XXIX. Une trop longue absence...
Feorl les amena dans une de ces petites cabanes, sculptée au sein même de la branche. Un minuscule orifice rond, à taille Istiole, servait d'entrée, seulement dissimulé par un complexe tressage de feuilles et de liane formant un rideau. Avec un sourire le Passager sauta au bas de sa monture, et, d'un mouvement faussement élégant accompagné d'une courbette, il souleva la toile organique pour laisser passer ses compagnons. Maya, jubilant, s'avança la première dans le petit habitat, évitant à la dernière minute de se cogner le front contre l'embrasement À l'intérieur, une odeur infecte lui assaillit les narines tandis que ses yeux s'accommodaient à l'obscurité ambiante. En effet, ici, les rainures de sève lumineuse étaient recouverte d'amas de toiles d'araignées qui endiguait leur éclat. Néanmoins, l'étrange forme de la pièce unique retint l'attention de la Reflétée. La salle était très semblable à une sphère, bien qu'un peu plus aplatie au niveau du sol. Une sorte de hamac de feuilles tressées reposait, inondé d'araignées et de poussière, sur l'un des murs incurvés. Juste au-dessus de la porte, deux petites fenêtres, rondes elles aussi, étaient bouchées par l'entremêlement de toiles collantes. A chaque pas, Maya soulevait un tourbillon de poudre, laissant l'empreinte de sa botte sur le sol de bois. Depuis combien de temps ce foyer n'avait-il vu la lumière extérieure ? Depuis combien de temps son propriétaire n'avait-il pas foulé son plancher de ses pieds verdâtres ? Ces pensées attristèrent la jeune fille. Elle se retourna vers l'entrée et aperçut ses amis faire les mêmes constatations qu'elle. Le sourire de l'Istiol s'était évanoui, remplacé par une expression dubitative et empreinte de mélancolie.
" De... Depuis combien de temps n'êtes-vous pas venu ? bredouilla Maya, penaude."
Feorl releva vers elle un regard empli d'hésitation, confus et perdu. Une détresse immense se lisait dans ce simple regard.
" Je... Je ne sais pas... Je n'ai pas compté les jours, je serais devenu fou... Quelques mois, tout au plus...
– J'ai bien peur que tu sois parti bien plus que quelques mois, murmura Saylin en caressant du bout des doigts une des parois imprégnée de poussière."
Son regard empli d'empathie se posa sur le visage désemparé de l'Istiol alors qu'elle saisissait doucement son poignet. Par ce contact, elle lui transmit son calme et chassa la détresse de son cœur. Le petit homme, d'ordinaire monté sur ressorts, ne réagit même pas, ne tenta pas de se dégager et s'affala par terre, comme un objet que l'on laisse tomber.
Restée dehors, Sangaë tordit son cou pour passer son énorme tête sous le rideau de feuille et apercevoir son "frère". À force de contorsions, elle parvint à faire entrer ses lourdes pattes avants et à frotter son large museau contre la joue de Feorl. Celui-ci, comme réveillé, releva brusquement la tête, sourit à la tigresse et sauta sur ses pieds, comme prit d'un regain de vigueur.
" Je crois qu'on a un peu de ménage devant nous, ricana-t-il. "
Les trois amis n'en crurent pas leurs yeux. Ils fixèrent le Gardien, bouche bée et cloués sur place. Comment pouvait-on changer d'humeur aussi rapidement ? Que se passait-il donc dans son esprit pour que ses états d'âme virent du tout au tout de cette manière ? Quand les compagnons de l'Istiol se retrouvèrent en pleine possession de leur moyen, il leur fourra , dans les mains plusieurs balais et plumeaux, faits de bois et de plume. Avant même qu'ils ne puissent protester, Feorl sortit en trombe de la cabane, Sangaë sur les talons, en leur hurlant de sa voix moqueuse :
" Si vous voulez dormir quelque part, au boulot ! "
***
Quand le petit homme revint chez lui, il trouva ses trois compagnons assis sur le bord du petit hamac, un sourire triomphant aux lèvres. Autour d'eux, aucune trace de poussière, d'insectes ou de toiles d'araignée. La sève verte illuminait gaiement la petite pièce, enfin libre. Néanmoins, le sourire d'Arse s'effaça bien vite une fois les quelques constatations faites.
" Où étiez-vous ? Aux dernières nouvelles, nous ne sommes pas vos larbins, ni même vos fées du logis... Qu'avez-vous fait pendant que nous astiquions votre sol ? cracha-t-il furieusement."
En un coup d'œil, Feorl comprit que le lézard trouvait son honneur bafoué, voire piétiné. Bien qu'il ne le connaisse pas depuis longtemps, le petit homme avait remarqué combien cette dignité importait au Calciné.
" Mais mon bon compagnon, depuis quand faire le ménage est-il une tâche dégradante ? J'attendais davantage de respect de votre part envers celles et ceux qui prennent soin de leur habitat, commença-t-il d'un ton narquois en écartant les bras."
En voyant l'expression fulminante de son compagnon, il chassa ce sourire et adopta un faciès grave.
" Je suis parti... Prendre des informations disons.
– Des informations sur quoi ? répliqua sèchement Arse, les mâchoires serrées.
– Oh, mais quelle curiosité ! Des réponses aux questions que je me pose !
– C'est-à-dire ? rétorqua le Calciné, décidé à ne pas lâcher le morceau.
– Combien de temps je suis parti, les ennemis que nous affronterons une fois chez vous ainsi que le nombre approximatif d'Istiols qui nous accompagne ! s'exclama Feorl à la vitesse de la lumière, agitant furieusement ses bras dans tous les sens."
Son petit visage vert avait viré au rouge alors que ses tresses voletaient autour de lui en un tourbillon désorganisé. Arse réprima un sourire en le voyant mais se força à garder son expression sévère.
" Alors ? Qu'en est-il ?
– Je suis parti un an et demi, les gnomes sont organisés en une puissante armée dirigée par des caporals-machinistes qui manient des assemblages de métaux, appelés "golems" et quelques centaines d'Istiols, quasiment tous les Passagers, viennent avec nous ! récita d'une traite furibonde Feorl.
– Et bien voilà, s'exclama Arse en partant dans un grand rire. C'est parfait ! Je ne sais pas quelles sont vos sources, mais elles sont bien informées, à un détail près. Tous les gnomes manient le métal et les golems, mais seuls les caporals-machinistes ont la puissance nécessaire pour animer des automates, voilà leur plus grand atout.
– Un an et demi... souffla Maya, profondément désolée pour le petit homme.
– Et oui, répliqua celui-ci, apparemment calmé, en haussant les épaules. Je ne me rends pas compte de la puissance de ces "golems" et "automates", ajouta-t-il en faisant un signe à Arse. Avons-nous une chance ? "
Pour toute réponse, le lézard caressa du bout d'une griffe la longue cicatrice causée par la sphère de métal...
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