XVIII. Amitié ?
Maya, accompagnée de Feorl, avait rejoint ses compagnons derrière leur rocher. Au départ interloqués par la proposition de l'Istiol, ils finirent par l'accepter. Le champion, tout heureux, les avait ensuite quitté pour ne pas les mettre en danger. En effet, tous ceux qui le côtoyaient devenaient des cibles de première ligne pour les autres gladiateurs. Il retourna donc, sous forme de loup, se loger dans le trou qu'il avait creusé dans le milieu de l'arène, non sans avoir raillé une dernière fois les adolescents :
" Jeune magicienne, j'ai bien peur que ta moitié de bonhomme de neige n'effraie pas nos camarades bandits ici présents, ricana-t-il."
Quand il fut parti, les trois amis se jetèrent un regard circonspect.
" Nous ferions mieux de dormir, souffla Saylin, tout est calme pour le moment, comme si rien ne s'était passé..."
Elle était impressionnée par la tranquillité des lieux malgré le massacre, qui avait perduré durant des heures, auparavant. Les hommes pouvaient-ils donc oublier si vite leurs infamies pour les réitérer le lendemain ? Décidément, le fonctionnement de ces gens, si proches et pourtant si loin d'elle la dépassait. Tous venait de la Terre des Vents et avaient sans doute, pour la majorité, déjà fait partie du public. Voilà donc pourquoi ils se battaient si docilement, conscient du spectacle attendu par les spectateurs. De plus, le nombre de geôliers, mieux armés, soutenus par la foule, les dissuadait de toute tentative de rébellion.
Elle se lova entre le rocher et la neige, confortablement installée malgré cette dernière. Son regard se leva vers ses compagnons. Arse n'avait pas bougé, il hésitait, partagé entre la méfiance que lui inspirait les brigands et la fatigue qui lui pesait sur le moral. Maya, à peine ces paroles prononcées, ne demanda pas son reste, bailla à s'en décrocher la mâchoire et escalada suffisamment le rocher pour se trouver en équilibre mais à distance raisonnable de la neige. Après quelques instants, les yeux fermés, genoux repliés vers son visage, elle vacilla tomba en avant, dans la neige qu'elle voulait à tout prix éviter. Arse, qui avait suivi la scène éclata de rire et l'aida à se relever. Avec une grimace, la jeune fille rejoignit Saylin, se mit dans la même position et réprima un cri en sentant la morsure du froid sur ses fesses. Rapidement, tout en essayant de s'endormir, elle commença à grelotter, regrettant avec amertume sa belle cité d'Aïane.
Arse détacha son regard de la Reflétée et se tourna nouveau vers le champ de bataille. Les bandits n'avaient pas bougé. Un nouvel élan de fatigue le prit, mais il s'efforça de lutter autant que possible. Ses yeux effleurèrent tout le tapis de neige avant de retomber sur l'immense loup blanc. Celui-ci, sentant le regard du lézard, ouvrit un de ses yeux givrés et hocha doucement la tête. Arse acquiesça en retour. Ils s'étaient compris. Lui et ses amies n'avaient rien à craindre pour cette nuit.
En entendant à nouveau le grelottement de Maya, son cœur se serra. La jeune fille, si attachante bien qu'il ne la connaisse que depuis peu de temps, n'était pas son élément. Elle les avait suivis ici mais ne s'attendait sans doute pas à ce genre de quête, de dangers. Rien que pour cela, il lui vouait une amitié indéfectible. Telle était son éducation, qui a l'honneur d'aider ceux dans le besoin doit recevoir ton respect, ces mots résonnaient dans son esprit. Elle l'imaginait comme le guerrier des contes de son enfance, pas comme celui qu'il était. Ses pensées lui martelaient douloureusement la poitrine. Il avait peur. Lui. Il avait peur de ne pas réussir à la protéger, elle qui semblait si joviale, fraîche, mais pourtant naïve et fragile. Elle représentait à elle seule un fil de vie, si ténu qu'un coup de vent pourrait le couper. Il avait la même impression lors de sa rencontre avec Saylin et, en les voyant côte à côte, se rendait compte de son erreur. Bien que plus frêle, Saylin dégageait une force de caractère, indépendante et capable de prendre des décisions. Elle avait eut bien plus d'expériences difficiles dans sa vie que Maya, et parvenait désormais à s'en servir, comme des forces. Il n'avait pas besoin de la protéger, elle n'avait pas peur de la mort, elle semblait seulement avoir peur d'elle-même... Sortant de ses pensées, il se rapprocha de la Reflétée, toujours tremblante de froid, et lui passa un bras autour des épaules. Doucement, il canalisa son brasier intérieur et tenta de réchauffer la jeune fille. Celle-ci s'arrêta bientôt de grelotter et se laissa aller dans un sommeil léger, pelotonnée contre son ami. Les yeux plongés dans sa chevelure, ce dernier ne tarda pas non plus à sombrer, émerveillé par sa beauté.
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" L'public arrive ! Bougez-vous ! D'bout tout l'monde ! s'exclama une voix tonitruante."
Les trois amis s'éveillèrent en sursaut. La lumière étincelante du Rideau miroitait sur la neige dans un crépitement de nuances blanches, si éblouissantes qu'ils peinèrent à garder les yeux ouverts. Encore engourdis, ils se lèvent doucement, tâchant de remettre chaque évènement à sa place. Ils étaient si fatigués que cette nuit de sommeil peu confortable les avait tout de même revigorés. Repensant à la proposition de l'Istiol la veille, Arse se précipita pour observer si le loup était toujours là. Il n'avait pas bougé et regardait dans leur direction. Le lézard hocha la tête et se tourna vers ses camarades. Saylin brandissait son menton dans une posture guerrière, le regard déterminé tandis que Maya lui décocha un bref sourire en désignant la neige. Profondément heureux de se sentir soutenu, il lui sourit à son tour et contempla les gradins se remplirent. Hier, tous ces humains lui inspiraient une haine farouche. Aujourd'hui, il souhaitait fermer leur bouches bien trop audacieuses une bonne fois pour toute. Il ne voulait jamais entendre à nouveau parler de cette arène.
Flanqué de Saylin et Maya, il se dirigea vers le centre du champ de bataille à pas légers. Peu importe la neige, peu importe les geôliers ou les bandits, rien ne les arrêterait. Encore à une distance respectable, il planta son regard dans celui du loup, hocha la tête et sourit une dernière fois. En réponse, une brève lueur passa dans les iris de l'animal, puis ses babines se relevèrent dans une expression terrifiante. Les bandits eux aussi s'étaient rapprochés du centre, bien décidés à prendre la place de la bête. Tous les autres combattants, jusqu'ici dissimulés, sortirent de leurs abris et suivirent le mouvement. Un nouveau cercle se formait autour du gigantesque animal tandis que les cris des spectateurs résonnaient, plus puissant que jamais. Le lézard jeta un dernier coup d'œil à ses amies puis fit naitre le feu en ses paumes avant de s'élancer en avant.
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