Un prince pas si charmant (partie 7)

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Lola poussa la porte de la brasserie chic où Catherine Meyer l'avait invitée à boire un café et faire plus ample connaissance comme elle le lui avait souligné quelques semaines auparavant. Les deux femmes avaient convenu de se retrouver un vendredi soir après le travail puisque Lola finissait plus tôt ce jour-là. Paul fut ravi de ce rendez-vous, il appréciait énormément la jeune fille et il était certain qu’il en serait de même pour sa femme.

Que mijotait-il avec sa femme ?

Voyant Lola s'approcher de sa table pour la saluer, Cath se leva de sa chaise et lui tendit une main chaleureuse.

Les deux femmes commandèrent un café et des « Brownies » faits maison.

Intimidée, Lola baissait les yeux sur sa tasse. Toutes deux se connaissaient très peu… Qu'allaient-elles pouvoir se raconter ? Elles n'avaient pas eu l'occasion jusque là d'avoir une conversation d'ordre privé.

— Parlez-moi un peu de vous, Lola… J'ai envie de mieux vous connaître, entama Cath après avoir avalé une gorgée du breuvage brûlant.

Elle portait un regard affectueux sur la jeune femme.

— Il n'y a pas grand-chose à dire, vous savez. Je suis fille unique. Je n'ai jamais connu mon père : il a quitté ma mère à ma naissance ou ma mère l’a quitté. Je n’ai jamais vraiment su. Bien que Maman ne me l'ait jamais avoué ouvertement, je crois qu'il était alcoolique et qu'il la battait lorsqu'il était ivre.

Cath hocha la tête tristement, l'incitant à poursuivre.

— Maman m'a donc élevée seule. Elle était merveilleuse, elle a travaillé dur pour que je ne manque de rien, combinant jusqu’à plusieurs boulots dans la journée. Elle s'est échinée au travail pour que je puisse faire des études. Elle n'a jamais voulu que le meilleur pour sa petite fille. On était très heureuses toutes les deux. Elle m'aimait pour deux et mon père ne m'a jamais manqué. D'ailleurs je n'ai jamais posé de questions, je n'ai jamais demandé à le rencontrer, je ne sais même pas ce qu'il est advenu de lui ou s'il est encore en vie et pour parler franchement, je m'en fiche royalement, il a fait trop de mal à ma mère.

Lola cligna des yeux plusieurs fois et finit par lâcher.

— Maman est décédée l'année dernière… d'une tumeur au cerveau, la maladie l'a emportée en quelques mois…

Ses yeux se voilèrent à ce souvenir. C'était la première fois qu'elle en parlait si ouvertement, à part avec Beth qui l'avait soutenue et aidée à remonter la pente les mois suivants le décès. Pourquoi se confiait-elle à cette femme qu'elle connaissait à peine ? Peut-être parce qu'il émanait d'elle une réelle force et une gentillesse sans faille ? Cette femme était si apaisante. C'était comme si une aura de bonté l'enveloppait et ce halo bienfaisant incitait à la confidence.

Cath posa sa main sur la sienne et la pressa affectueusement en signe de compassion.

— Je suis désolée, s'excusa-t-elle. C'est affreux !

Lola releva le menton et ravala ses larmes.

— Et vous ? Comment vous êtes-vous rencontrés avec Paul si ce n’est pas indiscret ? l'interrogea-t-elle à son tour, impatiente de connaître leur histoire. Vous formez un si beau couple.

Cath sourit. Une expression nostalgique se dessina sur son visage avant de lui répondre.

— Paul et moi, on s'est connus à un dîner chez des amis communs. J'avais vingt-cinq ans et à cette époque, j'étais en couple avec un autre homme. Paul, lui, était célibataire. À table, nous étions assis côte à côte et nous nous sommes plus au premier regard, un véritable coup de foudre. Après le dîner, il a passé toute la soirée à mes côtés, bavardant exclusivement avec moi de tout et de rien, me couvant de délicieuses attentions. Il était si prévenant. Nous passions un agréable moment, on ne se quittait pas des yeux. Je crois qu'il voulait juste être près de moi, peu importaient les autres invités, rajouta-elle comme pour elle-même mais mon compagnon du moment a très mal pris notre complicité, nos regards à peine dissimulés. D'une jalousie maladive, il était inconcevable que je puisse m'amuser sans lui, apprécier quelqu'un d'autre que lui. Il m'a accusée ouvertement devant tout le monde de me donner en spectacle. J’étais au bord des larmes, assaillie par la honte. Paul a voulu s'interposer quand il m'a attrapée sauvagement par le bras pour me ramener à la maison. Cela aurait fini en pugilat si je n'avais pas supplié Paul de ne rien en faire.

