XLIX. S'allier pour aider
Une fois entrés dans le boyau qui menait au cœur du volcan, Arse et Maya furent enchantés de remarquer que, de chaque côté du couloir, de petites alcôves s’aménageaient tranquillement pour accueillir les quelques centaines d'Istiols. Bien que les petits habitants des forêts grimaçaient à l'idée de dormir sous terre, contre des roches, un peu de répit leur ferait le plus grand bien. Le tunnel, qu'Arse avait arpenté désert, regorgeait désormais d'activités et de bruits, bercé par la lueur vacillante des braseros. C'est avec un sourire radieux aux lèvres que les deux compagnons s'engouffrèrent de plus en plus profondément au sein de la pierre, guidés par les fines coulées de lave encastrées au sein de la montagne.
Peu habituée à cette proximité avec le feu à l'état pur, Maya tressaillit de peur de se brûler ou d'assister à un quelconque accident. Le plus rassurant possible, Arse lui attrapa la main et continua paisiblement son chemin sans prêter la moindre attention à la chaleur qui montait à nouveau. Pour le moment, aucun trace de Riast ou de leurs amis. Les Istiols se disséminaient le long du corridor, aidés de quelques lézards équipés de pioches afin de leur creuser des abris. Soucieux, ils continuèrent leur avancée, jusqu'à atteindre, sans doute plus rapidement que la première fois, le bureau et foyer du vieillard.
Ici, Saylin et Tilaë étaient assises autour de la table ronde où reposaient encore les nombreux plans, en conversation sérieuse avec le dirigeant. Devant l'entrée, Sangaë et Feorl, avachi sur le flanc de la tigresse noire, somnolaient, apparemment ennuyés par la discussion de leur compagnons. D'un coup de talon, Arse réveilla en sursaut le Gardien, brusquement aux aguets.
" Que se passe-t-il ? Une attaque ? s'écria-t-il en se relevant prestement.
— Non, seulement l'appel du respect, répliqua Maya qui s'approcha de la table."
Feorl jeta un regard assassin au Calciné avant, qui, pour toute réponse, haussa les épaules.
" Quels sont vos plans ? reprit la Reflétée en s'adressant à Riast.
— Pour le moment, ils sont... flous, dirons-nous. Comprenez-moi, je n'avais pas prévu le retour d'un de nos légendaires guerriers pour changer le cours de la guerre.
— Ses plans avant mon arrivée étaient plutôt définitifs, vois-tu. Ils changeaient en effet le cours de la guerre, mais de manière... moins victorieuse... ajouta Arse qui repensait à la missive de capitulation.
— Cessez vos enfantillages, déclara froidement Saylin. En cas d'attaque, que ferez-vous de la population ? Tous savent-ils se battre ?
— Il ne suffit pas de se battre contre ces monstres. Seuls les guerriers entraînés peuvent espérer en sortir vivants, souffla le Calciné. Et encore, ceux-là ne seront que des exceptions...
— Dans tous les cas, nos enfants ne peuvent pas combattre face à ces machines de guerre. Il nous faut une issue, une cachette, un abri. Ils risquent de détruire la grotte, nous devrons l'évacuer le plus rapidement possible.
— Avez-vous une autre sortie dans la caverne ? l'interrogea Tilaë, un vieux morceau de parchemin entre les mains.
— Une seule. L'enclos des Uracus, qui débouche de l'autre côté du pic, vers les brumes interdites.
— Cela ne suffit pas ?
— J'ai bien peur que non. Chaque population a essayé de s'enfuir ainsi, mais les canons les ont bien vite rattrapées avant qu'elles n'atteignent un endroit sûr."
Malgré sa grimace, Arse ne put qu'acquiescer. En urgence, Krais, son chef de caverne, avait également ordonné ce repli pour les enfants et leurs mères. Il avait seulement fallu quelques minutes pour que les gnomes réajustent leurs engins et ciblent les fuyards. Aucun survivant, autant à l’intérieur qu'à l'extérieur de la grotte.
" Vous avez dit que cette sortie débouche sur les brumes ? murmura pensivement Maya.
— Pas directement, elles sont à environ une heure de marche. Hélas, une heure c'est déjà trop.
