Le pasteur

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La date prévue pour le mariage approchait, et je parvins à convaincre Lev de se marier à l'église, en le menaçant d'organiser une cérémonie new age s'il refusait. Mes parents vinrent à Helsinki pour nous aider, et ma mère nous prit rendez-vous avec un pasteur de sa connaissance.

Une fois devant lui, Lev tirant plutôt la tronche à mes côtés, je me rendis compte de la bourde que j'avais faite. En effet, le pasteur ne tarda à nous poser une question embarrassante.

— Bien entendu, vous êtes tous les deux vierges, n'est-ce pas ? fit-il en nous jetant un regard sévère par-dessus ses lunettes. Fassa, votre mère m'a assuré que vous l'êtes, mais vous, monsieur Haakonen ?

Je jetai un coup d'œil à Lev, qui reporta son attention défaillante sur le prêtre.

— Bien sûr, répondit-il avec un ton sérieux qui faillit me faire éclater de rire. Je n'aurais jamais osé demander la main de Fassa, sinon.

Le prêtre le regarda longuement.

— Je préfère que vous me disiez la vérité, monsieur Haakonen. On doit se présenter devant le Seigneur avec le cœur sincère et blanc comme neige.

— Mais je vous dis la vérité, protesta Lev d'un ton frisant l'impatience. Pourquoi vous ne me croyez pas ?

— Vous avez quel âge, trente-trois ans, si je me souviens bien ? J'ai du mal à croire ce que vous me dites. Si vous avez péché, alors je vous donnerais une pénitence. Seulement si vous me dites la vérité, j'accepterais de vous marier.

Lev se leva, hors de lui.

— Une pénitence ? Vous allez me faire réciter trois Avé et trois Notre père, à genoux sur les dalles, ou quoi ? Si c'est ça, je préfère aller me faire marier ailleurs ! D'ailleurs, je ne suis pas protestant, mais orthodoxe ! Et la religion, c'est le poison du peuple !

Alors que je m'apprêtais à ouvrir la bouche, le regard sur le visage renfrogné du pasteur, Lev se tourna vers moi.

— Allez viens Fassa, on s'en va, dit-il en nouant son écharpe avec des gestes brusques, les yeux impitoyablement fixés sur le prêtre. Il est hors de question que ce curé obtus s'occupe de notre mariage !

Il sortit de l'église avec pertes et fracas. Après m'être excusée auprès du pasteur, je le rejoignis.

— Non mais tu me fais quoi, là ? m'écriai-je une fois dehors. Ma mère va me tuer !

— Vaut mieux ça plutôt que ce soit moi qui étrangle ce type, gronda Lev en jetant un regard furieux vers la porte de l'église. T'as vu comment il nous parle ? Se marier vierges, et puis quoi, encore ? On se croirait au moyen-âge !

Il avait raison. Je le suivis jusqu'à la voiture, déterminée à tenir tête à ma mère.

Évidemment, cette dernière me tomba dessus très vite. Le pasteur lui avait tout raconté.

— Ton futur mari n'est pas vierge, se lamenta-t-elle, et en plus, il est communiste ! Tu ne nous l'avais pas dit, Fassa !

Je savais que le fait que Lev soit débarqué de la Fédération de Russie inquiétait ma mère, même si le pays avait l’appellation d'Union des Républiques Soviétiques depuis quinze ans. Lorsque je lui avais d'abord annoncé que je sortais avec le PDG de Novka, elle avait été contente, trouvant évidemment que c'était un bon parti, mais dès qu'elle avait appris qu'il avait la nationalité russe à la base, elle s'était refroidie. Lev l'avait charmé lors de leur rencontre, revenant dans ses petits papiers, mais avec l'épisode du pasteur, sa côte de popularité avait subitement dégringolé auprès de ma mère, très croyante.

— Lev n'est pas communiste, lui répondis-je calmement. Il est venu en Finlande pour fuir le régime soviétique, justement.

— C'est un nouveau riche, un oligarque qui a bâti sa fortune sur les ruines de son pays, c'est pire ! répliqua ma mère. Et surtout, il n'est ni vierge ni luthérien ! Qui te dit, d'ailleurs, qu'il n'a pas déjà une femme et des enfants en URSS ? Il a dix ans de plus que toi, Fassa !

Cette fois, c'en était trop.

— Lev n'a plus personne là-bas, hurlai-je, et d'ailleurs, on ne dit plus URSS depuis la chute du mur !

Et je raccrochai.

Entendre deux des personnes qui étaient parmi celles comptant le plus au monde pour moi, ma mère et Erik, critiquer mon fiancé à tour de bras me portait sur les nerfs. Ce premier se taisait depuis la fameuse nuit où il m'avait raconté sa version du Seigneur des Anneaux (avec lui dans le rôle de Frodon et Lev dans celui de Sauron, Konosuke devant probablement être celui qui lui avait inspiré le brun et sexy Anton Zakharine Chovsky), mais cela ne l'empêchait pas de me jeter des regards lourds d'accusation dès qu'il me voyait quitter la maison ou y revenir. Devant ce manque évident de soutien et tous ces problèmes, épouser Lev relevait du parcours du combattant. Cependant, je ne m'avouais pas vaincue pour autant.

Je dénichai rapidement un autre pasteur, que Lev refusa de rencontrer, prétextant qu'il enchainait les rendez-vous, me réconciliai avec ma mère, préparais les invitations, et tout et tout. Restait un problème épineux à régler : Erik.

Comment faire pour inviter mon meilleur ami à mon mariage, alors qu'il détestait mon fiancé ? Tout en étant à présent fermement convaincue qu'Erik avait divagué (et ayant rangé l'énigme du rapport entre les deux dans le tiroir « A traiter plus tard », avec plein d'autres problèmes que je n'avais pas l'intention de ressortir avant de nombreuses années), je ne pouvais ignorer le fait qu'il haïssait Lev, et que ce dernier, s'étant fait insulter en place publique et ayant risqué de me perdre à cause de lui, devait penser à peu près la même chose. Mais ce problème fut réglé de manière plutôt expéditive par mon futur mari, qui me lança un matin, tout en nouant sa cravate devant la glace :

— Tu peux inviter Erik à notre mariage. Personnellement, je ne lui en veux pas, même s'il a tenté par tous les moyens de casser notre couple.

Incrédule, je me tournai vers lui. Je ne lui avais pas du tout parlé de ce dilemme qui me taraudait depuis des semaines.

— Tu es sûr ? lui demandai-je, perplexe. Je te préviens, Lev, je ne peux pas te promettre à cent pour cent que Erik ne va pas péter les plombs comme la dernière fois.

— Il ne fera rien, répondit Lev d'une voix assurée. C'est un garçon raisonnable.

Je fronçai les sourcils, préférant ne pas lui demander d'où il tirait cette information.

— Très bien, fis-je en prenant ma liste pour rajouter Erik. Je le lui dirai.

Lev, qui avait terminé de s'habiller, se pencha vers moi et m'embrassa sur le front.

— Dis-lui bien que c'est moi qui l'invite, murmura-t-il à mon oreille. Et que je tiens tout particulièrement à ce qu'il vienne !

Bouche bée, je regardai Lev sortir de la pièce, royal. J'étais persuadée d'avoir vu les traces d'un petit sourire narquois sur ses lèvres.

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