Partie 01 : Parallélismes
Un petit parc à barreaux blancs, à même le sol... Et des coussins, partout, de toutes les couleurs et de toutes les formes... Il fait bon, ici... Je suis sûre de connaître cet endroit... Une musique douce, une comptine peut-être ? Une boîte à musique ? C'est doux, léger... Cette mélodie m'est familière ! ... Et une femme, sur la droite... Belle, brune et très grande ! ... Elle me sourit... Elle me parle, aussi... Mais tout est flou... Tout est lointain... Je l'entends comme en écho... Je suis contente de la voir près de moi... Je me lève et m'agrippe à ce que je peux pour mieux tendre les bras vers elle ensuite... Maman... Son regard s'attendrit... Elle s'approche de moi, me soulève et m'enveloppe... Elle fredonne doucement cette chanson en me caressant délicatement le dos... Celle que je peux écouter, l'oreille collée contre son cœur... Je suis fatiguée... Et je sombre dans le sommeil... Elle me protège...
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Je patauge dans le sable mouillé... J'ai chaud... J'ai froid... On me tient la main... Il est grand, très grand ! ... Et radieux... Il y a du monde autour de nous... Des enfants crient, sautent dans les vagues, pleurent parfois... Pas longtemps... Je me dirige vers le rivage, ma petite main toujours blottie dans la sienne... Mes pieds s'enfoncent dans ce sable qui devient soudain lourd... Mais je veux avancer... Alors, un pas après l'autre, prudemment, mes jambes s'enfouissent dans les vagues jusque là surmontables... Oh ! La suivante arrive à toute allure et m'éclabousse entièrement ! ... Je grimace, le souffle un instant suspendu par cette surprise... Puis j'entends son rire... Éclatant, tranquille et serein... Mon autre main levée vers le ciel, je me fige, un peu vexée... Il me prend finalement dans ses bras, toujours aussi calme, irradiant d'assurance...
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Un gâteau d'anniversaire, décoré de quatre bougies... De celles qui se rallument automatiquement... Comme je les adore ! ... Je me sens heureuse... Je distingue beaucoup de convives autour de moi... Joyeux, enthousiastes, la peau foncée, parfois noire... Des tissus colorés... Des chants... Je suis installée sur les genoux de papa... Je le reconnais à son teint similaire à l'assemblée qui nous fait face... Je souffle ces bougies à l'invitation de Maman... Je contemple la fumée qui s'en échappe... Tous applaudissent et crient... On m'embrasse doucement le front... Installée confortablement dans l'herbe, je les observe me photographier, éblouie par tous ces flashes...
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Le sapin trône au beau milieu de la pièce, de façon à ce qu'il puisse être admiré de tous côtés... Immense, il clignote et scintille... Je suis assise auprès d'une dame âgée qui m'entoure de bienveillance... Coiffée d'un turban, elle m'enlace tendrement... Je devine tout contre elle une odeur de jasmin... de coco également... Papa lui ressemble... J'entends maman un peu plus loin... Une sensation de calme absolu m'envahit... Grand-mère ? ... Ma tête appuyée au creux de son coude, le rythme de sa respiration me berce... Elle m'effleure la joue... Tout est régulier... Sa voix résonne pour me murmurer qu'elle veille sur moi...
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Papa attache la bride de mon casque sous mon menton... Le regard qu'il m'adresse se veut encourageant... Mon genou pique légèrement suite à ma dernière chute à vélo... Je me souviens avoir refusé d'enfourcher cette monture si les roulettes y étaient maintenues... Ma lèvre tremble, mais je ne pleure pas... Un pansement sur mon égratignure... Vérification complète des équipements de sécurité... Il me sourit et je reprends confiance... J'inspire grandement et m'assoit à nouveau sur ma bicyclette...
