Un crapaud presque charmant (partie 4)
Il était une heure du matin lorsque le petit groupe d’amis arriva à la discothèque bondée de monde. Ils s'installèrent autour d'une des rares tables à être encore libre et le fiancé commanda du champagne pour tout le monde. Lucas parlait boulot avec Kévin ; tous les deux semblaient décidés à ne pas bouger de leur place. Lola, quant à elle, était impatiente de fouler le Dancefloor. Elle but une gorgée de bulles et se leva pour rejoindre la piste. Beth et Thomas lui emboîtèrent le pas.
Sur la piste, les notes de musique allumèrent un feu incandescent dans le corps de Lola. Comme après une longue période d'abstinence, la jeune femme fut prise de frénésie et enchaîna les danses les unes derrière les autres. En état d'exaltation intense, elle libéra tout le stress accumulé de ces derniers jours en se laissant porter par les accords des platines du disc jockey. Thomas était un excellent danseur. Tour à tour, il fit virevolter les deux amies ; ce qui eut pour avantage de repousser certains garçons un peu trop entreprenants. Devant sa stature imposante, aucun n'osa les importuner.
Lola n'avait aucune idée du temps passé à s'éclater sur la piste de danse lorsqu'elle rejoignit la table mais elle discerna nettement le regard renfrogné de Kévin posé sur elle.
— Tu t'amuses bien ? lui demanda-t-il à mi-voix d'un ton sarcastique.
Elle reconnut aussitôt ce ton qui l'effrayait un peu.
— Beaucoup ! répondit-elle avec prudence. Merci pour cette belle soirée. Elle posa sa main sur sa cuisse musclée et l'embrassa. Son haleine sentait l'alcool…
La jeune femme but une gorgée de champagne et bavarda gaiement avec Beth et Thomas tandis que Kévin reprenait sa conversation sérieuse avec Lucas.
Elle ne retourna pas danser…
Vers quatre heures du matin, Kévin décida de rentrer. Il prit Lola par la taille et s'excusa auprès des autres.
— Désolé de vous abandonner les amis mais je dois travailler demain, même si c'est le week-end… Le poids des responsabilités.
Compréhensible, tout le monde acquiesça… Puis il se faisait tard.
Ils prirent congés après que Lola eut longuement serré Beth dans ses bras.
— On s'appelle, hein ? l'implora-t-elle, la voix émue à l'idée de la quitter.
Celle-ci opina de la tête, tout aussi émue que son amie.
Se retournant, Kévin lança à Lucas :
— On se voit lundi et on reprend tout depuis le début ! Ok ?
Cette fois-ci, ce fut à Lucas d'opiner de la tête.
Lola prit le volant. Installé sur le siège passager, Kévin renversa la tête en arrière et ferma les yeux. Durant le trajet du retour, elle lui jeta des regards furtifs, son visage était tendu et il fronçait les sourcils. La jeune femme ne pipa pas mot jusqu'à l'appartement.
*****
Une fois la porte d'entrée refermée, Lola se dirigea illico vers la chambre à coucher.
— Je vais me coucher… Je suis vermoulue ! dit-elle à haute voix se parlant à elle-même.
— Rien d'étonnant à ça… T'as passé deux heures à trémousser ton popotin ! Tous les mecs bavaient en te lorgnant ! siffla Kévin entre ses dents.
La jeune femme stoppa net et porta sur lui un regard stupéfait.
— Ce n'est pas vraiment l'idée que je me faisais d'une soirée de demande en mariage… continua-t-il nonchalant en allant allumer la télé comme par défi.
— Désolée de te décevoir mais tu avais l'air tellement absorbé à parler de TON boulot… riposta-t-elle fermement. J'avais besoin de m'amuser pour MON anniversaire !
Il leva les yeux au ciel pour exprimer son agacement puis monta le son du téléviseur.
Lola pinça les lèvres puis tourna les talons, direction son lit. Elle n'avait vraiment pas besoin d'une dispute… Valait mieux capituler !
Les draps relevés jusqu'au menton, la jeune femme fulminait. Elle avait profité de sa soirée, de Beth, de ses amis… Qu'avait-elle fait de mal ? Elle serra les poings de rage. Se tournant et se retournant dans son lit, elle s'emberlificota dans les draps. Elle n'arrivait pas à trouver le sommeil. Le bruit de la télévision résonnait jusque dans sa tête et l'empêchait de dormir.
« Punaise, c'est pas possible ! Il a monté le son, pesta-t-elle en se levant, passablement irritée. »
Pieds nus, en chemise de nuit, Lola se planta devant lui, les deux poings sur les hanches.
— Tu ne voudrais pas baisser le volume s’il te plaît ? Je n’arrive pas à fermer l’œil !
Kévin tourna la tête vers elle. Le regard niaiseux, sourire aux lèvres, il empoigna la télécommande et monta un peu plus le son avant de reporter son attention sur l'écran… l'ignorant totalement ! Exaspérée par son attitude désinvolte, Lola se dirigea d'un pas décidé vers le poste, appuya sur le bouton et le coupa sur le champ.
L'œil noir, Kévin la toisa avec mépris quelques secondes avant de lui envoyer la télécommande au visage avec sauvagerie. Lola eut tout juste le temps de relever le bras pour se protéger mais elle ressentit une vive douleur au poignet. Sous le choc, la jeune femme resta figée de stupeur un instant puis folle de rage, elle se précipita dans la chambre. Elle était remontée comme une boîte à musique. Le temps de la saisir et elle revint aussitôt dans le salon et lui lança violemment sa bague de fiançailles au visage.