Elle marqua un temps d'arrêt, le regard lointain puis reprit.

— Par la suite, on s'est revus de temps en temps puis de plus en plus souvent. Toujours en cachette à cause du tempérament jaloux de mon compagnon. Nous allions boire un café ou alors il m'emmenait voir un film. Il était si gentil, si attentif à mes moindres désirs, nous passions des heures à bavarder. Je n’étais pas habituée à ce qu’on m’accorde autant d’attentions, à ce qu’on me demande ce que je pensais de ceci ou de cela. Petit à petit, notre amitié s'est transformée en véritable amour. J'attendais l'instant de le rejoindre avec empressement et mon cœur palpitait à tout rompre à chacun de nos rendez-vous. Paul, lui, me dévorait des yeux et pourtant il a mis longtemps à oser m'embrasser pour la première fois…

À ce souvenir, Cath sourit.

— Un jour, nous nous étions donnés rendez-vous au cinéma et je suis arrivée en retard. Paul n'était pas entré dans la salle, il m'attendait dehors, faisant les cent pas. À son regard de soulagement quand il m'a vue, j'ai compris qu'il avait eu peur que je ne vienne pas… que je l’abandonne. Est-ce pour cela qu'il a franchi la ligne blanche qu'il avait tracée entre nous ? Je pense que oui, rajouta-t-elle comme pour elle-même. Quand je suis arrivée à sa hauteur, il n'a prononcé aucun mot… Il m'a tout simplement prise par la taille et ce fut notre premier baiser. Je me rappelle encore du goût qu'il m'a laissé sur les lèvres.

Elle caressa du bout des doigts sa bouche en disant cela.

— Nous avons loué une petite chambre dans un hôtel discret et nous nous sommes aimés comme des amants interdits toute l'après-midi, dévorés par la passion.

Cath fut soudain gênée de s'ouvrir ainsi à la jeune femme.

— Je ne vous choque pas au moins ? s'inquiéta-telle. Quand je pars dans mes histoires, je ne peux pas m'arrêter…

— Non… du tout ! Je vous en prie, continuez ! L'histoire est si belle…

Reconnaissante, Cath poursuivit.

— Nous avions fait de cette chambre d'hôtel, notre nid d'amour. On s'y retrouvait régulièrement. Paul ne cessait de me dire qu'il voulait que je quitte mon compagnon pour venir vivre avec lui, après tout nous n'étions pas mariés et rien ne m'obligeait à rester avec lui, me rappelait-il à chaque occasion. C'était ce que je voulais le plus au monde mais chaque fois, je déclinais son invitation, tout simplement parce que je n'arrivais pas lui avouer les raisons de mes refus… Jusqu'au jour où il a vu des hématomes sur mes cuisses et là… il a compris que mon compagnon me battait... Il a compris mon silence. J'ai fondu en larmes après lui avoir dit que la veille, refusant de coucher avec lui, cet homme m'avait violée. Après cet aveu, je me suis dit que Paul ne voudrait plus de moi. Je me sentais si sale ! J'avais tellement honte ! Honte d’avoir laissé les coups et les humiliations s’installer dans ma vie ! À cette époque, les violences domestiques étaient bien plus taboues qu’aujourd’hui… En parler était difficile car bien souvent lorsqu’une femme osait déposer plainte contre son mari au commissariat pour coups et blessures, on lui faisait clairement comprendre que c’était de sa faute… Si elle déposait plainte pour viol conjugal, c’était une allumeuse qui avait cherché ce qui lui arrivait, une femme se devait d’ouvrir les cuisses pour son mari, si elle se faisait cogner dessus c’est qu’elle l’avait mérité, elle devait obéir à son mari… De ce fait, le silence était souvent de mise…

Lola fut bouleversée par cette révélation. À son tour, elle serra affectueusement la main de Cath pour la réconforter.

