SON sang ! Cette dernière pensée voila ses yeux. Mais elle revoyait aussi Kévin… Effondré par son geste, anéanti de la perte du bébé… S’en vouloir à mort… Pleurer de douleur avec elle… Puis s’occuper d'elle avec une infinie douceur… Veiller sur elle férocement… Il l'aimait d'un amour indéfectible. D'ailleurs, il n'avait cessé de le lui répéter. Implorant son pardon sans discontinuer. Elle avait ressenti sa détresse jusque dans sa chair. Il était incapable de feindre de la sorte… Il était sincère !

Après s'être repassé le film sordide de ces événements d'hier, une évidence s’imposa dans son esprit : il n'avait jamais voulu lui faire du mal. C’est un « dérapage » accidentel, se dit-elle… Un simple et malheureux accident ! Il ne pouvait en être autrement… Lola s’accrocha à cette pensée avec véhémence.

Elle-même l'avait giflé et bien qu’elle restait persuadée que son geste était mérité, elle culpabilisait malgré tout d'avoir perdu son sang-froid. Elle n’aurait jamais du s’abaisser à ça…

Émergeant de sa torpeur, Lola baissa son regard vide sur cet homme dévasté par le chagrin. Hésitante, elle approcha une main tremblante et la posa sur sa chevelure. Reconnaissant, Kévin leva son visage baigné de larmes vers elle et embrassa cette main offerte. Lola se raidit à son contact mais le laissa faire. Lorsqu'il voulut lui déposer un baiser sur la joue, instinctivement elle détourna la tête.

— J'ai besoin de temps, se justifia-t-elle d'une voix atone.

— Je comprends. Prends tout le temps qu'il te faut. Je vais tout faire pour que tu me pardonnes, tu verras. Plus jamais, je ne te ferai de mal. Je te le promets ! Et plus jamais je ne boirai à en être ivre mort. D'ailleurs, ce matin, pendant que tu dormais, j'ai vidé toutes les bouteilles d'alcool dans l'évier… Comme ça, je ne serai pas tenté !

Lola le remercia de son initiative d'un hochement de tête.

— Et bientôt, nous aurons un autre bébé, je t'en fais la promesse, déclara-t-il. Avoir un enfant de toi est ce que je désire le plus au monde. C'est le plus beau cadeau que tu puisses me faire. Tu vas prendre rendez-vous chez le gynécologue pour s'assurer que tout va bien et je t'accompagnerai… Tu ne seras pas seule à surmonter cette épreuve. Tu ne seras plus jamais seule… Je te le jure ! Tu es mon amour pour toujours.

Lola opina du chef. Des larmes perlèrent sur le bord de ses cils à l'évocation de sa fausse couche mais elle ne prononça aucun mot.

— Bien ! Pour l'instant, tu as besoin de repos. Dors tranquille… Je veille sur toi.

Et voilà… Kévin venait de reprendre la maîtrise de leur vie… d'une main de maître.

Il l'aida à se recoucher et la borda tendrement. Il avait envie de l'embrasser mais s'abstint. Puis, avant de quitter la chambre, il se retourna et resta quelques minutes à la contempler.

Épuisée, la jeune femme s'endormit aussitôt.

Peut-être était-elle naïve ? Mais Lola voulait croire en ses belles paroles… Elle voulait croire en lui… Croire qu'il tiendrait promesse… Elle l'aimait toujours aussi fort mais surtout elle n'avait que lui dans la vie.

Kévin était TOUTE sa vie…

*****

Plongée dans la pénombre de la chambre, Lola s'éveilla moite de sueur. La nuit avait été peuplée de cauchemar. Le regard affolé, elle tourna la tête de gauche à droite et mit quelques secondes à se repérer dans l'espace. La respiration saccadée, elle reprit peu à peu le contrôle de son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle se redressa contre la tête du lit mais poussa un cri de surprise en découvrant Kévin, installé sur le fauteuil juste à côté.

— Quoi ? s'écria-t-il en chutant lourdement depuis sa couchette improvisée. Il s'y était assoupi en veillant sur elle.

— Que t'arrive-t-il ? Tu as mal ? Tu as besoin de quelque chose ?

Il avait les yeux explosés, une barbe hirsute de deux jours et les vêtements tout chiffonnés. Lola comprit en le voyant qu'il n'avait pas fermé l'œil depuis « l'accident ». Bien malgré elle, elle se sentit coupable de son état.

— Non, ça va, le rassura-t-elle. J'ai juste envie d'aller aux toilettes.

— Oui oui… bien sûr. Tu veux que je t'accompagne ?

— Non… Aide-moi juste à me lever, ça ira.

Elle posa un pied par terre mais fut prise d'un vertige en se mettant debout et dut s'accrocher au bras de Kévin pour ne pas s’écrouler.

— Ça va ? s'inquiéta-t-il en la soutenant.

Lola hocha la tête. Le vertige était déjà passé.

— Tu dois manger quelque chose ! Je vais te préparer un sandwich sur le pouce, lui dit-il en la laissant devant la porte des toilettes.

Elle opina de la tête.

D'un pas lent, Lola se dirigea vers les WC. Elle s'accroupit pour se soulager et des caillots de sang tombèrent dans la cuvette. Elle serra les dents aussi fortement qu'elle pressa ses paupières. Après s'être munie d'une protection hygiénique, elle se lava les mains et se passa de l'eau froide sur le visage. Elle regarda son reflet dans le miroir ; hormis les cernes noirs encerclant ses yeux, sa lèvre avait effectivement dégonflé, seule une légère incision subsistait à la commissure.

