Parfum de vérité
Une sensation de calme et de bien-être s'est emparée de mon corps. Je respire à plein poumons, sans cette oppression permanente, devenue tellement habituelle que je n'y prêtais plus attention. Un peu comme le bruit sourd d'un ventilateur ou d'une tondeuse à gazon. On ne ressent le poids qu'il pesait que lorsqu'il s'arrête. Je profite de cette plénitude les yeux clos. Mes autres sens prennent le relais. La douce chaleur de ce soleil printanier est à peine atténué par une petite brise. Les cris d'enfants se mêlant au tintement d'une clochette. Peut-être une maman ayant cédée devant les yeux de Chat Potté de ses enfants, et ayant accepté de rentrer dans la confiserie.
Un parfum fleuri et enivrant me sort de ma pause hors du temps. Une jeune femme, mini sac à main en bandoulière, passe devant moi en me dévisageant. Cela aussi est nouveau. Pas que l'on me dévisage. Ça, j'ai l'habitude. Mon humeur maussade et mes grommèlements ont suscité de nombreuses fois cette éaction. Non, la nouveauté c'est le visage amusé de cette femme. Avec une dose d'envie. Je suis en effet debout, sur le trottoir, le visage tourné vers le soleil, les yeux fermés. Une tension aux niveaux de zygomatiques me fait dire que je dois avoir un énorme sourire. Une personne m'envie. En la suivant des yeux, je la remercie mentalement.
Je reprends mon chemin, en direction de la cathédrale. Comme un collégien ayant fait l'école buissonnière, je marche d'un pas lent, profitant de chaque instant. Ce moment, tellement particulier car normalement je ne devrais pas être à cet endroit. Je devrais faire quelque chose. Devoir. C'est ce mot, chassé de cette journée, qui lui donne ce goût d'aventure et d'interdit. Après avoir traversé une petite place, avec ses bancs, ses bacs à fleurs et sa piste de pétanque, j'arrive à un embranchement. Droite ou à gauche ?
Je suis indécis. Aucune sirène e m'attire dans une des rues par son chant envoutant. Je laisse donc le destin choisir. Je ferme de nouveau les yeux, mais pas pour la même raison. Quand je les ouvrirai, si je vois en premier un homme, je prends à droite, si c'est une femme, à gauche. J'entame le décompte. Trois, deux, un, ouverture des yeux.
- Merde, un chien ! Et moche en plus.
J'ai dit cela à haute voix. Son propriétaire, qui lui ressemble vraiment, fronce les sourcils, mais ne dit mots. Il m'évite soigneusement et continue son chemin. Un chien. J'éclate de rire. Bon, cela veut dire que je ne dois ni prendre à droite, ni à gauche. Les yeux au ciel, me m'écrie :
- Hé, je ne sais pas aller vers le haut !
Je m'amuse des coups d'oeil en coin que l'on me lance.
Une mélodie sort d'une porte ouverte. Je chantonne machinalement lorsque je reconnais la chanson :
"C'est l'effet papillon petites causes, grandes conséquences ...".
L'invitation est limpide. J'entre d'une démarche détendue dans ce magasin, sans savoir ce qu'il contient.
- Oui papa, oui papa. Oui promis. Moi aussi papa. Il faut vraiment que je te laisse. Oui, à ce soir papa. Moi aussi. Je raccroche.
Une jeune femme, smartphone coincé etre la tête et son épaule, déambule entre les rayons de produits de beauté. Passant devant un meuble entier de rouges à lèvres, qui ne sont pas tous rouges d'ailleurs, elle se dirige vers moi.
- Bonjour Monsieur. Veuillez m'excusez pour le téléphone.
Je ressens une gêne excessive dans le son de sa voix. Pour la rassurer et la détendre, je lui réponds :
- J'ai cru comprendre qu'il s'agissait de votre père.
- Oui effectivement. Vous êtes très perspicace ! Je peux vous renseigner ?
Peut-elle me renseigner ? Comme je ne sais pas pourquoi je suis rentré, cela va être compliqué. Enfin si, je le sais mais je ne peux pas lui dire. Pendant que je me demande ce que je vais lui répondre, elle attend tranquillement devant moi. Je me décide à lui répondre la vérité.
- Je suis entré par hasard, enfin presque. Je ne savais pas ce que vous vendez et je ne suis pas très produits de beauté.
