- Allez, ma belle, couvre-toi et viens t'assoir avec moi au pied du cerisier. La journée est terminée et... regarde ce que je te ramène...

Fier de lui, Anthony sourit en dévoilant à Dilane une grosse boîte en métal dont les décors fleuris lui semblent familiers. La jeune femme esquisse un sourire, s'enveloppe dans un châle très épais et consent à le suivre. En chemin, et comme s'il avait lu dans ses pensées, Anthony continue, rieur.

- Oui, je sais, je n'aurais pas du m'aventurer dans le sacro-saint placard à gâteaux de Babette mais... je pense qu'elle ne m'en voudra pas si je lui dis pour ma défense que c'est pour remonter le moral de sa petite protégée.

Dans un clin d'œil, il lui ouvre la porte donnant sur la cour arrière de la maison d'hôtes et la laisse sortir avant lui. Dilane s'arrête un instant pour admirer le ciel étoilé, mue par cet étrange sentiment qu'elle le découvre peut-être pour la première fois, ou que le contact s'était rompu avec ces forces invisibles pendant de longs mois d'errance.

Tous deux installés sur une couverture moelleuse à souhait, ils ressemblent vite à deux enfants sur le point de découvrir un trésor inestimable, dissimulé depuis des temps immémoriaux dans un mystérieux coffre retrouvé au détour d'une extraordinaire et périlleuse exploration. Silencieuse, Dilane écoute et observe Anthony ouvrir cette boîte, une malice dans les yeux. Il lui raconte sa journée pendant laquelle il a assisté Babette pour la comptabilité générale, la préparation de la saison qui arrive, de son envie de déménager lui aussi, de ses conquêtes épéhémères... Tout ceci dans le seul et unique dessein de voir son amie rebelle sourire à nouveau, ne serait-ce que quelques secondes. Alors, Dilane, forte de cette empathie réciproque, se plie au jeu, reconnaissante envers cette main tendue sans rien attendre en retour.

- Ah ! Je le savais ! C'est comme si cette boîte avait un double fond pour y cacher... mes préférés ! Bingo !

- Pourquoi ne pas avoir convié ta tante ?

- J'ai bien essayé mais, ce soir, elle m'a dit être fatiguée. J'avoue qu'elle m'a semblée perdue dans des pensées nostalgiques, aujourd'hui.

- Pourquoi ? Elle qui est toujours pétillante.

- Je ne sais pas. Peut-être qu'elle repense à Léon.

- ... Je devrais passer une soirée avec elle, de temps à autre.

- Oh, toi, tu as ressenti quelque chose ! Je me trompe ?

- Comment ?

- Eh oh... ma belle... pas avec moi...

- Oui, bon... peut-être qu'on m'a soufflé la raison de sa peine...

- Je le savais... Ahahah... Alors, dis-moi tout, ma petite voyante. Qui te parle ainsi ?

- Personne. En tous cas, pas comme toi et moi. C'est plutôt comme... un léger courant électrique le long de la nuque, des frissons localisés quand je pose une question, une sensation toujours physique, tu vois ?

- Je ne peux que l'imaginer. Mais tu entends quelque chose ?

- Certains peuvent entendre, d'autres voient, ou ressentent notamment.

- D'autres voient ?

- Oui, ce sont des images très brèves, des flashs, des aperçus, ou même des odeurs, parfois.

- Et avec tout ça, je ne peux toujours pas t'appeller Madame Irma ? Ahahaha !

- Non, moi... je découvre encore à quel point ces capacités sont vastes. Et effrayantes aussi, pour beaucoup de gens. C'est dommage.

- Oh, tu sais, les gens... Les gens, Dilane... Quand tu ne corresponds pas aux standards, tu leur es forcément étrange ou effrayante. Mais ne te fais pas de souci pour eux. Ils nous pointent du doigt pour mieux dissimuler leurs secrets.

- Nous ?

- Oui enfin...

- Me cacherais-tu quelque chose, Anthony ?

- Ooh ça va hein ! Ne lis pas dans mes pensées, s'il-te-plaît...

- Ahaha... Je ne sais pas lire dans les pensées.

- Oui bah... au rythme auquel tu sembles évoluer et au vu de la diversité très mystique de ton arbre généalogique, tu maîtriseras très bientôt cette capacité.

- ... Anthony...

- Quoi ?

- Merci.

