VIII. Maya...
Lorsqu'Arse se releva, il sentit la fraîcheur de l'eau sous ses griffes et contempla avec émerveillement la cité qui s'étendait au loin. Chacun des bâtiments étaient semblable à une cascade lumineuse, comme le Rideau. Ces chutes d'eau formaient les parois des bâtisses, leur forme, leur intérieur et même leur sol. À leurs pieds, des gens marchaient paisiblement dans une allée d'eau, surmontant un réel fleuve, le Rideau. De nombreux ponts, eux aussi fait d'eau l'enjambaient. L'esprit d'Arse ne parvenait pas à comprendre comment ce liquide pouvait être aussi dur que la pierre alors qu'il continuait de s'écouler. Cependant, en remarquant la béatitude de Saylin, il se décida à cesser de se tourmenter et à, lui aussi, profiter du paysage. Il s'approcha de la jeune fille et silencieusement, lui posa la main sur l'épaule.
"Ça a l'air peuplé par ici, descendons de ce toit et cherchons des gens qui pourraient nous aider.
- Tu as raison, acquiesça la jeune file en se penchant au bord du toit. "
Il n'était pas très haut mais elle dut attendre un moment pour que personne ne les voie descendre. Quand cet instant arriva, elle glissa donc de son perchoir, ses doigts ne s'enfonçant pas le moins du monde dans la paroi d'eau.
Alors qu'ils se retrouvaient tout deux dans la grande avenue pleine de lumière et de monde, ils se sentirent plus perdus que jamais. À chaque recoin, des gens vaquaient à leurs activités, dans une paix presque effrayante. Leurs traits étaient délicats, leurs cheveux foncés et leur silhouette fine, altières. La plupart étaient vêtus de toge d'un blanc pur, sur laquelle la lumière environnante se reflétait, donnant une allure éthérée à leur porteur. Certains, sous les ponts, les pieds dans le fleuve, cultivaient d'étranges fleurs, d'un rouge vif, aux pétales épais et au cœur jaune flamboyant. Parfois, les travailleurs mangeait quelques plantes qu'ils cultivaient, prenant garde à ce que personne ne les surprennent. Les deux amis restèrent un moment debout au milieu de l'avenue, ne sachant quoi faire et s'étonnant des étranges pratiques des habitants de la cité. Leur stupeur passée, ils hélèrent des piétons au hasard pour leur demander qui dirigeait la ville. Tous leur indiquèrent le plus grand bâtiment, le Temple, la source du Rideau, à quelques rues de là. Après moult remerciements, ils se dirigèrent donc vers ce Temple, qui, finalement, était tellement grand qu'il était impossible de le perdre de vue. De plus, de nombreux passants se dirigeaient vers lui, affichant pour la plupart un air solennel et concentré.
Arrivés au pied de ce gigantesque édifice, lui aussi fait d'une cascade d'eau, Arse et Saylin se sentirent minuscules. La double porte étaient grande ouverte, donnant sur une foule d'hommes et de femmes en toge, assis en cercle, apparemment en train de prier. La lueur qui s'émanait du toit était encore plus puissante que celle du Rideau. Les fidèles étaient nimbés d'une aura blanche qui les rendait presque invisibles tant elle éblouissait les yeux des personnes extérieures. Ils restèrent à nouveau sans bouger devant ce rassemblement spirituel, ne voulant pas troubler l'ordre et le calme et établi. Une jeune fille ne participant pas à la prière s'approcha pourtant rapidement d'eux. Elle ne semblait pas étonnée de voir un homme lézard accompagné d'une fille aussi étrange que Saylin. Avec un sourire étincelant, elle les accueillit :
"Bonjour, que venez-vous cherchez au Temple d'Aïa ? Êtes-vous des disciples ? Des Reflétés peut-être ?
Arse ne parvenait pas à répondre. Son regard était fixé sur la magnifique chevelure blanche de la jeune fille. Il n'avait croisé personne auparavant dans la cité avec une chevelure aussi pâle, mais pourtant aussi lumineuse. Elle tombait en cascade sur ses épaules, seulement décorée d'une couronne de tresse. Sur le visage de la jeune fille, une immense tache d'un bleu foncé se découpait, un cercle parfait orné de multiples détails à l'intérieur, des sortes de runes peut-être. Cette étrange marque lui recouvrait tout le visage, du menton au front, en passant par les paupières et les joues.
- Non, nous ne sommes pas des disciples, nous ne connaissons pas votre cité, nous somme des étrangers. Nous voulons rencontrer les dirigeants de ce pays, déclara abruptement Saylin.
