EcoloZoo

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Partir au camping ? Pour suivre la propagande gouvernementale ? Tu m’as bien regardé ? C’est pour les pauvres Français, tout juste bons à faire la queue aux sanitaires collectifs pour bien propager toutes les épidémies possibles. S’il y a des palaces un peu partout, ce n’est pas pour les chiens !

D’ailleurs ça n’a plus rien à voir avec le camping. On n’y campe pas ! C’est un ramassis de cahutes identiques et minuscules qu’on appelle mobil-home. C’est juste un changement de clapier pour citadins asphyxiés.

Une ancienne amie, Noémie vint en villégiature à Cahutopia, le lieu qu’il faut connaître à côté de chez moi, niché dans une forêt primaire, hymne à l’écologie activiste qui sévit partout. Ça plaît beaucoup aux intellectuelles divorcées à lunettes. Avec sa petite Capucine de cinq ans…

Hein ? Alors je précise de suite que je ne suis pas le père de cette gamine ! Je ne suis le père d’aucun gosse ! Jamais ! Never ! Je nierai… Mon avocat, maître Fitoussi… Sur la vie de…

On peut continuer, oui ?

À peine arrivée et installée dans son 10m² entourée de sapins immenses, avec une mare d’eau boueuse, pleine de moustiques toute proche, la voilà toute contente à s’ébaubir de voir la petite courir partout et regarder avec ses grands yeux émerveillés les beautés de la nature sauvage. C’est trop con les gosses…

Hein ? Non, c’est vrai quoi ? Un pipillon ? Pfff ! Il sera crevé ce soir ! Une chenille ? Mais c’est allergisant ma pauvre, touche pas ! Ça sent la résine ? Ça puire, oui… Et attends la nuit de te faire dévorer par le moustique tigre… Dès demain matin, ça fera la queue chez le Doc avec la carte verte en pogne… Parce que même en vacances la première activité du Français c’est de consulter un Doc. C’est pas de baiser, ou se biturer… non, consulter.

Reprenons.

Même au fin fond des vacances écolos, une femme française (et probablement Helvète aussi, enfin surtout celles qui prennent le train, enfin qui se vautrent en tentant de le prendre) ne se sépare jamais de son phone.

— Laurent ? On est arrivées… Tu nous fais découvrir ta région ?

— Il n’y a rien à voir. C’est mort ! C’est le désert des Tartares ici !

— Tu as promis que tu serais gentil. Tu sais que la petite t’adore…

— Je suis toujours gentil… Gentil est mon deuxième prénom.

— Capucine veut aller voir l’Écolo-Zoo-Refuge de XXX… Tu nous y amènes ?

C’est à dessein que je ne donne pas le nom de la ville. J’expliquerai à la fin !

— L’Écolo-Zoo de merde ! Mais nan ! On va au karting… C’est mieux… Il y a aussi le Trampo-aventure avec le trampoline de la mort qui est super cool…

— Elle n’a que cinq ans ! Elle veut voir les animaux !

— Ils puent et passent leur temps à chier.

— Laurent !

J’entendis la voix cristalline de la petite reprendre à l’unisson « les zanimos ! ». Alors que faire ?

Par une chaleur écrasante et une humidité à mourir, nous partîmes sereins dans mon vieux Diesel scandaleux sous le regard réprobateur de Noémie.

— Tu n’as pas changé de voiture ?

— C’est trop cheeeeer !

— Mais enfin… Il y a les aides de l’état ! C’est scandaleux de continuer à rouler dans ce… truc ! C’est… c’est une agression gratuite à la Terre !

— Elle est quasi neuve, cette caisse ! Elle n’a pas 300000 km au compteur ! J’attends de faire 500000...

Noémie leva ses beaux yeux au ciel et constata :

— La clim ne marche pas ?

— C’est pété. Le compresseur est mort… Je l’ai viré, ça fait gagner des chevaux.

— On va mourir de chaud !

— Mais nan. Ouvre la fenêtre. Sent la campagne…

— Heu… Ça sent le mazout de ta chiotte qui fume sa race !

— Comme ça tu me parles ?

Noémie esquissa un sourire et me fit un clin d’œil complice, puis après une réflexion brève :

— Laurent… tu es radin quand même !

— Moi radin ? Attends… Mais nan, je suis économe ! Nuance. Et surtout, je suis pauvre.

— Toi pauvre. Mais comment ? Célibataire sans enfants, toujours à bosser et tu es pauvre ? Ça ne se peut pas !

— Je suis Français. IL m’a tout pris ! Tout ! IL m’a tout volé !

— Mais qui ? De qui tu parles ?

— De celui dont on ne doit pas prononcer le nom !

Noémie haussa ses jolies épaules halées, couleur institut de beauté Panamien.

— C’est un très bon président ! On a eu les jeux olympiques quand même !

