Aux alentours de cet immense arbre, tout se faisait plus puissant, plus majestueux, plus frais. Feorl n'avait pas menti en le décrivant comme le cœur de la forêt. Plus ils s'en approchaient, plus la végétation se faisait dense et lumineuse. La faune, jusqu'alors invisible, hormis Sangaë, pointait peu à peu le bout de son nez. Par moment, des silhouettes furtives traversaient les taillis sous leurs yeux, sans jamais que leurs apparences se révèlent au grand jour. Seules des marques telles que les rayures de la tigresse annonçaient leur présence. Les créatures de cette forêt, malgré les couleurs chatoyantes qui s'émanaient de leurs yeux ou de leur pelage, semblaient particulièrement timides. Quelques oiseaux, tout aussi féeriques, survolaient parfois leur petit groupe, dans une ambiance de calme absolu. Maya avait les yeux rivés sur l'immense Sangaë qui les avait rejoint. Jamais elle n'avait vu aussi belle créature, à la fois gracieuse et souple, féline et majestueuse, discrète et puissante. La bête reflétait tout ce qui plaisait et émerveillait la Reflétée. Cependant, l'étrange malaise de l'Istiol lui trottait dans l'esprit, sans qu'elle ne parvienne à comprendre le problème de cette relation. Elle aurait aimé être aussi proche d'une créature magique comme il l'était avec Sangaë. La jeune fille se sentait si bien dans cette atmosphère onirique, si différente de sa ville géante et animée par la foule, qu'elle se surprenait à ne plus vouloir quitter la Grande Forêt.

" Nous venons seulement d'arriver, ne t'inquiète pas pour le temps du départ, lui murmura furtivement à l'oreille Saylin."

Surprise, la Reflétée sursauta avant de comprendre que ce n'était que son amie. Elle sourit brièvement, dérangée à l'idée qu'elle ait lu dans ses pensées puis, inconsciemment, s'éloigna légèrement.

Saylin la comprenait parfaitement. Elle se trouvait également à sa place ici, dans ce lieu regorgent de surprises et de féerie. Elle jeta un coup d'œil à Arse, qui se tenait le plus éloigné possible des arbres. Il semblait concentré sur sa marche, évitant de trop observer son environnement. En effet, au premier oiseau aperçu, tous ses instincts de chasseur s'étaient réveillés, le forçant à lutter contre lui-même pour ne pas perturber ce calme si parfait.

Devant eux, Feorl, qui éprouvait la délicieuse sensation de rentrer chez lui, était assis sur le dos de sa "sœur", ses épaules tanguant au rythme de ses pas. Ses mains étaient profondément enfouies dans la douce fourrure de la tigresse, apaisante au simple toucher. Soudain, les oreilles pointues de l'Istiol tressaillirent. Quelqu'un approchait. Sans l'ombre d'un doute, Feorl arrêta leur marche et attendit, avec un sourire, que l'inconnu les ai rejoint. En effet, au détour d'un imposant tronc, une petite silhouette, à la peau verdâtre, sorti de l'obscurité. L'Istiole qui se tenait devant les compagnons étaient encore plus menue que Feorl. Elle était couverte d'un complexe entremêlement de feuilles tandis que ses cheveux, aussi noirs que ceux du Passager, étaient rassemblées en un chignon de tresses, à la fois sauvage et complexe. Un grand sourire se dessina peu à peu sur son visage, orné de magnifiques yeux en amande, sans doute caractéristiques des Istiols. Elle s'approcha de Sangaë, légère comme une plume, posa sa main fine sur la joue de la bête, lui murmura quelques mots inaudibles à l'oreille, puis, d'un bond délicat, atterrit sur le dos de la bête, juste en face de Feorl. Tout s'était passé en silence, si bien que le raclement de gorge gêné du champion résonna comme un coup de tonnerre dans les bois.

" Je suis heureuse de vous savoir à nouveau parmi nous, Feorl. Mais... Mais que font ces... Ces étrangers au cœur de notre forêt bien-aimée ?"

Sa voix, douce et mielleuse, reflétait parfaitement l'état d'esprit ce lieu de vie. Elle parlait avec un étrange accent, très apaisant bien que prononcé et difficile à comprendre.

" Tilaë, ces étrangers comme vous les appelez sont mes amis. Je dois parler aux Istiols en leur présence, c'est extrêmement important il me semble, répondit Feorl en jetant un regard à Arse.

- En effet, Feorl a raison, poursuivit le lézard, je viens de l'anneau en dessous du vôtre et ai désespérément besoin d'aide. Mon ami m'a vanté les mérites de votre peuple, et je ne doute pas un instant de la véracité de ses propos. "

L'Istiole renifla à ces mots, braqua son regard sur le lézard, fit une moue intriguée puis hocha la tête, apparemment convaincue.

" Je ne vous crois pas le moins du monde, mais j'aime les gens qui ont du culot. Si Feorl vous apprécie, je lui fais confiance, rien de plus. "

Elle glissa du dos de Sangaë puis leur fit un clin d'œil avant de s'en aller en courant entre les arbres. Feorl se tourna vers ses amis, ricana légèrement en haussa les épaules puis demanda à la tigresse de se remettre en marche. Les trois amis se regardèrent discrètement, totalement perdus. Décidément, ce peuple était bien atypique.

Quand ils atteignirent les premières racines du Cœur, de nombreux Istiols vinrent les saluer, toujours d'aussi étranges manières.

" Où allons-nous précisément ? s'enquit Maya.

- Au pied du Cœur, là où règne ce que vous appelez la civilisation. "

Une grimace barra son visage à ces mots, apparemment affreux. Ne souhaitant pas lancer un débat, Maya hocha simplement la tête et retourna à sa contemplation.

Tout près de l'immense tronc, les compagnons aperçurent un gigantesque escalier, tournoyant autour de l'écorce, qui menait jusqu'aux premières branches du Cœur. Ici, hormis les immenses rainures de sève luminescentes, tout inspirait la vie. Des centaines d'Istiols et d'animaux en tout genre, colorés et bigarrés, fourmillaient au pied comme au sommet de l'arbre. Certaines bêtes étaient très imposantes, semblables çà celle qu'imitait Feorl tandis que d'autres se faisaient plus petites, délicates et discrètes. En scrutant plus attentivement l'arbre, Maya remarqua que sur chaque branche, de minuscules maisons était taillées au cœur du bois, comme une petite ville perchée dans les ramures. En revanches, la nature restait vierge au niveau des racines.

" J'espère que vous êtes de nature athlétique, vos jambes vont chauffer, s'exclama l'Istiol en désignant l'escalier.

- Mais... Mais vous aviez dit qu'on allait au pied du Cœur ! répliqua Maya, pensant déjà à ses jambes endolories.

- À quoi bon rester en bas... Vous voyez bien qu'il n'y a rien. Autant monter non ? bredouilla l'Istiol, qui n'avait pas compris le problème."

Maya fit une moue boudeuse avant de s'élancer en avant, doublant ses compagnons, heurtant quelques Istiols effrayés par sa taille et s'engouffrant dans les escaliers. Les marches étaient minuscules, taillées pour des pieds Istiols et assez malcommode pour une humaine. Cette nouvelle difficulté accentua la colère de la jeune fille qui, n'y tenant plus, saisit l'épaule d'un Istiol qui passait à côté d'elle et lui demanda :

" Combien y a-t-il de marche dans ce satané escalier ?

- Il...Il y en a au moins trois mille, Ma... Madame... répliqua le petit homme, affolé."