Épilogue : Quelque chose commence.

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Abasourdie, Saylin prit plusieurs secondes avant de reprendre ses esprits. Elle sentait la chaleur suffocante du Cratère de Cendre sur sa joue, le contact désagréable de la cendre dans son dos, la douleur à ses côtes... Elle n'aurait su décrire ce qu'il s'était passé. L'âme l'avait éjectée comme un déchet, ramenée à son point de départ. Malgré l'inquiétude qu'elle aurait dû ressentir, elle se sentait étrangement calme. Peut-être avait-elle réussi, peut-être avait-elle failli... Dans tous les cas, elle ne pouvait rien faire de plus désormais, hormis espérer.

Avec lenteur, l’Empathique rouvrit ses paupières, savourant avec délectation le mince rayon de lumière qui filtrait à travers la fumée pour rejoindre son visage. Cette clarté, pourtant minime, lui parut étincelante comme le Rideau lui-même, si bien qu'elle se surprit à rester aveuglée plusieurs dizaines de secondes. 

Elle se sentait différente. Changée. Quelque chose, au plus profond d'elle, s'était métamorphosé. Elle avait beau se sentir bien et apaisée, cette impression résonnait comme une musique dramatique en son cœur. Une page s'était refermée, laissant la place à une nouvelle, en partie similaire, mais pourtant divergente en de nombreux points. 

Quand enfin, elle recouvra le sens de la vue, la première chose qu'elle perçut fut une silhouette sombre, dont le simple regard embrasé suffit à lui redonner courage. Arse était penché juste au dessus d'elle, les mâchoires serrées, les prunelles luisantes.

Alors que Saylin s'apprêtait à l'interroger, une petite tête, verdâtre mais couverte de poussière, se glissa à côté du lézard, un sourire malicieux aux lèvres. Ses cheveux sales et ébouriffés retombaient avec désordre devant son visage, tant et si bien que, l'espace d'un instant, la jeune fille se crut de retour dans l'esprit du Chaos. 

" Je... Nous avons réussi ? souffla-t-elle d'une voix rauque."

Pour toute réponse, Arse hocha la tête, les yeux peu à peu envahis de larmes. 

" Tu as réussi. Nous n'avons fait qu'agacer cette chose comme des mouches autour d'une vache, ricana Feorl."

Ne se sentant pas le cœur de rire, Saylin esquissa un mince sourire. Trop de choses s'étaient passées, trop de choses qu'elle ne souhaitait pas oublier ou effacer derrière un rire amer. 

" Et... Et Maëross ? Et Kazroka ? Ils s'en sont sortis ? 

— Pour la déesse, il faut croire que oui, sinon on ne serait pas ici en train de se parler. Je m'attendais à quelque chose de plus spectaculaire, je dois te l'avouer...

— Maëross n'a pas survécu, l'interrompit le Calciné. Au moment où tu as détruit le Chaos, il était couvert de blessures, qu'il n'avait pas encore guéries. Sitôt ses pouvoirs et sa puissance hors normes volatilisés, il a succombé, les plaies étaient trop profondes pour que nous fassions quoi que ce soit."

Saylin hocha à nouveau la tête. Elle sentait que le lézard, tout comme elle, avait changé. Que plus jamais il ne serait comme avant. Sur quels points ? Elle n'aurait su le dire, mais cette intuition était bel et bien gravée en son cœur. 

" Tu sais, Arse, je n'ai pas détruit le Chaos... Je ne pouvais pas. Personne ne le pouvait...

— Qu'as-tu fait alors ? 

— Je l'ai absorbé."

Surpris, et contre sa volonté, le lézard recula de quelques pas. 

" Tu n'as pas à t'en inquiéter. Je l'ai enfermé en moi, où il ne trouve aucune place pour lui. Je ne le laisserai pas me corrompre, ne t'en fais pas.

— Mais... Mais comment peux-tu le savoir ? Il a corrompu une déesse et l'un des plus grands sages de notre monde ! Je refuse de te voir basculer du côté du mal. 

— Il ne peut rien me faire, Arse. Il est totalement désarmé, ligoté, impuissant. Je suis née pour lui résister, c'est ma seule raison d'être... 

— Ce n'est pas vrai. Tu l'as dit toi-même, bien que je n'aie pas tout compris à ce moment-là. Tu es l'Empathique, mais tu es aussi celle qui m'a guidé, soutenu, épaulé, durant cette aventure. Sans toi, le monde n'existerait plus depuis quelques temps déjà. Sans toi, je serais mort."

Alors qu'il prononçait ces quelques phrases, la jeune fille distingua une ombre passer dans son regard. Une ombre qu'elle ne pouvait oublier. Une ombre dont elle connaissait le sens. Elle leur manquait à tous. 

" Maya savait ce qu'elle faisait. Elle savait que sa route s'arrêtait ici, qu'elle remplissait son rôle en te sauvant. Ne la pleure pas, Arse. Honore-la, souviens-toi d'elle, offre-lui une sépulture digne de ce qu'elle était. 

— Ne doit-elle pas trouver le repos éternel auprès de sa déesse ? 

— Elle sera toujours auprès de sa déesse, qu'importe le lieu. Il est même possible qu'elle soit d'ores et déjà en pleine discussion avec Aïa. Elles nous regardent peut-être, qui sait ?

— De toute façon mon ami, personne ne viendra te sermonner d'honorer les dernières volontés d'une Voyante. Elle, toi, nous, avons sauvé le monde. Je crois que personne ne nous mettra des bâtons dans les roues pour des décisions aussi nobles que celle-ci, ajouta Feorl, les yeux embués de larmes. Rentrons maintenant, retournons auprès de nos frères Istiols, lézards et gnomes. Tous méritent de récolter le fruit de leur victoire."

Aussitôt, l'Istiol tendit sa petite main vers Saylin, qu'elle accepta volontiers afin de se relever. Arse les quitta quelques instants, puis les rejoignit, le corps serein et inanimé de Maya au creux de ses bras.

" Elle aimait si peu cette terre, cette chaleur, cette noirceur... murmura-t-il, la gorge serrée. Et je m'apprête à la laisser ici pour l'éternité...

— Elle n'aimait pas le Cratère de Cendre, mais elle n'en a que faire désormais. La seule chose qui importe, c'est qu'elle soit auprès de toi. Auprès de ce rêve devenu réalité. Nous allons tous nous quitter bientôt Arse. Pas définitivement, évidement, mais nous dire au revoir. Restez ici, tous les deux. Nous avons tous beaucoup à faire à présent. 

— Vrai, acquiesça Feorl. Mais avant de revoir ma chère Grande Forêt, il me semble qu'un bon festin ne serait pas de refus !

— Méfie-toi, la cuisine lézarde plairait à un Uracus, sourit le Calciné."

Face aux expressions lumineuses de ses amis, Saylin ne put qu'éclater d'un rire cristallin, enfin apaisée. Maya, où qu'elle soit, veillait sur eux, aux côtés des dieux qu'ils avaient sauvé. Plus personne ne se mettrait en travers de leur chemin désormais. 

Sur une plaine décharnée et sanglante, trois silhouettes, dont les routes n'auraient jamais dû se croiser, marchaient telles une seule vers l'horizon. 

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