Le singe dans la brume
À 21 h, il se glisse dans les fins interstices de ma porte d’entrée. À 22 h, il a envahi le salon. Une heure plus tard, il plane dans la chambre et enfin vient mourir dans la salle de bain, tout au bout du couloir. Le fumet du voisin tous les soirs s’invite, prédictible et insistant.
Putain, tous les soirs ! Merde quoi ! Ras-le-bol de cette odeur de beuh, violation florale de mes narines et de mes souvenirs !
Oui, bien sûr, comme beaucoup — un pourcentage non négligeable, s’il faut en croire les sondages —, je me suis adonné plusieurs fois à l’aspiration (puis expiration, il faut savoir rester raisonnable) des molécules tétrahydrocannabiliques. Moi aussi j’ai eu de grands fous rires, moi aussi j’ai connu les soufflettes, les bongs assassins dont l’eau souillée flinguait la moquette. Moi aussi je me suis cramé les doigts sur des boulettes de mauvais shit, moi aussi j’ai eu la révélation des têtes grasses, j’ai foiré des tonnes de collages et toussé à l’approche du carton. Moi aussi j’ai eu le cerveau retourné, vidé puis rempli d’idées géniales, moi aussi j’ai embrassé l’inspiration divine, avant de tout oublier, de plonger dans l’apathie puis le sommeil, d’un coup de masse moelleux. Moi aussi je me suis fait des frayeurs avec des joints bien trop chargés, j’ai connu la tachycardie, les sueurs froides et les bouffées d’angoisse. Moi aussi j’ai fini des soirées avec les yeux phosphorescents, à guetter dans la rue la fourgonnette des flics, partagé entre liesse et paranoïa. Puis, heureux d’être rentré au domicile, en rouler un petit dernier, gage d’impérieuse liberté.
Ça fait un bail que je me suis rangé des voitures. Pour autant, je sais reconnaître un accro à la fumette ; un connard qui s’incruste dans mon espace vital. Il faudra un jour que je lui dise, à ce fils à papa, qu’il a affaire à un vieux singe à qui on ne la fait pas.
Un jour, mais là, j’ai vraiment trop la flemme.
Annotations