De retour dans la chambre, elle avala le sandwich thon/salade sous l'œil bienveillant de son infirmier. N'ayant aucune sensation de faim, elle engloutit son « en-cas » avec appétit, à sa grande surprise.

Elle le remercia après avoir bu le verre d'eau qu'il lui tendit.

Les quelques pas effectués jusqu'aux toilettes l'avaient épuisée. Porter son corps était au-dessus de ses forces, ses jambes flageolaient, elle se recoucha. Kévin remonta la couette sur ses épaules, lui caressa les cheveux d’un geste paternel et plongea son doux regard bleu azur, qu'elle aimait tant, dans ses prunelles noisettes.

Lola déglutit légèrement, se demandant ce qu'il attendait. Instinctivement, ses mains serrèrent les draps sous son menton.

Sa réaction affecta Kévin, il détourna aussitôt le regard.

— Je vais dormir sur le canapé. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'auras qu'à m'appeler.

Lola esquissa un sourire timide.

— Bonne nuit ma puce, à demain, lui dit-il avant de se diriger vers la porte.

— Bonne nuit Kévin, répondit-elle la voix souffreteuse.

Il referma la porte sur lui et bientôt, la jeune femme entendit le fond sonore de la télévision.

Soulagée, elle se détendit. Elle savait qu'elle n'aurait pas pu dormir sur ses deux oreilles avec Kévin à ses côtés. Même si elle lui avait pardonné, il était encore trop tôt et la douleur bien trop présente dans son cœur.

Elle se tourna dans le lit et ferma les yeux.

Quelques instants plus tard, Lola s’abandonnait sans récession dans les bras de Morphée.

*****

L'odeur du café frais emplissait l'appartement. Les effluves du breuvage vinrent chatouiller les narines de Lola. La jeune femme s'étira langoureusement dans un bâillement. Elle cligna des yeux puis regarda le radio réveil : il affichait dix heures trente.

Le soleil était déjà haut dans le ciel, la jeune femme avait grandement prolongé sa grasse matinée… Elle avait dormi d'un sommeil réparateur et elle se sentait vraiment en meilleure forme. Pour autant, sa douleur était toujours présente dans sa chair et elle le sera sûrement à tout jamais… Seulement il lui fallait aller de l'avant si elle voulait s'en sortir, ne pas se laisser sombrer. Ce n’était pas dans sa nature de s’apitoyer sur son sort. Elle avait traversé diverses étapes douloureuses dans sa jeune vie, notamment le décès de sa mère, et elle avait toujours relevé la tête.

Avec appréhension, elle mit un pied par terre, suivi du deuxième puis se mit debout. Aucun vertige. Elle fut rassérénée sur son état physique. Son état psychique ? C’était une autre histoire.

Elle sortit de la chambre pour se rendre à la salle de bain. En chemin, elle entendit des bruits de casseroles à la cuisine. Kévin est aux fourneaux, en déduisit-elle.

La jeune femme avait une forte envie d'une douche salvatrice. Un besoin de laver les évènements passés… Faire peau neuve… Gommer l'inconcevable !

Abandonnant ses vêtements à ses pieds, elle se glissa sous les jets brûlants et laissa couler l'eau sur sa peau de longues minutes. Petit à petit, la chaleur dénoua les muscles de ses épaules. Elle empoigna la fleur de lavage et frotta énergiquement son corps qui, sous les frictions qu'elle lui infligeait, prit une couleur rosée. Elle shampouina ensuite sa chevelure avec douceur et se fit un masque capillaire. Enfin, elle tourna le thermostat. Baissant la température, elle offrit son visage baigné de larmes à la fraîcheur de l'eau quelques instants.

Au moment où elle sortait de la cabine, la porte de la salle bain s'entrouvrit. Kévin passa la tête dans l'entrebâillement.

— Tout va bien ? lui demanda-t-il.

Lola se précipita sur son peignoir et se vêtit à la hâte.

— Tout va bien, merci, le rassura-t-elle d'une voix ténue.

Satisfait, Kévin hocha la tête.

— Tu es vraiment la plus belle femme que j'ai jamais vue ! déclara-t-il les yeux admiratifs avant de refermer la porte sur lui.

— Merci, murmura à peine Lola mais il était déjà parti.

Lorsqu'elle eut séché sa chevelure, elle scruta minutieusement son visage dans le miroir. Après un examen attentif, elle fut soulagée de voir que sa lèvre avait cicatrisé ; l'enflure avait complètement disparu sous l'effet de la glace et sa joue n'était que légèrement rosie, rien qu'elle ne puisse cacher sous un maquillage minutieux.

Elle prit ses crèmes, poudres, pinceaux, fards et autres crayons et s'appliqua à se faire belle. Elle voulait se plaire à elle avant tout !

Une fois l'opération camouflage terminée, elle recula de quelques pas et observa son œuvre. Elle sourit, satisfaite. C'était parfait ! Invisible !

Elle enfila un short en jean et un tee-shirt court puis sortit sur la terrasse prendre l'air, le temps était si beau. Elle prit appui sur le garde-corps, ferma les yeux et offrit son visage au soleil quelques instants, indifférente au brouhaha de la circulation en contrebas. Elle s’installa ensuite à l’ombre sous le large parasol. Kévin apparut, une tasse de café à la main qu’elle accepta. Puis il tourna les talons et revint les bras chargé d’un plateau, garni de deux tartines grillées et confiturées qu’il déposa sur la table de jardin avec un verre de jus d'oranges fraîchement pressées. Lola le remercia d'un signe de tête. Elle prit son petit déjeuner en silence et Kévin retourna à ses fourneaux.

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