- ... Merci pour quoi ?

- Ton ouverture, ton soutien... cette boîte de gâteaux !

- Ahahaha ! Alors, tu peux aussi remercier Babette !

- Babette et ses secrets...

- ... Tout le monde a ses secrets, tu sais...

- ... Eh, mon ami, je sens bien que quelque chose te pèse... dis-moi...

- Non mais... c'est compliqué...

- Je peux toujours tenter de comprendre... Tu as bien fait preuve de patience et de compassion envers moi... Laisse-moi t'aider...

- Tu sais, toutes ces filles dont je te parle... ces filles que je "rencarde" sans trop penser à les rappeler par la suite...

- Oui, un vrai tombeur de ces demoiselles... Ahahah...

- ... De ces demoiselles... oui...

- ... Je t'écoute...

- ...

- Elles t'ont pris la main dans le sac à sortir avec plusieurs d'entre elles en même temps ?

- Oh... si ce n'était que ça...

- Quoi ? L'une d'entre elles est enceinte ?

- Oh punaise, surement pas !

- Alors... Tu sors avec une femme mariée ?!

- Non mais je peux savoir où tu vas chercher ces idées ?

- Ahahaha... Il faut bien que tente de deviner puisque tu ne me révèles rien.

- ... Je ne sais absolument pas de quelle façon te présenter mon problème... Pourtant, je sais déjà que tu es la seule qui ne me jugeras pas...

- Mais enfin, quel est le problème avec elles ?

- Ce sont Elles...

- ...

- Elles ne sont pas un problème...

- ...

- ... Je ne colle pas à l'étiquette...

Dilane pose alors une main sur l'épaule de son ami. Le jeune homme tourne alors vers elle des yeux plus assombris qu'à l'accoutumée. Des yeux au bord d'un naufrage inattendu.

- Ces filles sont très attirantes... mais... tu sais... certains hommes produisent le même effet sur moi... Je crois que...

- Tu aimes tout le monde ? Et alors ? En quoi est-ce un problème ?

- Ce serait un scandale pour ma famille. Tu as bien entendu comment mes parents ont osé parler de toi... Je suis leur fils unique... Ma mère a bien failli s'étouffer avec un bout de tarte quand elle a appris que moi, son fils unique plus myope qu'une taupe, était collègue ET ami avec une éclopée pirate - tireuse de cartes... s'ils apprennent un jour que j'aime autant les mecs que les nanas...

- Et tu crains tout autant la réaction de Babette ?

- Oui. Enfin, non. Babette... elle me rebat régulièrement les oreilles pour que je "tente ma chance" avec toi mais, ma belle...

- Je sais... et je suis entièrement d'accord avec toi...

- ... Toujours pas nouvelles de lui ?

- ... non...

- ... Pardon, je ne voulais pas te rendre triste...

Dilane esquisse alors un sourire.

- Tu aimes tout le monde. Et si tu te sens bien dans ta peau ainsi, alors ça me va. Maintenant, je te vois comme une garçon débordant d'amour. C'est très beau. Tu devrais préserver cette sensibilité. Elle te rend plus lumineux encore.

- Tu crois que je devrais l'annoncer à mes parents ? Tu me passeras l'expression, mais y a pas plus coincés du cul !

- Ahahaha ! Commence par en informer Babette, si tu veux. Tu aviseras par après pour le reste. C'est ton intimité, ta personne, ta vie. Ils ne sont pas obligés d'être au courant.

- C'est vrai... Merci, mon amie... tu sais, je me rends bien compte que ma sexualité est dérisoire au vu de tout ce que tu as traversé ces derniers mois... ma belle, si je pouvais prendre pour moi un peu de ta douleur...

- C'est mon parcours. Mon chemin de vie. Je pense que je dois apprendre encore de moi. Et t'avoir à mes côtés constitue le meilleur soutien qui soit.

- ... Finalement, nous sommes tous les deux semblables à cette boîte.

- ...

- Nous avons nous aussi une partie cachée, à protéger, explorer, découvrir... vivre, tout simplement...

- J'essaie de faire des efforts pour revenir à la vie...

- Je le vois. Et tant que tu seras d'accord, je serai là... Allez, raconte-moi donc les histoires de ces étoiles qui te parlent...

- D'accord... L'une d'entre elles, la plus belle et la plus étincelante, s'appelle Cezar...