— Reprends-la ! Je n'en veux plus ! Je ne veux plus me marier avec toi ! s'écria-t-elle, totalement hors d'elle.
Il la dévisageait avec hargne.
— Tu me fais trop peur ! finit-elle par laisser échapper alors que les larmes affluaient.
Kévin fixait sur elle, un regard blanc à l'instar d’un fantôme. Glacée jusqu'aux os par la peur, Lola trouva quand même le courage de soutenir son regard sans ciller jusqu'au moment où il se leva, alors seulement, elle recula de quelques pas. L'assurance qui l'habitait quelques minutes auparavant, disparut aussi vite qu'elle était apparue. La carrure imposante de Kévin se dessinait à quelques centimètres de ses yeux et elle se sentait aussi vulnérable et insignifiante qu'un minable ver de terre. Elle déglutit péniblement et sous la pression menaçante de son regard, elle baissa honteusement la tête.
— Tu feras ce que je te dis ! Pauvre fille ! la traita-t-il avec dédain avant d'éclater d'un rire tonitruant, ravi de sa soumission.
Rabaissée, humiliée, Lola reçut ces mots comme une gifle cinglante. Elle tourna les talons et s'enfuit en courant dans la chambre. Elle ferma la porte à double tour et se précipita à l'abri sous les couvertures. Elle pressa son oreiller sur ses oreilles, espérant faire taire ce rire assourdissant qui lui martelait le crâne.
Elle ravala le sanglot qui lui montait à la gorge puis pressa fortement les paupières pour se ressaisir. Je ne peux pas continuer à vivre ainsi, se dit-elle. Je ne veux pas être son souffre-douleur. Je ne peux pas me marier avec le « Docteur Jekyll » et subir la violence de « Mister Hyde ».
Ces deux facettes de sa personnalité la terrorisaient.
Plongée dans ses pensées, l'histoire de Cath lui revint à l'esprit. Elle exécrait l'idée de comparer Kévin à son ex-compagnon même si elle devait admettre qu'il y avait aussi, une forme de violence chez son amoureux. Même si cette violence n'atteignait pas le summum… elle était belle et bien présente.
D'ailleurs, existe-t-il une violence plus tolérable qu'une autre ? Plus excusable ? Plus acceptable ? Quel que soit le niveau d'agressivité, la violence reste et demeure un acte odieux !
Avant de s'engager sur la voie du mariage, peut-être devrions-nous faire une pause dans notre couple ? Je l’aime à en perdre la raison mais je ne suis quand même pas stupide au point de subir ses invectives sans broncher. Je ne pourrai pas vivre une vie entière avec lui et avoir cette peur au ventre à me demander qui de « Jekyll » ou « Hyde » rentrera le soir à la maison !
Dès demain, je vais avoir une conversation sérieuse avec lui. Il est intelligent et il faudra bien qu'il prenne conscience de son comportement agressif envers moi, se rassura-t-elle.
Cette nuit-là, elle sombra dans un sommeil cauchemardesque.
*****
Lola voulut ouvrir les yeux mais cela lui demanda un trop grand effort. Elle ne s'était endormie qu'au petit matin et un mal de tête lancinant lui martelait la boîte crânienne.
Lentement, elle jeta un regard ensommeillé sur le réveil. Elle rechignait à quitter son lit mais il était presque midi. À regret, elle se résigna à se lever. Elle avait les jambes en coton. Le crâne douloureux, elle porta une main à son front en se redressant. Le mouvement lui arracha une grimace. Elle posa alors ses yeux sur son poignet et son visage se rembrunit en constatant qu'il était enflé.
« Il va falloir le glacer et peut-être même le bander, soupira-t-elle d’une voix fataliste. Je ne peux vraiment pas continuer à vivre comme ça. »
Avec la lenteur d'un escargot, elle se dirigea vers la salle de bain et se glissa avec délice sous les jets brûlants de la douche. Au bout de quelques minutes, la chaleur de l'eau la réveilla totalement et calma un peu son mal de tête. Baissant le thermostat, elle offrit son visage à cette cascade de fraîcheur. Elle resta ainsi prostrée un long moment, à réfléchir à la soirée d’hier avant de se décider à sortir de la cabine. Vêtue d'un jean et d'un tee-shirt, elle s’installa devant le miroir, elle avait une tête affreuse, des cernes marquaient ses yeux. Elle prit ses pinceaux et se maquilla très légèrement, juste de quoi lui donner visage humain. Dans l’immédiat, tout ce qu’elle avait besoin, c’était de sa dose de caféine et d'un doliprane pour être totalement prête à affronter Kévin.
En route pour la cuisine, elle remarqua à travers les baies vitrées que le ciel était gris… signe annonciateur d’une pluie bienfaisante qui apporterait sans nul doute un peu de fraîcheur après les journées caniculaires précédentes. Elle respira d'aise, elle aimait le soleil mais un petit rafraîchissement, surtout en ville, ne serait pas pour lui déplaire.
Lola marqua un temps d'arrêt en voyant Kévin assis à la table de cuisine. Elle inspira un bon coup et, s’armant de courage, elle traversa la pièce la tête haute, mine de rien.
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