— Mais Paul m'aimait réellement et il était fou de rage ! continua sa confidente, ravalant ses larmes. J'ai vraiment été stupide de penser qu'il me laisserait tomber. Tant de fois, j'avais essayé de lui parler des violences que je subissais mais à chaque fois, je me taisais par honte, par peur de le perdre. Sous son insistance, je lui ai raconté tous les sévices, toutes les insultes dont mon compagnon me gratifiait. Paul m'a écoutée en serrant les dents puis, une fois mon récit morbide fini, il a décrété d’autorité que je devais venir chez lui le soir même. Je ne devais pas rester avec ce monstre, une seconde de plus. J'étais en danger de mort, m'avait-il dit. Alors, je lui ai avoué que mon compagnon m'avait menacée de me tuer si je le quittais ou si je racontais mon histoire à quelqu'un… Je l'en croyais capable et j'avais si peur ! Mais Paul n'a pas décoléré pour autant. Il m'a ordonné de prendre quelques affaires personnelles et de partir sur le champ. Il m'a accompagnée jusqu'à mon appartement. Avec Paul à mes côtés, j'ai retrouvé un peu de force et d'espoir dans ma triste vie. Mon compagnon était présent et passablement éméché, il a voulu s'interposer à mon départ mais Paul l'a empoigné par le col de sa chemise et il l'a plaqué au mur avec une fureur et une force dévastatrices que je ne lui connaissais pas. Il l'a assigné à me laisser tranquille, que si l'envie lui prenait de toucher à un seul de mes cheveux, il s'occuperait personnellement de lui et qu'il devrait plutôt être satisfait que je ne porte pas plainte pour violences et l'envoyer croupir en prison pour quelques temps. Et voilà comment je suis sortie de cet enfer. Les menaces de Paul ont porté leur fruit puisque je n'ai jamais revu ce monstre de toute ma vie. Paul m'a sauvée et nous nous sommes mariés quelques mois plus tard. Depuis, je suis heureuse avec un homme qui ne me fera jamais de mal, qui m'aime et me respecte, conclut-elle doucement.

Lola avait les yeux mouillés. Émotionnée par l'histoire qu'elle venait d'entendre, elle resta un instant bouche bée ne sachant pas quoi dire à Cath.

— Vous êtes la première personne à qui j'en parle depuis Paul, poursuivit celle-ci. Et si je me suis épanchée sur votre épaule c'est parce qu'il vous aime beaucoup et mon mari se fait beaucoup de souci pour vous…

Lola ouvrit de grands yeux ronds.

— Du souci pour moi ? Mais pourquoi ? Je vais très bien, se défendit la jeune femme.

— Il m'a dit que votre comportement avait changé d'un coup… Vous êtes devenue triste… taciturne… sur la défensive… évasive dans vos propos. Bref… vous lui rappelez moi quand j'étais avec mon compagnon violent.

— Je suis très heureuse avec Kévin, s'offusqua Lola. Je sais que Paul et Kévin ne s'apprécient pas beaucoup mais de là à penser qu'il me fait du mal ! Je suis vraiment désolée que vous aillez subi toute cette violence gratuite mais ça n'a rien à voir avec moi. Kévin et moi, nous nous entendons à merveille. Il m'aime et je l'aime aussi. Nous ne sommes rien l'un sans l'autre et il est l'homme de ma vie !

— Du calme Lola ! Je ne voulais pas vous blesser mais sachez que d'en parler c'est déjà un premier pas vers la liberté, il ne faut pas en avoir peur.

— Je vous le répète Cath, TOUT va très bien entre Kévin et moi. Je ne vous cache pas que nous avons quelquefois des petites disputes mais rien de comparable avec ce que vous avez vécu. D'ailleurs, dans quel couple, il n'y en a pas ?

— Le mien ! laissa tomber Cath avant de reprendre. Bon… Je ne vous embête pas plus longtemps mais promettez-moi de m'appeler si quoi que ce soit se passe ou même si vous voulez juste parler… Je serais toujours disponible et joignable.

— Je vous le promets… C'est très gentil de votre part, la remercia Lola. Mais ne vous inquiétez pas.

Cath opina du chef, sans conviction.

Il était tard, la journée touchait à sa fin. Les deux femmes n'avaient pas vu le temps passé. Il était dix-huit heures trente et Lola devait être à la maison avant dix-neuf heures si elle voulait avoir le temps de préparer le repas avant que Kévin ne rentre.

Elle regarda sa montre et s'excusa auprès de Cath, il fallait qu'elle parte. Après avoir fourré dans son porte-carte, le numéro personnel que sa nouvelle amie avait pris soin de lui noter sur un bristol, elles se séparèrent.

Catherine Meyer demeura un instant perdue dans ses pensées puis elle se leva et partit rejoindre Paul.

*****

— Tu avais raison chéri… Elle cache quelque chose cette gamine ! déclara Cath en s'asseyant sur le sofa à côté de Paul.

Elle lui relata la conversation qu'elle avait eue avec Lola, sans rien omettre. Insista sur le fait qu'elle avait trouvé curieux que la jeune femme ne se mette pas carrément en colère quand elle lui avait dit qu'elle soupçonnait son compagnon d'être violent, qu’elle ne lui dise pas de s’occuper de ses affaires… La jeune femme avait tout juste paru vexée.

