La société n'est qu'un monde d'apparences (2)

6 minutes de lecture

 Le lendemain, je retrouve Hinokuni devant la porte de la salle de réunion pour une nouvelle session. À peine sommes-nous rentrés que le président accourt pour nous saluer.

  • Bonjour, Hinokuni, merci d’être venue !
  • C’est normal, je suis membre du comité après tout !

Il se tourne alors vers moi.

  • Bonjour, vous êtes le nouveau d’hier ! Bienvenue, et merci pour votre aide, je suis Naruhito Kôtei, enchanté !
  • Ah… Ouais…

Je n’ai évidement pas dit que je suis enchanté puisque ce serait mentir. Je l’ignore et vais m’asseoir à ma place. Hinokuni me rejoint rapidement.

  • Tu pourrais pas être plus aimable ?
  • Ça n’a aucun intérêt.

La réunion commence. Comme hier, c’est à un nouveau brainstorming que nous avons droit, et comme hier, toutes les idées sont refusées... J’en ai assez de ce président qui décline tout, il est temps de lui rendre la monnaie de sa pièce.

 Je fais passer un morceau de papier à Hinokuni pour lui indiquer quoi faire. Elle comprend directement où je veux en venir et s’exécute. Elle lève la main pour prendre la parole.

  • Oui, Hinokuni ?
  • En fait, je me disais, vous n’avez jamais donné d’idée, si ça se trouve vous trouverez la solution idéale !
  • Eh bien… Je peux essayer…

Il réfléchit quelques secondes avant de faire une suggestion.

  • Nous pourrions négocier un budget légèrement plus élevé, propose-t-il.

Les autres élèves réagissent.

  • Oui, pourquoi pas !

Bien, c’est ce que je voulais, maintenant, c’est à moi de jouer. Ils sont là, à se vouvoyer, à utiliser des mots qui les fait paraître intelligents et distingués. Cette hypocrisie me débecte. Mais je vais devoir supporter cela. À Rome, fais comme les Romains…

  • Pff… Négocier ?
  • Q-Quoi ? demande-t-il en me regardant avec hésitation.
  • En gros, vous proposez de dépendre du directeur, et non pas de réussir par nous mêmes, vous avez dit vous même que ça ternirait notre image…

Les autres reviennent sur leur parole.

  • Ah oui, j’avoue…
  • Il a pas tort…

Le président a l’air gêné.

  • Oui, vous avez raison… Peut-être que nous devrions nous pencher sur un autre projet…

Je pouffe alors de rire, lui manquant totalement de respect par la même occasion.

  • Qu’y a-t-il, encore ? dit-il avec une pointe d’agacement.
  • Nous pencher sur un autre projet ? Ce serait fuir, vous n’avez tellement pas d’idées que vous abandonnez ? Et je vous rappelle qu’il reste moins d’une semaine. En fait toutes vos suggestions se résument à ternir notre réputation ou quoi ?

J’entends des chuchotements dans la salle.

  • Qu’est-ce qu’il a ce lambda ?
  • Pour qui il se prend à parler comme ça à son aîné ?

Comme d’habitude, je n’y prête pas attention et je continue.

  • Dites-moi, Naruhito-senpai, pourquoi avez-vous voulu présider ce Comité ?
  • Eh bien… Pour aider, évidemment, et pour avoir une bonne expérience qui me servira plus tard…
  • C’est faux, n’est-ce pas ?
  • Quoi ?!

J’inspire un bon coup avant de répondre.

  • Senpai, si vous avez voulu être président, c’est pour satisfaire votre ego, et pour être bien vu. Vous vous souciez trop du regard des autres, être président est l’occasion parfaite pour avoir l’air de quelqu’un d’impliqué dans sa vie étudiante et pour que les gens se disent « quel remarquable jeune homme ! ». « L’expérience » que vous vouliez acquérir, est en fait le sentiment de dominer. Vous n’avez jamais eu d’autorité et donc vous vouliez essayer. C’est pour cela que vous déclinez toutes les idées. On refuse sans cesse et on se sent dominateur... Les principales suggestions que vous avez rejetées n’étaient pas optimales, mais pas mauvaises non plus. Par exemple, le fait de demander de l’aide à d’autres écoles n’était pas une mauvaise idée. Personne n’attendra un résultat parfait de la part de lycéens qui n’ont jamais fait ça auparavant. La boîte à dons était aussi faisable, avec une bonne campagne de communication et tous les gosses de riches qu’il y a dans ce lycée, on aurait pu avoir une jolie somme en quelques jours. Mais non, votre ego stupide nous a fait perdre un temps précieux, et maintenant, pour vous rattraper, vous voulez fuir. Vous vous êtes rendu compte un peu tard que vous êtes un mauvais président, et donc vous essayez de ne pas le montrer, je me trompe ?

