« Le Frigo »
Le corps était étendu sur la table d'autopsie sans aucunes traces de violences apparentes. Je l'observais, nu comme un vers , perdu dans mes pensées . Une de ses victimes dans ma ville, cela ne présageait rien de bon. Après le premier corps découvert, c'était l'hécatombe. Et il en apparaissait à chaque coin de rue tous les quatre matins. Bordel! Comment on va se sortir de ce merdier !
Quand une voix m'extirpa de mes réflexions:
- Lieutenant Mila, vous pensez qu'il va être ajouté à la longue liste des victimes de L'Oiseau de la Justice ? ; commença la jeune recrue.
- On va devoir attendre l'autopsie, la coupai-je, mais aussi la vérification de son casier judiciaire et certaines autres analyses en cours par la scientifique. Et si les conclusions sont similaires aux autres affaires; j'inspirai profondément et pris un moment avant de continuer comme si ne pas le dire à voix haute permettrait de l'éviter; je suppose que oui....
J'avais dans les tripes, cette putain d'intime conviction, que ce mort était lié aux autres cas survenus et recensés ces dix dernières années sur toute la surface du globe. Et un pressentiment dérangeant, qu'il allait nous donner du fil à retordre. Mais qu'il ne s'agissait pas d'un banal plagiat du modus operandi pour berner les enquêteurs. Même si au final ça n'aurait pas été plus mal, car au moins l'affaire aurait peut-être été classée plus rapidement !
Un jeune lieutenant comme moi, rêve toujours d'une enquête qui le mettrait sur le devant de la scène , qui lancerait sa carrière, qui dorerait son blason ... Mais là, c'était plus qu'une épine dans le pied , une saloperie de poutre dans l'œil, un truc à vous donner des insomnies ad vitam eternam !!!
On courrait toujours après le ou les coupables sans aucuns résultats. Et c'était pas par manque de moyens ou de personnels, mais on avait rien ou si peu ! Et son terrain de chasse était si vaste : la planète entière, rien que ça pour notre Oiseau de la Justice ! C'est un de ses surnoms dégoté par la presse que je préfère.
Paul Leclerc, notre médecin légiste, un frais cinquantenaire qui prenait soin de son image: cheveux poivre et sel plaqués à l'arrière, petites lunettes argentées et rondes posées sur le bout de son nez qui lui donnaient un petit air d'Harry Potter vieillissant ; fit son entrée en claquant la porte à double battant.
- Salut Lieutenant No! Il m'affublait de ce diminutif depuis notre première rencontre il y a de cela 8 ans. Bien le bonjour, Agent Pryme, déclina-t-il d'un ton plus enjôleur. Il ne restait jamais insensible à la gente féminine.
Ma collègue en uniforme, était postée à mes côtés dans une posture rigide, les bras croisés sous la poitrine, le visage fermé. Est-elle mal à l'aise dans la salle d'autopsie? Après tout la première fois devant un cadavre n'était jamais simple.
Je n'oublierai jamais la mienne. J'avais rendu le contenu intégral de mon estomac et n'avait plus rien avaler pendant deux jours. Avec cette impression d'avoir l'odeur de décomposition qui me collait à la peau. Sans parler des cauchemars et des sueurs nocturnes qui ont pollué mon sommeil pendant des mois.
Mais la jeune agent avait de la chance d'une certaine façon, notre corps était quasiment inodore, entier et intact!
C'était comme si le médecin avait lu dans mon esprit:
- Vous êtes une petite veinarde ! Pour votre « baptême » dans le frigo vous êtes épargnée!
Voyant que le visage de Emilie ne se détendait pas, je poussais Paul à nous dire ce qu'il avait déjà obtenu.
- Nada! RAS aux analyses sanguines , à part un léger taux d'alcoolémie; commença-t-il, RAS sur l'extérieur du corps. Aucunes contusions, même pas une éraflure. Il est clean de la tête aux pieds ! Pas de traces d'injections non plus.
Il s'interrompit, soupira agacé avant d'oser me demander: Mais franchement No! Pourquoi je dois bosser sur cette autopsie si tout laisse à penser que c'est une mort naturelle. C'est une perte de temps !
- La plume, lui répondis-je sans en dire plus. Ces meurtres faisaient couler de l'encre et la une des médias régulièrement depuis dix ans, et je savais que ce petit élément suffirait pour répondre à sa question.
- Merde, siffla-t-il entre ses dents. Je n'ai rien à rajouter, je vais me remettre de ce pas au boulot. Je t'envoie un message dès que j'ai quelque chose à te mettre sous la dent.
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