Elle va me prendre pour un illuminé, c'est sûr. Mais ce n'est pas grave, j'ai vécu pire.
- J'ai déjà eu des clients qui ne savait pas quel cadeau offrir à leur épouse mais vous êtes le premier à entrer sans savoir ce que je vends ! répondit la jeune fille en riant.
Je ne lui fais pas peur, c'est déjà ça. Nous nous regardons, amusés. Pendant que la chanson de Bénabar se termine, je remarque le badge rectangulaire sur son chemisier. Il y est écrit son prénom : Abigaïl. J'attends et je ne sais toujours pas ce que je vais faire. Pourtant le signe était sans ambiguïté. Elle doit sûrement savoir le but de cette étape. Je lui demande alors :
- Donc ?
- Donc quoi, Monsieur ?
- Donc qu'est-ce que je fais maintenant ?
Les sourcils d'Abigaïl se soulèvent en même temps que sa bouche forme un O. Un sourire sincère revient sur son lèvres.
- Vous êtes un peu barré quand même. Sympathique mais barré !
Puis, se rendant compte de ce qu'elle vient de dire, elle plaque ses deux mains sur sa bouche. Son visage est un véritable nuancier de rouge : du rose foncé jusqu'au cramoisie. Elle reprend, sur le ton d'une enfant ayant dit une énorme bétise :
- Je suis désolé de vous avoir parlé ainsi. Ce n'est pas une excuse, mais cela sort tout seul. Mes amis me disent souvent que mon filtre est cassé...
Comme sa sincérité est rafraichissant. Pas de faux-semblant, pas de non-dit. La vérité clair et nette. Cela doit souvent être embarrassant de dire les choses sans mettre de petites fleurs mais cela me plaît.
- Ne vous excusez pas Abigaïl. Vraiment. Et en plus, vous avez raison.
Elle se détend un peu en voyant le sourire que j'affiche. C'était exagéré de ma part de lui demander ça. Je balaie les rayons du regard et mes yeux s'arrête sur l'affiche de Johnny Depp devant un feu de camp en plein désert. Sauvage ! Enfin, c'est ce qui est écrit. Un parfum, ça serait bien. J'aimais en mettre avant, quand nous sortions avec Vanessa. Abigaïl, les lèvres serrées comme pour contenir d'éventuelles autres phrases que son absence de filtre n'aurait pas stoppé, n'a pas bougé. Je montre le rayon du doigt.
- J'ai trouvé, je souhaiterai un parfum.
- Pour Homme ou pour Femme ?
- C'est pour moi.
Nous nous retrouvons devant des dizaines de flacons de formes et couleurs différentes. Devant mon expression perdue, Abigaïl me demande :
- J'ai l'impression que vous n'avez pas de parfum de prédilection. Dites-moi, est-ce pour une occasion particulière ?
- Oui, pour un rendez-vous. Un premier rendez-vous en faites.
Alors que je me demande pourquoi j'ai dit cela, ses yeux se posent alternativement sur mon alliance et mon visage. Elle fait deux va-et-vient, ouvre la bouche et la referme immédiatement. Son visage se ferme.
- Ce n'est pas ce que vous pensez, lui dis-je.
- Je n'ai rien dis, Monsieur. Et vous faites ce que vous voulez, dit-elle d'un ton pinçé.
Son entièreté me plaît beaucoup. Quelle belle personne.
- Vous êtes unique Abigaïl !
Mon épouse m'a quitté il y a plus de sept ans, mais j'ai jamais pu enlever mon alliance.
Le voile de froideur disparait de son visage. Une expression compatissante pris la place immédiatement.
- Je suis désolé. Sincèrement. Je ne voulais pas vous jugez. C'est plus fort que moi...
Puis elle reprit, confuse :
- Pourquoi m'avez-vous confié cela, Monsieur ?
- Appelez-moi Maxime, s'il vous plaît. Depuis des années, j'ai tellement vu de regards allant de la pitié, à la désapprobation en passant par le mépris. Cela ne me faisait rien, ne m'atteignait pas. Rien ne me touchait. Mais depuis ce matin, les choses ont changé. Et je n'aurais supporté de voir cela dans vos yeux.
- Pourquoi Maxime ?
- Parce que vous ressemblez à la fille que je n'ai jamais eue.
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