La faiblesse de l'habitude
J’ai tellement l’habitude à la maison de pisser en position assise — parce qu’il faut bien avouer que c’est plus confortable ; pour ne pas risquer d’en mettre à côté ; parce que j’habite sous les toits ; parce que ce sont mes toilettes propres à moi —, que je me sens mal à l’aise dès que je rentre dans des chiottes publiques. Je me tiens debout et j’appréhende. Le verrou est-il bien fermé ? Puis-je par accident coincer le service trois-pièces dans la braguette ? Vais-je réussir à contrôler le jet ? Quand la lumière va-t-elle s’éteindre ? Pourquoi ce foutu rouleau est-il sur le bord du lavabo, hors de portée ? L’idée d’abandonner mon cul aux tartisses d’un restaurant ou d’un bar me donne des sueurs froides ; à ces dames, qui n’ont pas le choix : j’admire votre abnégation, vos techniques de squat. De même, j’ai les urinoirs en horreur. Côtoyer un autre mec avec sa teub à la main, apercevoir un poil trapu et noir perdu sur la céramique, devoir viser la grille en plastique et son bloc désodorisant industriel, tout cela m’est insupportable. Ça me coupe l’envie, direct ; lotium interruptus. Et que dire du siège de tortures ottoman, cet ancêtre aplati qui n’a pas disparu, avec ses marchepieds de l’enfer et son trou insondable ? Cette atrocité sans nom (enfin si, on appelle ça la toilette à la turque, mais je me suis renseigné et c’est un abus de langage, c'est une toilette accroupie), synonyme de cataracte vertigineuse et de chaussures souillées, de grosses virgules et de papier rose collé sur les rebords, me révulse au point de préférer me retenir, même plusieurs heures.
Mon petit goguenot mal fichu, que j’aime ta cuvette, ta lunette, ton abattant pailleté, ton parfum discret de pin landais, ton papier doux et épais, ta sérénité monastique.
Annotations