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Maman et papa discutent vivement en compagnie de quelques individus... Ils s'agitent et le ton monte, parfois... Je m'amuse avec cette fillette aux cheveux crépus, visiblement intriguée par notre différence de carnation... Nous nous comprenons sans trop nous parler... Tout prend sa pleine signification dans nos gestes... Les éclats de rire des adultes retentissent soudain... La situation est apaisée... Je cours vers elle...
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Je valse avec papa... Mes petits pieds posés sur les siens, je fanfaronne avec lui... Il chante des mots que je ne comprends pas, mais qu'importe... Je me transforme en princesse... J'imite Cendrillon... Papa m'appelle Princesse Dilane... Je l'invite à prendre le thé en me servant de ma jolie dînette ornée de fleurs bleues...
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Il fait chaud dans cette petite cour en terre battue... Les poules se promènent librement... Madame la cane traverse promptement cet espace, suivie de près par ses nombreux canetons en file indienne...
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La foule... Les cris... Je me cogne à tout... Maman me lâche la main... J'ai peur... On me pousse... Je tombe...
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- Di-ane ! Diiiii-aaaane !
Fort bien réveillé et plein d'entrain, Cezar descend de son petit lit d'appoint pour rejoindre sa cousine favorite, à son grand dam toujours endormie. Il joue brièvement avec une mèche bouclée de la jeune fille et entreprend finalement d'agiter son épaule pour davantage d'effet.
- Diii-aaaaane !
Cette dernière ouvre enfin ses yeux sombres, les sourcils froncés, peu encline à apprécier ce genre de réveil. Mais sa mauvaise humeur naissante disparaît aussitôt à la vue de ce petit garçon affrontant la vie avec l'innocence et la force qui le caractérisent. Aucune rancœur ne résiste à Cezar. Dilane aime d'ailleurs à penser que rien ni personne ne pourra le faire plier. Qu'il est tellement pur qu'il ne peut être qu'éternel. Fier et satisfait de ne plus être seul dans la roulotte silencieuse d'Ilinka, il étreint Dilane de ses petits bras, avec une puissance que personne ne lui soupçonne jamais. Habituée à ces effusions, la jeune femme y répond avec une douce sincérité. Repu de ces tendresses, Cezar s'éloigne soudain en sautillant. Dilane reste assise en tailleur sur sa couverture et en profite pour observer à la dérobée l'agitation naissante du camp. Les derniers fêtards se sont couchés à l'aube. Un mariage est ici prétexte à beaucoup d'excès et de relâchements. Cezar s'est arrêté au point d'eau le plus proche pour se désaltérer, prenant grand soin de ne pas mouiller ses vêtements. La jeune femme sourit à ce tableau désarmant. Les enfants comme lui ont une sainte horreur de se salir. Et le fait de porter des lunettes exacerbe ces habitudes.
Elle repense soudain à ses rêves. Ces images qui lui reviennent régulièrement, par bribes, comme les pièces d'un immense puzzle à reconstituer pour y voir plus clair. Son regard coule vers sa prothèse tibiale posée dans un coin... véritable souvenir blessé de ses premières années d'existence en dehors de la communauté... mais sous la responsabilité de ses deux parents... Comment mener une vie normale et propice à son accomplissement avec ce handicap comme fardeau ? De quelle façon prendre le parti de le considérer comme un atout ? C'est perdue dans ces pensées que Dilane aperçoit sa grand-mère, visiblement en grande conversation avec la mère de Dragos. Non loin d'elle, son arrière grand-mère, Sorina, fume la pipe, impassible, concentrée sur l'horizon face à elle.
Triste, désemparée et en colère tout à la fois, Dilane se redresse, s'efforçant de replacer correctement sa prothèse puis de la dissimuler, comme toujours, sous les pans voletés d'une robe longue. Le camp s'éveille progressivement ; la routine des tziganes impose à nouveau sa cadence.
Debout sur le seuil de la roulotte, Dilane entrevoit Cosmina, la belle des trois derniers jours passés...
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