— Si vraiment ce que j'avançais était faux, elle aurait du exploser, non ? En tout cas, moi, c'est ainsi que j'aurais réagi si l’on m’avait relaté de tels propos à ton encontre… Je me serais sentie insultée. Elle, au contraire… pas du tout !

Elle regarda son mari, cherchant son approbation.

— Hum… Effectivement c'est curieux comme comportement.

— Puis quand cette petite parle de son histoire d'amour, on dirait un vrai conte de fée sorti tout droit d'un dessin animé de Walt Disney : un amour sans ombre, une entente parfaite ! - Ils s'aimèrent, se marièrent et eurent beaucoup d'enfants -. Trop beau… trop parfait pour être vrai ! Mais elle a quand même laissé échapper qu'ils se disputaient de temps à autre… L'entente n'est donc pas si parfaite qu'elle veut bien le faire croire.

Cath réfléchissait à voix haute.

— Je pense qu'elle est vraiment et sincèrement amoureuse de Kévin mais dans son cas, son amour l’aveugle. Elle doit être persuadée à tort, comme moi d'ailleurs à l'époque, que ça va s'arranger. Mais ça ne s'arrange jamais et un jour tout bascule et… On n'oublie jamais, murmura-t-elle tout bas.

Paul prit la main de sa femme, la retourna avec délicatesse et embrassa sa paume avec une tendre sollicitude. S'arrachant à son passé douloureux, Cath lui sourit. Elle avait eu la chance d'avoir rencontré un homme merveilleux qui l'avait aidée à fuir cet enfer éternel avant qu'il ne soit trop tard. Toutes les femmes violentées n'avaient pas cette chance, beaucoup trop mouraient encore sous les coups de leur conjoint dans le plus complet anonymat. À peine deux ou trois lignes dans le journal…

Il était de son devoir d'aider Lola à son tour… Mais encore faudrait-il que la jeune femme le veuille. Elle ne pouvait pas la forcer à lui faire des confidences, il fallait que cela vienne d'elle sinon elle se refermerait comme une huître.

— Paul ! Tu vas devoir être des plus attentifs… Si tu as un doute sur quoi que ce soit ou si tu devines une trace de violence quelconque, parle m'en sur le champ. Je trouverai bien un moyen de faire craquer le vernis. Il faut que cette gamine parle !

— Comptes sur moi… Tu sais que j'ai l'œil pour ça ! lui certifia Paul. Je suis prêt à l'aider comme je t'ai aidée. Tu sais bien que j'ai beaucoup d'affection pour Lola.

— Merci mon chéri ! Je me demande ce que je ferais sans toi ? soupira son épouse avant de l'embrasser tendrement.

*****

Lola était perturbée par les accusations tendancieuses portées par Cath sur Kévin. Comment pouvait-elle le comparer à son ex compagnon ? Paul avait-il aperçu une trace sur son visage ? Non ! Impossible, se dit-elle tandis qu'elle regagnait l'appartement. Son camouflage avait été parfait ! Alors d'où provenaient ces soupçons ? Elle avait été particulièrement attentive à tout cacher.

Bien sûr, elle compatissait sincèrement pour Cath. Ce qu'elle avait enduré était une horreur, une aberration de l'être humain. Elle était bouleversée et en même temps flattée qu'elle lui ait confié cette tranche de vie affreuse. Elle avait perçu le trouble et la tristesse qui l'avaient envahie en se replongeant dans ce souvenir douloureux. Peut-être s'était-elle tout simplement laissée emporter par les élucubrations de Paul et avait-elle fait un amalgame entre Kévin et son ancien compagnon ?

— Certainement ! s'exclama Lola tout haut. Sa voix empreinte d'une pointe de victoire résonna dans l'habitacle de la voiture.

Elle connaissait Kévin sur le bout des doigts… « L'accident » était loin derrière eux, bien loin et depuis ils filaient le parfait amour, sans un mot plus haut que l’autre, sans un geste déplacé. Elle l'aimait à en perdre la raison ; ce qui n'était pas le cas de Cath envers son ex.

Kévin ne voulait que leur bonheur… Il voulait se marier avec elle et avoir des enfants. Il était un amant formidable et jamais il ne l'avait forcée à faire l'amour.

Rien à voir avec le sauvage décrit par Madame Meyer.

Son raisonnement tenait la route. Rassérénée par son discours intérieur, elle gara son véhicule puis se précipita dans l'immeuble.

Il était dix-neuf heures trente, la circulation avait été plus dense que prévu.

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