Cette requête arracha un rire désabusé à la jeune fille.
- Ce n'est pas aussi simple de rencontrer les Immaculés, elle prononça ce nom avec une déférence presque sacrée, je vais me voir dans l'obligation de vous demander de partir.
- Attendez ! s'exclama brusquement Arse. Nous ne connaissons pas vos Immaculés, ni votre cité, nous ne sommes pas ici pour une promenade de santé ! Nous cherchons de l'aide, c'est vraiment urgent, je vous en prie.
Il venait de faire le déballage de toutes les expressions de supplications qu'il connaissait, et, intérieurement, son honneur en pâtissait. Le regard de la jeune citadine s'adoucit légèrement mais n'en demeura pas moins sévère.
- De l'aide ? Pourquoi ? Pour qui ? les interrogea-t-elle.
- Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je préférerais m'en entretenir avec ceux capables de ma la prodiguer.
- Sous entendez-vous que je n'ai aucunes compétences pour vous aider ? suggéra l'inconnue.
Saylin sentit que, à travers cet air hautain, son cœur était bien plus doux et prêt à aider, blessé de la remarque du lézard.
- Non absolument pas, mais j'ai bien peur d'avoir besoin de plusieurs personnes comme vous à mes côtés pour que notre action ait un réel impact.
- Donc si je comprends bien, vous me demandez de vous arranger une rencontre avec les personnes les plus importantes du pays pour des raisons que vous ne souhaitez pas me confier ?
Le lézard regarda quelques instants le sol avant de bafouiller :
- Euh... Oui en quelque sorte.
- Et bien, j'en suis navrée croyez-moi mais je vous souhaite un bon retour chez vous.
- J'aurais apprécié pouvoir en profiter, murmura le lézard sans entrain.
- Que voulez-vous dire ? l'interrogea la jeune fille, soudain compatissante.
- J'ai l'impression que je n'ai plus le choix. Si je suis ici, c'est pour avoir le droit de gouter à un bon retour chez moi. Mon foyer est en guerre, ma famille et mon peuple se font exterminer et je viens chercher de l'aide pour repousser l'envahisseur et éviter que ma race ne s'éteigne. J'ai découvert il y a moins d'une semaine que d'autres anneaux existaient, que des gens pouvaient m'aider et que, finalement, je n'étais pas seul...
Il releva les yeux vers elle à la fin de sa tirade, tentant d'adoucir les flammes qui y brulaient. La jeune fille planta son regard dans le sien, de grands yeux noisettes, emplis de douceurs et de compassion.
- Vous n'avez plus de foyer... Et pourtant, j'ai toujours su, et toute la cité le sait, que d'autres anneaux s'alignaient sous le nôtre, mais je ne savais pas que votre peuple existait encore. Ce n'était qu'une légende à mes yeux, une légende du quatrième anneau... Vous faites la guerre avec les gnomes c'est cela ? Ils y vivent aussi ?
- Oui, ils sont arrivés sur ces terres après nous, et les ont peu à peu conquises... Mais pourquoi ? Pourquoi ne nous avez-vous pas aidés auparavant ? Vous n'avez jamais entendu parler d'un conflit sur mon anneau ? Le quatrième comme vous dites...
- Je ne connais qu'une gnome et elle n'a jamais vécu sur le quatrième anneau. Nous avons surtout des relations avec les Istiols du troisième anneau. Vous ne leur ressemblez pas, ajouta-t-elle en se tournant vers Saylin. Je conclus que vous venez du deuxième.
- Si vous le dites, ça n'importe guère, soupira-t-elle en retour. Pouvons-nous donc avoir un entretien avec vos Immaculés ? J'ai bien peur que le temps presse pour la civilisation de mon ami, poursuivit Saylin en réajustant sa capuche devant ses yeux.
- Vous avez raison, acquiesça la fille avec un sourire charmant. Je vais leur demander de ce pas de vous rencontrer, mais je ne vous promets rien.
Elle tourna les talons et se dirigea vers une salle derrière la foule en prière. Saylin sentit alors une émotion particulièrement puissante, qui lui était pourtant inconnue dans le cœur de son compagnon lézard.
" Comment vous appelez-vous ? s'écria-t-il brusquement.
L'inconnue, se retourna au loin et lui répliqua avec un sourire amusé : " Maya !" Puis elle continua à s'enfoncer dans les profondeurs du Temple.
Maya... Un mot qui se répercutait avec une intensité inouïe dans l'esprit du jeune lézard.
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