La raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure

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 Le dojo est énorme, je n’ai jamais vu ça. Cette école ne lésine vraiment pas sur les moyens… Hinokuni me traîne par le bras pour que je l’affronte. Elle m’amène dans les vestiaires puis me donne une armure et un sabre. Cet accoutrement est vraiment très dérangeant. Le casque couvre tout mon visage et me laisse à peine respirer. Le sabre est assez léger et maniable. Lorsque j’ai fini de me préparer, je rejoins la Présidente sur le tatami. Elle m’attend avec les mêmes protections que les miennes.

  • Bon, on commence ? Tu connais les règles ?
  • Bien sûr.
  • Il n’y aura pas d’arbitre mais ce n’est pas grave, c’est pas un combat officiel !
  • Bon, trêve de bavardages, j’ai pas toute la journée, la coupé-je brusquement.
  • Hmm… Alors tu as l’air motivé…

Elle s’arrête enfin de parler. Son attitude a changé du tout au tout. Elle se concentre et expire un bon coup. Sa posture est parfaite, et elle ne montre pas d’ouverture flagrante. Je me mets en position et me concentre aussi. J’ai déjà pratiqué cet art martial, mais avec un véritable katana. Me battre avec un sabre en bambou risque d’être un peu plus difficile, mais au moins je n’aurai pas à retenir mes coups puisque ce n’est pas une arme trop dangereuse.

 Les règles du kendo sont simples : les combats se jouent en trois points sur une durée de cinq minutes. Le premier à marquer deux points est désigné vainqueur. S’il y a une égalité à la fin du temps réglementaire, alors des prolongations ont lieu sans limite temporelle, jusqu’à ce que l’un des combattants marque un point.

 Hinokuni s’élance vers moi. Elle me rue de coups que je pare aisément. Parfois, il m’arrive d’esquiver son épée. Cependant, je ne réplique pas pour l’instant. Après cet échange à sens unique, la jeune fille saute en arrière et se remet en garde.

  • Je le savais, tu es doué… Mais il va falloir attaquer si tu veux gagner…
  • Gagner en trois points, c’est beaucoup trop long, je préfère le faire en un point…
  • Comment ça ? Tu ne peux pas changer les règles !

Je prends une grande inspiration. Ensuite, je me redresse et me relâche. Hinokuni a l'air surprise.

  • Qu’est-ce que tu fais ?

Je positionne alors mon sabre au niveau de ma hanche, comme si je voulais le rengainer dans son fourreau. Je me penche légèrement en avant, puis je lève mon regard vers mon adversaire. Celle-ci comprend alors directement ce que je prépare.

  • Quoi ? Un iai* ?!

Je m’élance rapidement vers elle sans dégainer, puis, arrivé à sa hauteur, je frappe un bon coup en même en sortant mon sabre dans le même geste. La jeune fille a de bons réflexes, elle parvient à parer mon attaque, mais son sabre ne tient pas le choc et se casse en deux. Je me redresse alors avant de regarder Hinokuni qui a l’air aussi bien surprise que déçue.

  • Bon, j’ai gagné, tu ne peux plus te battre…
  • Mais… ! Je peux toujours aller chercher un autre sabre !
  • Dans un combat réel tu n’aurais pas eu le temps d’aller tranquillement remplacer ton arme, j’ai gagné, point final.
  • Bon… j’admets ma défaite… dit-elle en enlevant son casque, mais c’est vraiment étonnant, le iai est une technique avancée… Et ta posture… Ce n’est pas celle d’un apprenti… On aurait dit un vrai maître ! Comment tu as atteint ce niveau ? Et c'est quoi cette force ? Les sabre ne sont pas faits pour être brisés si facilement...

Cette fille est encore plus curieuse que Nakashima…

  • Ça, ma chère, ça ne te regarde pas. J’ai gagné, c’est tout ce qu’il y a à retenir.

Je m’en vais vers les vestiaires pour enfin me délester de mon armure. Je peux enfin respirer. Je me dépêche de me changer pour pouvoir rentrer plus vite. J’accroche les protections corporelles à un cintre mais il n’y a pas d’endroit pour ranger le sabre et le casque. Je les emporte donc avec moi pour demander à Hinokuni où les mettre.

À peine suis-je sorti des vestiaires qu’un garçon entre dans le dojo. Il porte une cravate rouge, signe qu’il est en troisième année. Il s’avance vers Hinokuni qui ne s’est pas encore changée.

  • Tiens ? Bonjour, Présidente, ça n’a pas l’air d’aller, tu as perdu, je me trompe ?
  • Oui… et alors ?

Cet étudiant semble être un membre du club de kendo. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas l’air amical.

  • J’ai vu toute la scène, cette personne qui t’a battu, c’est qui ? Je n’ai pas vu sa tête mais je ne pense pas qu’il fasse partie du club, tu as donc perdu contre un simple amateur ?
  • Ce n’est pas un amateur ! réplique la jeune fille.
  • Peu importe, tu ne mérites pas d’être présidente, tu as perdu contre une personne extérieure ! Laisse moi ta place, ça vaudra mieux !
  • Tu peux toujours rêver !
  • Quoi ?! Écoute-moi bien, tu n’es pas forte, je t’ai battue d’innombrables fois au bras de fer, tu n’es qu’une simple Première Année ! Moi, j’ai toujours été le plus fort de tous les clubs de kendo que j’ai fréquenté. Tu sais bien que dans ce monde, c’est la loi du plus fort qui domine ! Alors retire-toi et plus vite que ça !

Ils ne m’ont pas remarqué. J’enfile mon masque afin de ne pas être reconnu puis je me dirige vers eux, pensif.

