Chaque jour, elle va à la petite médiathèque municipale de sa minuscule ville. Chaque jour, après les cours, elle trouve un moyen d'y passer au moins un petit moment, ne serait-ce que quelques minutes, pour se ressourcer. Les livres sont devenus sa drogue, elle n'arrive plus à s'en passer. Ses parents désaprouvent : celon eux, elle passe trop de temps dans ses mondes imaginaires, elle délaisse la réalité au profit de ses illusions. Mais elle n'écoute pas. Elle n'imagine même pas le monde sans eux, pas seulement le sien, mais aussi le monde en général. Que serait l'univers sans cette magie qui pulse dans chacun des mots qu'elle lit ? Que serait l'univers sans toutes ces merveilleuses idées qui défilent devant ses yeux ? Que serait l'univers sans chacun des changements qu'elles provoquent ?

Pour elle, chaque livre, chaque recueil, chacun d'entre eux a un impact, plus ou moins grand, sur ce qui l'entoure. Pour elle, même les plus insignifiants, les plus oubliés, ne le sont en fait pas. Parce qu'ils sont importants à leur manière, certes différente, mais tout de même essentielle.

Alors chaque jour, après les cours, elle continue de venir dans la petite médiathèque. Elle a lu tous les livres, a déjà parcouru cent fois tous les rayonnages, les petits recoins et les allées. Mais peu importe. Parce qu'à chaque fois qu'elle y retourne, elle a l'impression que c'est la première fois. Elle redécouvre, chaque jour qui passe, ce qu'elle connaît pourtant par coeur. La vue de tous ces livres gonfle son coeur d'allégresse et de joie, de légèreté, d'espoir... Mais ça, jamais elle ne pourra l'expliquer à personne. Personne ne peut comprendre ce qu'elle ressent. Il faut le vivre. L'expérimenter pleinement. Pour elle, c'est évident, tellement évident que ses parents devraient comprendre eux aussi! Mais elle est lasse de se battre, en même temps. Elle répète, à chaque fois, la même chose, sans qu'ils en saisissent un traitre mot.

Comment mettre des mots sur le fait que tous ces livres la transportent, lui permettent de vivre quand même ce qu'elle ne pourra jamais vivre réellement ? Comment mettre des mots sur le fait que, grâce à eux, elle peut enfin, enfin, sentir un coeur dans son corps ? Ses livres, ils sont son dernier refuge, son sanctuaire, son paradis caché, un paradis que cette fois, personne ne pourra jamais violer, elle se l'est promis. Elle a déjà vécu trop de trahisons, mais cette fois, elle ne laissera rien leur arriver.

Alors quand la petite bibliothèque municipale de sa minuscule ville part en fumée, dans un incendie tragique, emportant avec elle les derniers espoirs, les dernières promesses d'un coeur déjà maintes fois brisé, elle n'hésite plus.

Elle saute.

Elle prend les cachets, bien trop pour les médecins, mais juste assez pour elle... et elle les avale.