— Et si, par un hasard quelconque, les vapeurs les entouraient dès leur sortie de la caverne, serait-ce suffisant pour les mettre en sécurité?
— Cela minimiserait le nombre de morts, pour sûr, mais je doute que du brouillard empêche les gnomes de tirer. Même à l'aveuglette, ils risquent de toucher."
Avec un soupir, Maya se laissa tomber dans l'un des fauteuils de pierre.
" Ils ne peuvent rien contre un mur en revanche, proposa Saylin.
— Un mur ? Comment veux-tu que je monte un mur par cette chaleur ? Il fondrait en moins de quelques secondes!
— A deux, cela doit être possible. Le Vent s'efforcera de te donner de l'air frais et de rassembler les vapeurs tandis que toi, tu maintiens un semblant de mur."
Complètement perdu dans la discussion des deux jeunes filles, le regard jaunâtre de Riast faisait la navette entre elles, sans qu'il n'ose prononcer un mot.
" Vous devez en être capable, trancha Arse. Nous n'avons pas le choix. De plus, s'ils sont un minimum logiques, ils attaquerons de nuit pour profiter de l'obscurité. Et vous aurez ainsi l'avantage d'une température plus basse.
— Plus facile à dire qu'à faire, grommela Maya.
— Quelqu'un peut m'expliquer votre plan ? Je crains de ne pas avoir tout suivi... demanda finalement le vieux dirigeant.
— Notre amie ici présente sait manipuler l'eau sous toutes ses formes, répliqua Feorl d'une voix insolente. Il y a quelques temps, elle provoqua une petite avalanche de neige qui engloutit probablement la plus grande arène des quatre anneaux. Vous aussi vous trouvez qu'elle en fait trop ? Nous sommes donc d'accord. Enfin bref, en rassemblant ces vapeurs, elle espère pouvoir façonner un mur de glace capable de protéger votre peuple des tirs de "canons", c'est cela ? Mais vu la chaleur étouffante de votre charmante terre, de la glace semble être, comment dire... un rêve irréalisable ?
— Jamais le cratère de Cendre ne connut de mur de glace, murmura Riast, estomaqué.
— Il y a un début à tout n'est-ce pas ? claironna le Passager.
— Avez-vous une idée du moment de l'attaque ? l'ignora Arse. Pouvons-nous évacuer tout de suite votre population ?
— Non, non, je n'en ai aucune idée ! C'est vous qui m'avez incité à poursuivre cette guerre, pas moi ! Je crains que nos familles ne survivent pas bien longtemps, seules dans les brumes.
— Mais... Ici, sommes-nous proches du centre ou du bord de l'anneau ? réfléchit Saylin.
— Du centre bien sûr ! Les brumes de l’extérieur sont loin derrière d’autres cratères. Pourquoi cette question ?
— Nous venons de l'extérieur de l'anneau. Les brumes dont nous parlons sont donc celles qui remontent vers les anneaux supérieurs..."
L'esprit de Saylin tournait à toute vitesse. Il y a quelques semaines, elle n'avait aucun idée de cet étrange moyen de transport qu'était le Rideau, et voilà que, désormais, elle envisageait d'évacuer une population entière par son biais.
" Mais oui ! explosa Feorl en bondissant de la chaise où il s'était affalé. Elle a raison ! Faites-les tous monter vers la Grande Foret, ils seront en sécurité et pourront y rester jusqu'à... Jusqu'à la fin, je suppose... termina-t-il, brusquement livide.
— Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris à nouveau, mais si cela peut sauver mon peuple, faites ce qu'il faut.
— Nous les mettrons en sécurité, ne vous inquiétez pas. Ordonnez seulement le rassemblement de tous ceux qui ne peuvent ou ne savent pas se battre, s'écria Arse d'une voix autoritaire. Mettons-les à l'abri tant que nous le pouvons."
Au moment même où il prononçait ces mots, un immense bruit sourd résonna dans toute la caverne, ébranlant les murs et les esprits. Immédiatement, un silence de mort emplit le bureau, chacun redoutant la signification de ce vacarme. Avant même que Riast n'ouvre la bouche, Thylis, le garde bleuté, fit irruption dans la pièce.
" La cloche a résonné ! Ils arrivent ! hurla-t-il"
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