Seul un silence me répond. Cela veut tout dire, je lui ai dit ce que j’avais à dire, et il n’a rien à répondre pour sa défense, puisque tout est strictement vrai…

Il reste silencieux un moment puis se décide enfin à ouvrir la bouche.

  • Bien, alors nous devrions continuer, et…
  • Non, nous n’avons pas le temps pour continuer vos discussions débiles, le coupé-je brusquement.
  • ALORS TU AS UNE IDÉE PEUT-ÊTRE ? hurle-t-il en frappant violemment sur la table.

Tout le monde le regarde. Il se rend compte de sa perte de sang froid, et s’excuse.

  • Désolé, je me suis emporté, que proposes-tu, alors ? demande-t-il plus calmement, une goutte de sueur perlant sur sa joue.

Il a l’air vraiment troublé, j’y suis peut-être allé un peu fort…

Je réfléchis quelques secondes à l’idée qui m’est venue hier soir avant de la présenter à mon auditoire.

  • Si le problème est le budget, il suffit de ne pas trop dépenser.

Un des élèves en face réagit.

  • Hein ?! Ça on l'avait compris, le génie, t’es débile ou quoi ?
  • Toi, ferme-la et laisse moi finir.
  • Pardon ?!
  • Je disais donc, il suffit de ne pas trop dépenser. Rappelez-moi, qu’est-ce qui coûte si cher ?
  • Il faut payer le groupe de musique de la chanteuse, la chanteuse elle-même, et vu qu’elle est très connue, les chaînes de télévision vont sûrement s’en mêler, donc on va devoir prévoir de la place, explique le pseudo-président.
  • Je vois, donc vous bloquez pour des problèmes qui n’en sont pas.
  • Comment ça ?
  • Il suffit de ne pas parler du concert avant le jour J, comme ça les chaînes de télévision ne seront pas au courant et ne viendront pas.
  • Mais… Il faut bien que nous fassions une campagne de communication, sinon il n’y aura pas beaucoup de monde !
  • Nous ne sommes pas dans un vieux lycée de campagne, je vous rappelle qu’on est dans la Cité Étudiante, des gens, il va y en avoir. On interdit l’utilisation du téléphone dans la salle de concert, et comme ça, finis les messages sur les réseaux sociaux qui font fuiter l’information.
  • Je vois… Mais il faut toujours payer la chanteuse et son groupe…
  • Le Festival a pour but de montrer nos capacités, non ? Alors il suffit de remplacer le groupe de musique par des élèves qui en font en club. Comme ça, on ne paye personne, et on peut montrer le talent de nos camarades.

J'ai failli vomir en utilisant le mot « camarades » ...

  • Mais pourquoi la chanteuse viendrait si elle n’est pas payée ?
  • La question est plutôt : « Pourquoi ne viendrait-elle pas ? ». Elle est peut-être très célèbre, mais elle reste une étudiante du lycée, son premier devoir en tant que lycéenne est de venir en cours, vous ne pensez pas ? Je sais bien qu’elle ne vient pas souvent, et qu'elle est excusée pour ça, mais si le lycée lui demande personnellement de venir, il n’y a aucune raison pour qu’elle refuse…
  • Je vois, ça a vraiment l’air du plan parfait… L’argent servira donc à avoir du bon matériel et non à payer les artistes…
  • Exactement, conclus-je.
  • Tu es intelligent, pour trouver une idée pareille en si peu de temps… me complimente hypocritement Naruhito-senpai.
  • Bah… C’est pas comme si cette idée venait de moi, j’ai juste pris l’idée de Hinokuni pour avoir la vedette…

La jeune fille réagit.

  • Hein ? Mais…
  • C’est vrai ? Alors tu as juste une grande bouche ! me crache l’un des élèves.
  • Pfff… Il ose critiquer Naruhito alors qu’il est pas mieux…

Après m’être attiré les foudres de tout le monde – ce qui n'est pas pour me déplaire – ce fut enfin la fin de cette réunion, et par la même occasion de toutes les autres. La prochaine fois, c’est l’organisation de la salle de concert dont je vais devoir m’occuper. Naruhito a quitté la salle rapidement sans un mot. Hinokuni m'a sermonné pendant de longues minutes sur le fait que je l'ai utilisée pour ne pas me faire remarquer. Je sais que ce comportement de toujours vouloir dissimuler mes exploits peut être énervant pour les autres, mais il paraît que je suis trop intelligent pour mon âge, enfin c'est ce qu'on m'a dit, alors mieux vaut se faire discret...

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