Partie 03 : Spiritualité
Enveloppée dans son plaid favori, les genoux relevés sur son fauteuil, Dilane se laisse aller dans ses pensées rêveuses, encouragée en ce sens par le silence paisible alentour. Un an. Un an sans Théo. Sans entendre le son de sa voix. Un an qu'il a préféré s'évaporer sans un mot, sans un au revoir. Mais a-t-il seulement eu le choix ? Lui ai-je laissé ce choix ? Un an qu'elle espère un retour de sa part. Un an qu'elle attend, toujours amoureuse et encore un peu coupable. Pourquoi aurait-il du répondre à mes appels à l'aide, après tout ? Avec nonchalance, elle jette un regard sur le côté vers son iphone désesépérément silencieux. Aucun message. Aucun appel.
L'univers l'invite visiblement à la patience, au lâcher prise. Un effort plus difficile à gérer certains jours comme celui-ci. Quand l'automne s'installe, laissant derrière lui les dernières effluves d'un été riche de rencontres fabuleuses, de souvenirs indélébiles entre amis, de chastes sourires en coin, pour donner place aux odeurs de feu de bois, aux châtaignes, à la fraîcheur de l'aube. Comme les prémices d'un recueillement nécessaire pour protéger nos secrets au plus profond de notre coeur, les faire perdurer pour qu'ils nous accompagnent dans nos moments de solitude les plus puissants. D'un geste doux, elle resserre l'étreinte de son cocon et fait défiler les images sur son écran jusqu'à ce qu'elle retrouve la seule photographie de lui qu'elle ait pu conserver en secret, déjouant l'attention d'Anthony. Pendant quelques minutes, le temps semble alors se suspendre afin de lui permettre de vivre cet instant maintenant presque inespéré. Son coeur brûle alors de crier à Théo son transport et, comme une vague soudaine et impétueuse, ses sentiments se libèrent d'un espace trop restreint, trop conditionné. Elle voudrait lui hurler de revenir à elle, de consentir à ce que tous deux se pardonnent mutuellement, de la regarder une nouvelle fois, de lui sourire tout simplement. Un sourire prometteur d'une existance à laquelle elle rêve presque chaque nuit, à ses côtés. Aucun message. Aucun appel. Puis-je vraiment espérer quelque chose que je ne mérite peut-être pas ?
Elle aimerait l'accueillir enfin, les bras grands ouverts, le couvrir de baisers, les empêcher de se justifier, partager avec lui des moments simples, sans manières, discrets et intenses. Enfouir les mauvais souvenirs, les désaccords et les blessures dans une boîte dont ils perdraient volontairement la clé pour s'ouvrir ensemble à un avenir commun plus lumineux et serein.
Aucun message. Aucun appel.
Mais elle est toujours là. Pour lui. Sans trop savoir l'expliquer, elle sent que Théo est en train de vivre de grands changements dans sa vie. Malgré des contacts rompus, elle ressent ses énergies presque aussi intensément que les bouleversements qui transforment depuis peu la femme qu'elle devient. Comme si l'univers avait décidé de cette connexion à travers une transformation spirituelle colossale.
Soudain saisie par ce qui pourrait ressembler à un regain d'espoir venant de nulle part, Dilane lève les yeux et contemple l'espace de plus en plus mystique qu'elle s'est créé au fil des mois dans la chambre qu'elle occupe chez Babette. Une cheminée rustique, maintenant hors d'usage, donne la part belle aux quelques photographies qu'Ilinka lui a données avant son départ du campement. Le petit accordéon et la vache décorative que Cezar avait reçus en cadeau d'anniversaire complètent ce tableau de vie, comme pour immortaliser ces heureux souvenirs d'enfance autour de l'éternel feu de joie sauvage, cœur commun à toute la communauté. Des cristaux et minéraux divers ont fait leur apparition, fruits de son intérêt grandissant pour la litothérapie et, de façon indirecte, comme un retour symbolique à l'époque où sa grand-mère passait de longues heures à l'initier à ces secrets. Ici un bloc de cristal de roche pour harmoniser l'ambiance. Là un galet d'œil de tigre pour se protéger et reprendre des forces. Plus loin, un collier de perles en quartz rose pour attirer l'amour et s'aimer soi-même sans condition. Enfin, presque au centre de la pièce, un guéridon trône fièrement, recouvert d'un grand napperon en dentelle et ressemblant étrangement à celui qui meuble la roulotte d'Ilinka. Un bracelet en labradorite, pierre des guérisseurs et des intuitifs, y cotoie plusieurs oracles et tarots glanés au fil des brocantes et d'achats compulsifs.
Peu à peu, Dilane s'éveille et prend conscience de sa disposition à ressentir visiblement des événements sur la ligne du temps. Passés pour certains, présents pour d'autres, futurs pour d'autres encore. Comme un léger courant électrique peut parcourir sa nuque quand elle s'entraîne à laisser venir à elle les messages du Monde invisible. Quand elle donne une parole libre et sans filtre à ce que beaucoup considèreraient comme de simples bouts de carton.
À cette pensée, d'ailleurs, Dilane sourit enfin. Car pour elle, ce sont désormais bien autre chose que des bouts de carton ou un moyen de se divertir. Son hypersensibilité innée commence à trouver sens grâce à elles. Grâce à celles qui deviennent chaque jour de meilleures alliées, un prolongement de son altruisme, un support inestimable à sa métamorphose. De chenille, la jeune femme est sur le point de se révéler papillon. Pas un de ceux qui ne vivent que quelques heures de magie, mais plutôt ceux qui s'impriment à notre mémoire sensorielle, empirique et donc la plus authentique. Celle qui nous touche au plus profond de nous, qui pointe nos failles, nos craintes, et nos secrets sans pour autant y porter un jugement. Désormais, Dilane la rebelle ressemble à Ilinka la cartomancienne. Sa grand-mère, tout à la fois ambassadrice d'un héritage millénaire et gardienne de secrets se voulant impénétrables, voire tabous. C'est là l'ironie de ces liens. C'est là la complexité des détours de l'âme humaine, du pouvoir de l'ego, du mental et d'un manque potentiel de confiance en soi.
C'est donc plongée dans des réflexions qui la caractérisent que la jeune femme se lève enfin, s'installe devant un petit bureau un peu en retrait, ouvre un carnet matelassé avec délicatesse et se prépare à y inscrire les ressentis qu'elle ne parvient pas encore à comprendre, les rêves qui ne résonnent pas pour le moment, les synchronicités, les messages de l'autre côté, les images de Cezar et les scène de vie avec Théo apparues dans son sommeil comme des bouteilles perdues dans une mer déchaînée et protégeant un bout de son cœur illuminé bégayant la chanson de ses mots, plein de rires espérés, entier d'un amour qui ne demande qu'à s'ouvrir au grand jour...
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