 On dirait une réplique tout droit sortie d'un film, mais cet élève a totalement raison. Dans ce monde, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Les faibles sont mangés, tandis que les forts sont les mangeurs. Quoi que l’on fasse, les choses évolueront toujours dans ce sens. Voilà une preuve que les gens ne sont pas égaux. Jamais on ne croira un faible, quand bien même il dirait la vérité. Jamais on ne s’en remettrait à lui. Tout ce dont la société se préoccupe, c’est de savoir qu’elle est gouvernée, non pas par des gens justes, mais par des gens forts. Tel est le monde dans lequel nous vivons. On se dit « civilisé », mais nous ne sommes que des animaux, qui cherchons sans cesse à s’élever en écrasant les autres. Cependant, dans le monde des arts martiaux, ce n’est pas la même chose. Et l’étudiant de troisième année qui a fait irruption dans la pièce ne semble pas le comprendre.

En temps normal, je n'aurais pas tenté de répondre, mais les arts martiaux ont façonné une bonne partie de ma vie. C'est pourquoi je ne pardonnerai pas quelqu'un qui se permet de dire des absurdités dessus sans vraiment les connaître.

 Les deux élèves me remarquent enfin. Le garçon se tourne vers moi et s’apprête à dire quelque chose, probablement « alors c’est toi qui a vaincu Hinokuni ? » ou autre chose de ce type, mais je le coupe.

  • Tu as tout à fait raison, la raison du plus fort est toujours la meilleure.
  • Ah, alors tu es d’accord avec moi ? Tu vois Hinokuni, tu ferais mieux de quitter ton pos…
  • Mais... Espèce d’idiot... ça ne s’applique pas aux arts martiaux... dis-je en serrant le poing.
  • Quoi ?!
  • Écoute-moi bien, les arts martiaux ont justement été créés par les faibles pour se défendre contre les forts. Peu importe la force de base, c’est en travaillant sans cesse sa technique que l'on s’améliore.
  • Hein ?! Et qu’est-ce que tu peux bien savoir sur les arts martiaux ?
  • J’en sais plus que tu n’en sauras jamais, réponds-je froidement.
  • Prouve-le alors ! Faisons un duel, le premier qui touche l’autre gagne !
  • Si tu veux.

Le jeune homme part chercher un sabre, puis il revient vers moi. Nous ne portons pas d’armure, il va falloir que je fasse attention à ne pas le blesser…

Nous nous mettons en position. Il est plein d’ouvertures, Hinokuni est sans conteste plus forte que lui…

La Présidente nous sert d’arbitre. Elle sort une pièce de monnaie.

  • Le combat commencera quand la pièce touchera le sol !

Au moment même où retentit le bruit de métal sur le tatami, je m’élance. Avant que mon adversaire ne s’en rende compte, je me trouve derrière lui. Il cherche autour de lui, pensant que j’ai disparu. Au bout d’une seconde, il sent mon sabre caresser son coup. Contraint d’admettre sa défaite, il lâche son arme.

  • J-J’ai perdu… dit-il en serrant les dents.
  • Tu comprends mieux maintenant ?
  • Ça ne prouve rien ! Tu es plus fort que moi et je n’ai rien pu faire ! Ça ne fait que confirmer ce que je disais !
  • Tu as bien dit que tu as toujours été le plus fort de tous les clubs de kendo que tu as fréquentés, n’est-ce pas ?
  • O-Oui…
  • Moi, quand j’étais petit, j’étais le plus faible des enfants. D’ailleurs, on se moquait beaucoup de moi et je restais dans mon coin.

Bien évidemment, si je restais dans mon coin c’est parce que je ne voulais rien avoir à faire avec eux, mais il n’a pas besoin de le savoir.

  • Je vois… Tu m’as complètement battu, aussi bien sur le plan physique que psychologique… conclue-t-il en baissant la tête.

J’enlève mon sabre de son cou et le donne à Hinokuni. Le Troisième Année s’excuse et s’en va. Avant de quitter la salle, il se retourne.

  • Tu peux me dire ton nom ?
  • Tamayori.
  • Je vois, on s’affrontera de nouveau un jour, Tamayori.

À ces mots, il quitte le dojo. J’enlève mon casque pour enfin respirer, avant de le donner à la présidente, qui me regarde avec suspicion.

  • Pourquoi tu lui as donné un faux nom ?
  • J’ai pas envie de me faire remarquer. D’ailleurs, je te saurais gré de ne rien dire de tout ce qui s’est passé ici.
  • Je vois, c’est d’accord, je te dois bien ça, merci.
  • Bref, moi je rentre chez moi, salut.
  • Attends ! Tu n’oublies pas la réunion ?
  • Hein ? Je te rappelle que j’ai gagné...
  • Oui, mais tu as cassé le sabre, et ce genre d’équipement coûte cher. Si tu ne veux pas que je dise aux professeurs, et donc à tous les membres du club, que tu l’as cassé, tu ferais mieux de m'aider !

Je ne suis entouré que de fourbes dans ce lycée… Je pourrais très bien la menacer comme je l'ai fait avec la colocataire de Nakashima, mais obtenir quelque chose par l'intimidation n'est pas dans mes principes. Je ne le fais qu'à ceux qui l'ont mérité. Je n’ai donc pas le choix…

  • Bon… Si c’est juste pour écouter ce qui est dit, ça va…
  • Merci, alors allons-y !
  • Quoi ? Maintenant ?
  • Bien sûr ! Le Comité d'Organisation se réunit tous les jours après les cours !
  • (En soupirant bruyamment) Je pourrai jamais être tranquille...

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