Partie 02 : Éclipse
Plusieurs semaines plus tard, Dilane, toute affairée à ses responsabilités professionnelles quotidiennes, est surprise par l'arrivée d'un couple relativement atypique et dont elle sent immédiatement l'animosité. Elle n'a d'ailleurs pas le temps de les accueillir comme il se doit puisque le duo s'engouffre dans le couloir et passe directement la porte de la bibliothèque dans laquelle Babette se trouve seule. Cette dernière, comme si elle avait lu les pensée de sa protégée, s'avance alors vers elle dans une moue et un clin d'œil malicieux au possible pour détendre l'atmosphère.
- Tout va bien, ma chérie. C'est mon neveu et son épouse... les parents d'Anthony.
Soulagée, Dilane sourit, retourne à son poste et remarque néanmoins que Babette a laissé la porte entrouverte sans pour autant prendre la peine de corriger cet oubli. Car ce n'est assurément pas un oubli. Fantaisiste dans sa vie personnelle, Babette s'est révélée très méticuleuse dans le domaine professionnel. Rien n'est laissé au hasard mais tout doit laisser le penser, se souvient la jeune femme. Alors, comme si de rien n'était, elle se remet au travail tout en tendant involontairement l'oreille sur la conversation visbilement tendue qui se tient dans la pièce d'en face.
- Babette, ma tante, qui est donc cette jeune femme à l'accueil ?
- Romuald, mon neveu, elle est mon employée, tout simplement.
- Mais... Mais... Ce que nous a révélé Anthony sur les origines de cette jeune fille est donc vrai ?
- Quel est votre problème, au juste ?
- Eh bien, elle est... enfin, c'est une... une étrangère.
- C'est une jeune femme aux qualités remarquables pour ce poste. Elle cherchait un emploi et j'avais besoin de quelqu'un pour m'aider. Je suis très heureuse de lui faire confiance.
- Oui, oh... Enfin, ma tante, elle ne fait pas partie de la famille !
- Et alors ?
- Alors ?! Comment pouvez-vous faire confiance à une... une gitane ?
- Romuald, attention à vos propos.
- Je vous pensais plus regardante quant à la qualité de votre personnel !
- Je ne vous préviendrai qu'une seule fois, sachez vous tenir.
- Que vont penser nos clients les plus fidèles ?
- Ma tolérance a ses limites.
- Elle ressemble à Esméralda, avec sa tignasse bouclée et ses longues robes à volants !
- Romuald...
- Méfiez-vous, vous verrez bientôt tout sa famille, toute sa tribu surgir devant vous, avec toutes leurs roulottes, leurs froufrous de bohémiens, leurs mauvais sorts et leurs falbalas pour mieux vous détrousser, c'est une gitane et...
- La gitane, elle vous dit merde ! Qu'elle fasse partie de cette famille un jour de façon plus officielle serait pour nous un immense cadeau de diversité et d'ouverture ! Elle tente de mener sa vie, de se construire ! Elle ressemble à Esméralda ?! Grand bien lui fasse de ressembler à un des personnages les plus mystérieux et envoûtants créés par Victor Hugo ! Votre tartignolle d'épouse ne peut pas en dire autant !
- Oh !
- Parfaitement ! Vous pouvez couiner vos petits cris indignés de culs pincés, je m'en balance ! J'aime autant vous prévenir de ne pas tenter d'influencer Anthony sur ses rapports avec elle ! Il s'entendent très bien, et ça me fait plaisir ! J'en suis même très fière ! Et votre fils sait déjà qu'il a ma bénédiction si une histoire d'amour devait naître entre eux !
- Babette !
- Vous n'êtes pas actionnaires de cette entreprise ! Vous n'avez absolument pas votre mot à dire sur mes choix ! Comme vous n'avez pas à contrôler la vie de votre fils qui est maintenant majeur ! Nos clients les plus fidèles, comme vous dites, sont ravis de ses services ! Elle a le sens du devoir, de la famille, le respect des anciens ! MES clients sont certes pour beaucoup très compliqués, mais Dilane a su les dompter d'une façon que je ne m'explique pas encore clairement ! Elle ressent les gens ! Elle est humaine ! Et si tout son campement venait à débouler ici un jour, j'irai volontiers faire la connaissance de sa famille si riche en couleurs !
- Oh !
