L'orgueil de la chasseresse
Nous nous dévisageâmes calmement, les yeux dans les yeux. Contrairement à mes rivales, je n’étais pas apeurée par ses grands yeux d’un brun profond. J’osais la regarder en face. Sinéphie de Mélorgia tenta de comprendre ce qui me traversait l’esprit.
-Je ne sais pas ce qui te prend. Entraîne-toi autant que tu le voudras. La nuit prochaine, je ne serais pas là pour t’empêcher d’avoir la gorge tranchée.
-Laisse-la faire.
Blanche de Catré, une des chevaleresses du royaume apparut, l’armure trempée de sang. Elle tenait son épée d’une main et son bouclier aux bords tranchants de l’autre. La belle s’avança et sans aucune pudeur, plongea son regard dans celui de la Sagesse. Cette dernière fut un instant déstabilisée, ne manquant pas de faire glousser la chevaleresse.
-Tu ne sais pas à quel point les femmes volontaires sont précieuses, continua Blanche de Catré en posant son épée et son bouclier. Cette petite a du potentiel. Demain soir, elle tuera de l’homme.
-Je ne t’ai pas demandé ton avis, dit sèchement la Sagesse. Cette Chasse ne représente qu'un fantasme pour toi.
Blanche éclata d’un rire clair et franc.
-Effectivement, je n’en suis pas indifférente. Tu es à cran, laisse-moi éduquer cette future Affranchie.
Impressionnée par son charisme, je restai bouche bée, incapable de prononcer un mot. Soudain, la chevaleresse se précipita sur moi, un poignard à la main. J’eus le temps de m’emparer du mien et de contrer son coup qui allait atteindre au visage. Tout en essayant de la repousser, je croisai son regard dur. Je réussis à la rejeter quelques centimètres, pivotai sur le côté. Une danse guerrière débuta. Nous nous tournâmes longuement autour puis, je lançai ma première offensive. Le poignard ripa légèrement sur sa gorge, Blanche de Catré grogna. Je sentis mes membres s’épuiser. Cela lui laissa le temps de me blesser au bras et de me ceinturer. Le froid de son poignard frôla ma gorge.
Ses lèvres baisèrent mon oreille.
-Voilà ce qui arrive lorsque l’on ne ferme pas l’œil. Demain, certaines biches le seront mais gare à celles qui se font passer pour de frêles bêtes.
Sa main caressa mon bras et pressa la blessure. Le sang afflua, la jeune femme stoppa le flux.
-Allons soigner cela. Tu iras te restaurer et te reposer.
-Bien Chevaleresse.
Avant de me laisser partir, elle me retint pour me murmurer :
-Viens en ma chambre pour soigner ton écorchure. Et n’essaie pas de t’en échapper.
*
Les nuits auprès de la chevaleresse ne sont pas toujours de tout repos mais Blanche s’est montrée compréhensive et assez attentionnée. Je me méfiais tout de même de cette femme influente et de ses nombreuses combines. Le lendemain matin, elle n’était déjà plus à mes côtés. Ma blessure avait disparu et je me sentais en forme. Je rencontrai la Sagesse qui leva les yeux au ciel lorsque j’évoquai ma nuit passée à côté de sa chevaleresse. Elle m’entraîna au sommet du palais. D’en haut, une vue imprenable sur les gradins spécialement construits pour abriter la population. En-dessous, les bois sombres et inquiétants dont s’échappaient des cris. On ne pouvait quitter cet endroit sinistre qu’avec l’autorisation de la Sagesse. Les biches étaient cloîtrées, gambadant, errant pour survivre. Des packs de nourriture avaient été disséminés pour leur permettre de survivre quelque temps.
-Combien d’hommes penses-tu tuer ?
-Je vous demande pardon ?
-Combien ? insiste la Sagesse. Dis-moi un nombre. N’importe lequel.
Je ne sus que répondre. Elle se précipita sur moi et m’attrapa fermement au col. Elle me cracha au visage.
-Si tu ne te fixes pas un nombre de cadavres, tu n’arriveras jamais à gagner. La victoire ne s’obtient pas en allant au combat comme ça. Tu dois t’obliger à atteindre un nombre de blessures, de tortures, voire de litres de sang que tu laisseras derrière toi. Veux-tu voir ton épée rouge et déformée à force de pénétrer les corps ?
-O…Oui Sagesse, bien sûr.
-Alors, ressaisis-toi que diable et montre ce dont tu es capable. A présent, vas dans les bois.
-La Chasse n’a pas encore commencé Sagesse…
-Vas t’entraîner ! hurla Sinéphie de Mélorgia, les yeux injectés de sang. Dégage de ma vue. Tu paraissais si en forme hier et tu baisses déjà les bras ? Tu n’es qu’une moins que rien, une inutile bestiole.
Ne comprenant pas la situation, je reculai maladroitement, m’emparai de ma légère armure et de mes poignards. La gorge serrée, je descendis les escaliers extérieurs du palais, poussai le grand portail et pénétrai dans les bois, bien décidée à impressionner la Sagesse.
Annotations
Versions