— Hein ? C’était quand ?

— Tu te fiches de moi !

— Sérieux ! J’ai totalement zappé le truc…

— Je ne te crois pas… Tu serais le seul Français qui…

— Je suis Belge !

— Mmmm !

Noémie grommelait. Elle exécrait mon manque de patriotisme franchouillard. Et pourtant il n’y a rien de plus Français que de détester son pays. Mais je ne m’arrêtais pas à cette contradiction.

Non, je savourais d’être le seul humain en France à ne pas avoir vu une seule image des jeux olympiques. J’étais le plus intelligent du pays tout entier. Moi, moi et re-moi… Celui qu’on avait voué aux gémonies durant toute sa désespérante scolarité. Celui qui devait mal finir...

J’avais échappé à la propagande gouvernementale propagée par les chaînes de PPC (propagande présidentielle continue).

Soudain, sanglée dans son siège enfant, la petite s’anima :

— Le Zoo, maman ! Le Zoo !

Hélas. On sentait déjà les effluves des déjections animales variées alors qu’on en était encore loin. La journée promettait d’être pénible. Je serrais les dents. Peut-être un « crocrodile » me débarrasserait de la mère et la fille et je pourrais filer au karting…

Tout à cette pensée, je garais la voiture sur l’immense parking de terre battue, plein à craquer de véhicules à plaques étrangères déchargeant des gosses tout excités qui se précipitaient vers l’entrée distante de quelques centaines de mètres.

À peine délivrée, Capu sauta de la voiture et trépigna d’impatience en entendant le barrissement d’un « oliphant ». J’étais au bout de ma vie. Enfin je le croyais, avec ma candeur habituelle. Oui, malgré toutes les galères qui parsèment ma vie de m…, je ne suis qu’un candide impénitent. Parce qu’un choc m’attendait, terrible, fracassant, destructeur.

En approchant de l’entrée monumentale bariolée façon jungle africaine de cinéma… Oui, parce que l’Afrique c’est nul. Tous les africains se pressent pour venir ici, frérot, alors… Hein ? Je suis raciste ? Moi ? Mais nan...

Bref, mon regard tomba sur un panneau désespérant. Sérieux ? Trente-cinq euros par personne et demi tarif pour les enfants de moins de 8 ans ? Quoi ? C’est une blague ? Tout ça pour voir des animaux de merde, tous malades et dépressifs, chier en public ?

Je dus pâlir parce que Noémie s’inquiéta :

— Laurent tu vas pas bien ? T’es tout blême !

— Je me sens très très mal !

— Bois un coup, mon pauvre… C’est la chaleur ! Avec ta voiture de merde…

— C’est pas la voiture !

— C’est quoi…

Fine mouche, son regard suivi le mien et se posa sur le panneau désespérant. Elle pouffa.

— T’inquiète, je vais payer. Deux demi-tarifs et un adulte. Ça fait combien ?

— Deux… Attends…

— Bah t’es un vrai gosse mon pauvre Laurent.

Capucine était morte de rire. C’en était trop.

— Je ne suis pas un gosse ! C’est trop cheeeeeeeer !

— Laurent !

— Non attends, payer trente-cinq boules pour ça ? C’est du volement ! m’exclamai-je avec indignation.

Elle mit les poings sur les hanches et me regarda patiemment, en maman habituée aux colères enfantines. C’était encore plus humiliant.

Mon cerveau acéré fonctionnait à plein. Il y avait forcément une combine, il y en a toujours. Après tout, ce n’était qu’un Zoo… Racaille un jour, racaille toujours.

Mon regard furetait, analysait, calculait… Faire la queue avec tous ces gens en claquettes pour payer comme un con ? Même pas en rêve. Je valais mieux que ça. Un type de mon calibre.

Je pris la petite dans mes bras et la mère par la main. Une porte blindée sur le côté, avec un écriteau « Entrée interdite » me faisait de l’œil. Avec un peu de chance, ce ne serait pas verrouillé.

Tente ta chance. Des fois, sur un malentendu…

— Laurent, qu’est-ce que tu fiches ?

— Le triomphe de l’intelligence.

— Mais enfin ? Tu ne veux pas entrer sans payer quand même ?

— Je vais me gêner !

— Mais quel exemple tu donnes à la petite ?

— Struggle for life ! Plus vite elle comprend que le monde n’est pas le monde des Bisounours, mieux ce sera !

— Laurent !

Je m’emparai de la poignée. Elle résista avec dédain. J’avais une barre dans le coffre de la voiture… Y aller et revenir… fracasser cette putain de porte…

— Laurent, viens… fit Noémie, s’impatientant et me tirant dans la queue du désespoir.

