Les voyages déforment la jeunesse
Cher Yamatori,
Depuis le festival du lycée, on ne s’est plus vus, alors je pensais te remercier pour tout ce que tu as fait. Sans toi, cet événement aurait probablement été un désastre. En plus, tu étais vraiment cool ! Nous sommes dans le même lycée, pourtant je ne saurais dire quand nous nous reverrons. Même si je sais que tu ne me considères pas comme une amie, ni même peut-être comme un être humain, sache que j’ai beaucoup d’admiration pour toi et que je pense à toi comme à un très bon camarade. Je te souhaite plein de bonheur, et j’attends notre prochaine rencontre avec impatience ! Merci énormément !
Bien à toi, Koe-chan.
Voilà ce qu’il y avait écrit dans une lettre glissée sous ma porte le lendemain du festival. À l’heure qu’il est, ce morceau de papier repose tranquillement dans ma poubelle.
Aujourd’hui est un jour de repos après cette éreintant festival que nous avons passé. Je profite comme je peux de cette utopie que l’école m’a offerte, mais mes pensées sont tournées vers ce qui m’attend. Dans environ un mois, je vais être obligé de me rendre à une réception chez Fuyuno pour fêter Noël. Cette situation est déjà vue, c’était exactement la même avec Nakashima, mais les raisons diffèrent.
Après ma petite altercation avec le majordome et ma conversation avec la mère tyrannique, j’ai tout de suite demandé des explications à ma camarade de classe dont le corps était recouvert de bleus. Elle m’a donc tout raconté.
Fuyuno Yuki est la cadette d’une famille haut-placée, qui tient une entreprise multinationale. C’est de là que vient son air gracieux, élégant et luxueux : elle a été élevée ainsi. Cependant, même si d’apparence elle a une vie des plus enviables, toute beauté recèle sa part d’ombre. Depuis sa plus tendre enfance, la jeune fille a été poussée à exceller, dans les études, dans le sport, dans les arts traditionnels, dans tous les domaines. Ce n’étaient pas des encouragements qui l’incitaient à donner le meilleur d’elle-même, non, il s’agissait de coups, d’insultes, de pression, de menaces. La jeune fille vivait constamment dans la peur. Ainsi, pendant la majorité de sa vie, elle n’est pas allée à l’école. Elle avait un professeur particulier, un tyran qui mériterait la prison. Toute la journée, elle était enfermée dans une pièce sombre, avec une petite lampe de chevet comme seule source lumineuse. Dans cette pièce, il n’y avait qu’un bureau et un lit. Elle y travaillait, elle y dormait, elle y mangeait, elle s’y faisait maltraiter, toute la journée. Elle n’avait la permission de sortir que pour étudier les autres domaines où elle se devait d’exceller, comme le sport ou l’art. Si elle est inscrite ici, c’est uniquement parce qu’il s’agit de la Cité Étudiante, et donc y avoir étudié lui procurerait un renom supplémentaire. Dans la famille Fuyuno, tout le monde se doit d’être parfait. C’est une obsession qui, semble-t-il, se transmet de génération en génération…
Ce que ces gens oublient, c’est qu’ils ne sont que de simples humains. Des humains faibles, vils, et bas. Il n’y a pas de perfection dans cette espèce. Elle est par nature mauvaise et égocentrique. Mais si je disais ça à voix haute, on me traiterait de misanthrope…
***
La journée est vite passée, entre le repos et le café, c’est un silence apaisant qui l’a rythmée. Le lendemain matin est arrivé, un jour de cours, comme toujours. C’est en baillant que je suis arrivé en classe, pour rejoindre ma maudite nouvelle place. À ma droite, Nakashima parle toujours autant, à ma gauche, c’est Fuyuno qui étudie silencieusement.
Akatsuki-sensei, fidèle à elle-même, arrive en retard. Elle semble agacée par quelque chose, qu’elle ne tarde pas à révéler.
- Bon… la semaine prochaine c’est le voyage scolaire…
J’avais complètement oublié ce voyage. Encore quelque chose d’inutile… Pourquoi faut-il toujours que les clichés viennent se présenter à moi ?
- Vous ferez du ski pendant ce voyage, ça se passe à Hokkaido*… Les équipements sont fournis par la Cité, vous devez juste avoir des vêtements chauds, et…
Comme d’habitude, Akatsuki-sensei parle comme si elle récitait un texte, pendant que les élèves discutent entre eux et expriment leur joie par rapport à cet événement. Lorsque je lève la main pour demander la parole, tous me regardent surpris, la professeure la première.
- Tiens, Yamatori, c’est rare que tu veuilles parler, qu’y a-t-il ? me lance-t-elle.
- Excusez-moi, mais c’est possible de rester ici ? J’ai pas très envie d’y aller…
À ces mots, mes camarades se mettent à chuchoter dans mon dos.
- Encore lui…
- Toujours en train de casser l’ambiance…
- Il a qu’à changer d’école si ça lui plaît pas…
- Oui, ça nous ferait des vacances…
- Pff… il est ridicule…
Voyant que je ne réagis pas aux remarques, Akatsuki-sensei esquisse un sourire avant de me répondre.
- Yamatori…
- Oui ? demandé-je avec un infime espoir.
- Demande refusée.
Ah… Le contraire m’aurait étonné… Au moins j’aurais essayé…
C’est ainsi que ce cours, ainsi que les suivants, ont continué normalement.
Lors de la pause déjeuner, alors que je m’apprête à rejoindre mon banc favori pour manger au calme, Nakashima m’interpelle et me demande de la rejoindre dans le couloir. Je m’exécute non sans soupirer et je retrouve Fuyuno et Kagami qui ont elles-aussi été appelées.
Nakashima prend alors la parole.
- Je vous ai rassemblés ici parce que je voulais vous dire que… euh… en fait… je vais essayer de me déclarer à Kuroshiro pendant le voyage…
- Très intéressante, ta vie, mais en quoi ça nous concerne ? réponds-je.
- Mais… Sale malpoli ! Je voulais que vous m’aidiez !
- (soupir) Pourquoi ce serait à moi de t’aider dans tes péripéties amoureuses…
- Je suis d’accord, continue Fuyuno, de toute façon je ne suis pas très expérimentée dans le domaine…
- Mais… Yuki ! s’écrie Nakashima en tenant les mains de sa camarade, on est amies, non ?
- A… Amies ? marmonne Fuyuno en rougissant.
- Oui ! Amies ! répond Nakashima avec un grand sourire.
Fuyuno détourne alors le regard, toujours avec ses joues écarlates.
- Je vois… alors je peux au moins te soutenir…
- Oui !! Merci Yuki ! s’exclame Nakashima lui sautant dans les bras.
Elle se retourne ensuite vers moi.
- Et toi, Yamatori ?
- Contrairement à Yuki je ne suis pas ton ami, donc je vois pas en quoi je devrais t’aider.
- Quoi ?! Mais bien sûr que si t’es mon ami !
- Je te l’ai déjà dit, je ne suis l’ami de personne, et personne n’est mon ami. Sur ce bon appétit, dis-je en partant.
Nakashima me regarde m'éloigner en criant dans le couloir.
- Ouais, c’est ça, va-t'en ! J’ai pas besoin des conseils d’un asocial de toute façon !
Quelle plaie cette fille… Elle croit vraiment qu’elle peut imposer son énergie débordante aux autres…
Enfin assis sur mon banc préféré, je reste pensif quelques secondes avant de commencer à manger.
Alors comme ça elle veut se déclarer à Kuroshiro...
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