- Et soyez assurés qu'Anthony serait le premier à s'y rendre de bonne grâce ! Vous parlez de mauvais sorts ?! Mais vous auriez mieux fait de vous casser les deux pattes le jour où vous avez épousé cette gourde ! Heureusement que la naissance d'Anthony a changé la donne !
- Oh ! Il suffit, ma tante ! Viens, Bertille, laissons Babette à... à sa Débauche !
Romuald entraîne alors son épouse dans le couloir et, la main sur la poignée de la porte, il s'arrête, apostrophé une dernière fois par une Babette écarlate et soudain hilare.
- Ah ! Au fait, Romuald, une dernière question, en parlant de débauche ! Vous la zoukez encore, de temps en temps, votre mocheté, ou comment ça se passe ?!
Rouge de colère et d'indignation, Romuald, au bord de l'explosion, resserre sa poigne autour du bras de Bertille, la pousse littéralement au-dehors et claque la porte en partant. Bouche bée face à ce qu'elle vient d'entendre, Dilane aperçoit Anthony immobile dans le couloir. Babette, qui n'est pas en reste pour rire aux éclats de cette situation, se tourne vers lui, l'enlace tendrement et se perd dans un fou rire qui gagne bien vite ses deux oisillons, rassurés d'entendre la voiture de ce fameux couple démarrer et s'éloigner. Anthony reprend toutefois la parole en premier.
- Babette, tu les as littéralement passés à la moulinette !
- Ahaha ! Ils m'ont piquée, je les ai mordus ! Non mais oh ! Ne t'inquiète pas, mon petit, ils ne remettront pas le nez dans tes affaires de si tôt !
Puis ils s'approchent tous deux de Dilane, soudain silencieuse, les yeux baissés. Dans un élan de tendresse pour consoler la jeune femme, Babette l'entoure de son bras libre et serre ses employés comme une maman voudrait réconforter ses jumeaux.
- Ne te laisse pas toucher par ces méchancetés, ma chérie. L'ignorance entretient la peur. Une peur déraisonnée, unjustifiée et tenace si elle est contenue dans ce cercle vicieux. Ton métissage est une force, tes liens avec Anthony sont un exemple et ce qui ajoute à mon orgueil.
Les yeux tout à coup troubles par une émotion surgissant du fond de son cœur de femme, sa voix se mue en un murmure chevrotant.
- Je vous protège comme si vous étiez mes enfants.
Pris de cours par la vibration du téléphone protable de Dilane, le trio n'a pas le temps de remarquer cette subtilité dans la voix de Babette. La jeune femme s'écarte, consulte rapidement ses messages et se surprend à sourire, sans pour autant s'apercevoir tout de suite des regards amusés de ses comparses. Anthony, fier de sa perspicacité, prend alors la décision d'engager la conversation.
- Alors, ma belle, qui te donne ce sourire avec quelques mots ?
Surprise de se sentir rougir comme une pivoine, la jeune femme comprend que toute tentative de résistance est vaine, puis sourit pleinement.
- C'est un message de Théo. La fin des travaux approchant, il me propose de déjeuner avec lui dans les jours qui viennent.
Babette et Anthnoy poussent alors un cri de surprise à l'unisson, encourageant Dilane à leur en raconter davantage sur ce bonheur naissant.
- Comme tu me l'as demandé, Bet', j'ai pris ton relais pour suivre le bon déroulement des travaux et... de conversations en messages... nous nous sommes découverts quelques points communs et nous avons plutôt bien sympathisé... alors pourquoi pas partager un repas pour rendre la situation un peu moins formelle ?
- Ma belle, je le savais ! Voilà pourquoi je te trouve plus apprêtée, depuis un moment ! Tu vois, malgré tout, que ton allure de pirate ne l'effraie pas !
Leurs rires éclatent alors dans une avalanche de chaleur propice aux confessions diverses.
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Dans le secret de la nuit, accoudée à la fenêtre de sa chambre pour admirer les étoiles, Dilane se laisse emporter par ses projections avec Théo. Son cœur rebelle s'adoucit avec tendresse, fière de susciter l'intérêt d'un homme dont elle commence à admirer la ténacité et le courage. Ce soir-là, Morphée accueille une jeune femme qui ne boite presque plus, touchant à peine le sol, désireuse de plaire à ce guerrier aux yeux bleus, touchant du bout des doigts un bonheur encore flou mais bien présent...
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