Nous passâmes sous une grande arche et entrâmes dans une cour gravillonnée avec une musique agaçante en fond sonore. Des piquets délimitaient un chemin de pénitence. À chaque pas, mon humiliation grandissait. Peut-on concevoir pire que l’humiliation d’un honnête homme ? Je ne le pense pas.

— Pourquoi elle est fermée la porte? demanda, Capu, toujours dans mes bras.

— Pour me faire…

Toujours accrochée à mon cou, la petite observait les alentours. Son regard se perdait en direction d’un bosquet de faux palmiers qui semblaient cacher un sentier bifurquant dans les entrailles du parc sans passer par la case départ. C’était trop simple. C’était…

L’air de rien, ou plutôt l’air d’un Français qui fait une manœuvre en tenaille face à l’inexorable avancée Allemande, je m’esquivais. Stupéfaite, Noémie resta figée quelques secondes, mais devant le danger de voir un dingue emportant sa fille, elle se précipita à ma suite.

— Laurent… Je t’interdis ! murmura-t-elle.

— Silence !

— Laurent !

— Mais quoi… Regarde, c’est bien là. C’est l’entrée bis ! Je connais. Tout le monde passe par là-bas… C’est normal, des étrangers… Pfff !

— Tu es sûr ?

— Mais oui. On est chez moi, ici, je connais !

— Laurent… Tu mens ! Tu mens !

— Moi ?

Alors il faudra qu’on m’explique ce truc. Les femmes croient toutes les conneries de celui dont on ne doit pas prononcer le nom et moi dès que je dis un truc… Je suis un menteur ? Comment c’est possible ? Qu’est-ce que j’ai de moins ? Bô, burné, tout pareil. Enfin lui non… Mais bon… Alors ?

Le sentier cheminait dans de hautes herbes et des bosquets. On entendait au loin la rumeur de la foule. Je passais une haute porte grillagée, fort heureusement non fermée et dédaignais un écriteau marqué « interdit au public ».

La satisfaction du voleur… Si tu ne l’as jamais connue… tu es… Bref. J’étais dans la place ! RLAAAAA !

Toute excitée par ce paysage enchanteur, la petite m’échappa, brûlant de découvrir ce nouveau monde. À quelques mètres de nous broutaient des biquettes toutes blanches.

— Laurent… Tu as vu ces… Ils sont en liberté ? Où sont les enclos ?

— Pas d’enclos ici. C’est un ÉcoloZoo ! Un zoo socialiste quoi… On opprime pas les zanimos !

— Tu dis n’importe quoi ! Tu sais que tu es de plus en plus disruptif ?

— Moi ? Mais nan… Juste un mec cool.

La petite voix cristalline de Capu intervint :

— M’man, il y a un grand singe !

— Dis-y bonjour, fis-je, surveillant les lieux, des fois qu’un gardien se pointe.

— Un grand singe ? Où ça ? s’inquiéta Noémie.

C’est dingue comme les mères ont peur de tout. Pfff… La maternité rend les femmes encore plus pleutres qu’elles ne sont à l’ordinaire…

Quoi ? Moi inconscient ? Moi ? Attends ? Tu connais la fin de l’histoire ? Tu as vu ma photo c’est ça ?

Bon… Pour ceux qui ne savent pas encore… Je poursuis.

Noémie poussa un grand cri. Pas d’amour. D’effroi.

— Laurent ! Un grand singe a pris ma fille ! C’est ta faute tout ça !

— Qu’est-ce que c’est que cette connerie ?

— Regarde !

Hélas. Il avait fallu qu’un Orang-outan énorme prenne Capu dans ses bras. Mais pourquoi ?

Dans quel monde on vit ? Où on a vu qu’on laisse des grands singes en liberté ? Où ? Même en Suisse, ils ne font pas ça !

J’étais dans la consternation totale. Que faire ? J’approchais du singe avec prudence. Lui casser sa gueule de… ? J’allais me faire fracasser. Alors ? Je cogitais ferme tandis que Capu caressais l’affreuse bête affectueusement, comme un gros doudou.

Le singe et moi nous tenions face à face. Ses petits yeux enfoncés dans leurs orbites me scrutaient. Aussi, je fis la seule chose que je pouvais faire en cette circonstance. Je me grattais les couilles, signe d’une intense cogitation.

Ce qui se passa ensuite ? Comment je me suis retrouvé emporté par un grand singe comme un sac de patates dans tout le parc… L’arrivée des pompiers, des soigneurs avec des fusils anesthésiants… Mes cris perçant de goret qu’on égorge… La foule des gens hilares… Le mépris…

Non. Je n’ai pas la force de le raconter.

Sachez qu’on a placardé ma photo à l’entrée de l’ÉcoloZoo : j’y suis ban à vie, au grand désespoir de BOUBOU, une femelle Orang-Outan.

J’avais dit qu’il fallait aller au karting, bordel !

Bzzz !

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