Addendum : le monastère maudit I

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Mongolie extérieure, hiver 1785

Le monastère se dressait sur un caillou au milieu d’une plaine aride et battue par les vents, comme un vautour sinistre accroupi sur son aire. C’était loin de tout, mais cela correspondait bien à la description qu’on nous avait fournie au dernier campement de nomades, deux jours auparavant.

— On y est, souffla le Maître.

Il frappa sur la lourde porte, produisant un son caverneux qui sembla se répercuter au plus profond des entrailles de la sombre bâtisse. Puis, un volet s’ouvrit, sur une face glabre surmontée d’un bonnet de laine.

— Je suis un prêtre du tao qui arpente le monde avec mon élève, se présenta Akameshi. Originaire de l’île des Wa, je voyage sur le continent pour lire des textes anciens et trouver l'illumination.

On nous ouvrit. Les moines venus aux nouvelles jetèrent un regard rapide à son sabre et à ses longs cheveux gris, mais ils ne dirent rien. Fatigué, Akameshi s'assit sur un coin de table, moi à sa suite. Lorsqu'il retira son grand chapeau de voyage, les moines échangèrent un regard silencieux. Les longs cheveux gris de mon maître, son visage beau et fort, la cicatrice qui lui barrait la joue comme une larme et ses traits sans âge lui conféraient une allure singulière. Akameshi l'ayant remarqué, il leur jeta un coup d'œil désabusé et but en silence le thé au lait de jument qu'on lui tendait, attendant l'arrivée du supérieur.

Ce dernier ne tarda pas arriver. Il salua mon maître, et nous assura de son hospitalité.

— Vous êtes un maître des rituels, n'est-ce pas ? lui demanda-t-il.

Akameshi jugea préférable de répondre que c'était le cas, mais qu'il n'appartenait à aucun ordre, étant juste un moine itinérant et laïc, qui vivait de poésie et des soins qu'il apportait aux gens sur la route.

— Vous tombez à pic, si l'on peut dire, répondit alors l'abbé. Nous songions justement à dépêcher un émissaire pour ramener un exorciste de la capitale, étant donné que notre communauté se trouve actuellement frappée par un mal étrange.

— Qu'est-ce qui vous arrive ? demanda Akameshi d'une voix fatiguée, las de secourir tous les gens que nous croisions sur notre chemin.

— De plus en plus de moines deviennent fous, répondit le supérieur. Ils se mettent à murmurer des imprécations aussi étranges que mystérieuses, refusent de se nourrir, restent prostrés dans leur cellule, avant de se donner la mort d'atroce façon. Certains, même, s'attaquent à leurs camarades : nous avons déjà eu quatre meurtres de cette façon.

Les yeux de Akameshi retrouvèrent leur vigueur. Il semblait intéressé par ce cas. Il me jeta un rapide regard, puis se tourna à nouveau vers l'abbé :

— Où se trouvent les moines atteints de ce mal et encore en vie actuellement ? demanda-t-il. Je dois les voir.

— Suivez-moi, fit le supérieur, et nous nous enfonçâmes à sa suite dans le monastère.

— Ce monastère a été bâti il y a soixante-six ans, nous déclara-t-il en marchant, sa voix résonnant dans les longs couloirs. Le fondateur, Hyun-Song Dorje, était un religieux itinérant qui a émis le vœu qu'il s'y trouve toujours une communauté d'au moins cinq cent moines, en constante récitation des écritures. Mais dans ce coin perdu de l’empire, et sans fidèles, nous ne pûmes continuer à assurer la subsistance d'autant de résidents, alors nous l'avons réduit de moitié dès la seconde génération d'abbés. Je suis le quatrième, ayant pris mon poste il y a cinq ans, et depuis, les évènements étranges ne cessent de se succéder.

— Si votre fondateur a émis un tel souhait, observa Akameshi, c'est qu'il devait être strictement tenu. Il se pourrait bien que ce soit là la cause de tous vos malheurs !

Mais nous étions déjà arrivés devant une sombre cellule, que l'abbé nous ouvrit.

— C'est ici, dit-il en s'effaçant. Notre frère Tsing-Pa est pris de démence depuis huit jours, déjà.

Le maître entra dans la cellule, où régnait une odeur qui me prit à la gorge. Dans l'obscurité était prostrée une silhouette qui n'avait plus de moine que le nom, tant son aspect était désolant. D'une maigreur de cadavre, il avait la couleur de ces derniers, et de nombreuses blessures encroûtées parsemaient son corps.

— C'est lui-même qui se les est infligées, expliqua l'abbé.

Le malheureux se recroquevilla lorsque nous nous approchâmes. Il était en train d'écrire sur le mur, et à la vue de Akameshi qui s'accroupissait en face de lui, il gémit, cachant son visage entre ses genoux.

— Qu'est-ce qui se passe, mon ami ? murmura Akameshi d'une voix rassurante. Qu'est-ce que tu écris ?

Je tendis ma torche à Akameshi, éclairant des signes étranges sur le mur.

— Ce sont des formules magiques, m'expliqua rapidement Akameshi en langue Wa. Il se passe des choses très étranges ici, Lulan. Peux-tu sentir cette atmosphère ?

Je le pouvais. L'air était lourd et oppressant. Acquiesçant gravement de la tête, je repris la torche, alors que Akameshi se tournait vers le malade.

Cet homme avait de vilaines croûtes sur les mains et les pieds. Intrigué, Akameshi demanda au supérieur de quelles blessures ces cicatrices résultaient.

— Il s'est planté un clou dans chaque main et chaque pied, répondit gravement l'abbé. Il a même essayé de briser ses genoux avec un maillet... Comme l'ont fait tous les autres, avant de s'immoler par le feu.

— Étrange, observa Akameshi en se relevant. Vraiment, c'est la première fois que je tombe sur un cas pareil.

— Vous pensez pouvoir faire quelque chose ? demanda l'abbé avec inquiétude.

— Je vais m'y efforcer, en tout cas, répondit Akameshi. Mais j'ai besoin d'en savoir plus sur ce qui se passe ici.

À ce moment-là, le possédé tourna son visage vers nous :

— Karash Han ! hurla-t-il d'une voix de dément en pointant son doigt sur nous. C'est Karash Han ! Que les bouddhas nous viennent en aide !

Et se jetant sur moi, il tira mon couteau, avec lequel il s'ouvrit la gorge avant même que je ne puisse faire quoi que ce soit.

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