Les petits soldats
Il arrive dans la cuisine, les cheveux en pétard, les yeux collés. Il vient m’embrasser ; haleine de chacal. Je lui demande ce qu’il veut boire, il me répond un café, d’une voix enrouée, en s’affalant sur sa chaise. Je lui demande s’il s’est couché tard, il me répond que ouais, si on veut. Cela signifie qu’il s’est couché très tard. J’attrape une dosette, ferme le clapet et appuie sur le bouton de mise en route avant de me tourner vers lui. Il semble dormir encore. Je lui demande à quelle heure est son premier cours, il me répond à dix heures. Je jette un œil à l’horloge au-dessus de la porte. Il est neuf heures. Je soupire. Il y a de grandes chances que sous peu, il me demande de l’emmener au lycée.
Je sais très bien ce qu’il a fichu cette nuit, pourquoi il se couche aussi tard : parce que c’est encore un gosse. Il est accro à ses joujoux, ses chars monstrueux, ses soldats aux armures bariolées, ses décors gigantesques. C’est un garçon sérieux, dans son travail et ses relations, mais il profite de son temps libre pour coller, peindre et admirer ses maquettes. Notre appartement est un capharnaüm dédié à sa passion.
Ma copine Justine dit que ça pourrait être pire, que le sien passe toutes ses soirées un casque vissé sur les oreilles, à brailler dans un micro en tuant des gens dans des jeux vidéo. D’accord, le mien ne fait que peindre des figurines en plastique ou en résine et les mettre en scène sur des dioramas aux dimensions colossales. D’accord.
J’aurais préféré qu’il soit musicien ou bien sportif, mais je l’aime quand même, car il est bourré d’autres qualités, mon adorable professeur d’Histoire, mon insatiable geek, mon cher mari.
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