Chapitre 2

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Après avoir quitté la salle de spectacle, mon père nous conduisit au bord d'une plage isolée du reste du monde. Il voulait profiter des derniers instants qu'ils nous restaient dans un endroit qu’il lui tenait à cœur. Être un maître du monde était un sacré avantage. Il pouvait se déplacer où bon lui semblait sans devoir attendre des heures. Il suffisait d'un clignement, d'un souffle pour être à l'endroit désiré. Voyager de la sorte était assez déconcertant pour moi. Je fermais les yeux à chaque fois, sinon j'étais nauséeuse à l'arrivée et ne pensais qu'à une chose…m'allonger. En fait, c'était comme si vous preniez un train à très grande vitesse. Pratique mais décoiffant.

Néanmoins, cela valait vraiment le détour. Le panorama était à couper le souffle. Le sable était d’un blanc éclatant, les majestueux palmiers verdoyants procuraient une ombre rafraîchissante, le coucher de soleil rougeoyant effleurait de ses doux rayons l'immensité de l'océan. Il n'y avait pas âme qui vive. Cet endroit était désert. Un seul mot : PARADIS.

Mon père s’avança, les mains dans les poches, au bord de l’eau pour admirer la vue qui s’offrait à nous. L’air pensif et nostalgique. Il se tourna ensuite vers moi en me souriant tristement.

— C'est ici que j'ai rencontré ta mère pour la seconde fois. À cet endroit même, me dit-il tout désignant un imposant cocotier. Elle était là, allongée sur le sable à contempler mélancoliquement les étoiles.

Astérope était très belle, mais elle dégageait une telle morosité que sa beauté se ternissait à petit feu. J'appris par la suite que son chagrin était dû au fait que ses sœurs lui manquaient. Il faut que tu saches, ma chérie, que lorsqu'une pléiade meurt, elle rejoint le ciel pour former une constellation. Ta mère était la dernière survivante. Ne plus être entourée de ses sœurs lui pesait, la solitude la tuait. Après leurs morts, elle rejoignit la chasseresse Artémis en tant que sa suivante. Sauf, que rien ni personne ne pouvait remplacer l'amour fraternel. Se tenir ici, sur cette plage, lui permettait de se sentir proche des êtres chers mais absents. Je voulais la guérir de cette douleur qu'elle ressentait. Je lui donnais donc tout l'amour, toute la tendresse que j'éprouvais à son égard. Hélas, sa souffrance était trop insupportable pour son cœur. Elle me quitta ici même en me laissant un dernier cadeau, une dernière part d'elle... Toi Hestia. Il me regarda, une larme s’échappant de son œil droit.

— Oh papa ! sangloté-je en me blottissant dans ses bras. Votre histoire est triste mais tellement belle.

— Je n'ai jamais aimé personne comme je l'ai aimé elle. Sa mort m'a bouleversé, moi Hadès l'insensible maître de la mort. Elle était l'étincelle dans ma morne vie.

Son émotion était palpable. Je n'avais pu empêcher les larmes de couler. Il était rare de le voir ainsi, il faisait toujours preuve d'une telle maîtrise. Mais ma mère avait été la seule femme qui avait su troubler à la fois son cœur et son âme. Perséphone, sa femme, n'avait fait qu'attiser son désir. Le désir et l'amour étaient des sentiments contradictoires, l'un éphémère, l'autre éternel...

Savourant ce moment de quiétude, je me blottis tout contre lui et le contemplais. Je comprenais parfaitement pourquoi deux femmes, dont la beauté était légendaire, avaient été attirées par lui. Il était très beau dans le genre ténébreux. Des cheveux noirs bleutés, des yeux marron foncé et une stature imposante. Il dégageait quelque chose de dangereux, d'animal. Au premier abord, il pouvait se montrer froid, mais il fallait le connaitre pour savoir qu'il avait un grand cœur. J'avais hérité de certaines de ses caractéristiques physiques comme sa magnifique chevelure digne d'une pub pour L'Oréal. Par contre, je tenais mes yeux vairons, l'un violet l'autre bleu azuré, de ma mère et j'en étais fière.

Mes particularités physiques étaient assez déroutantes pour les humains, surtout lorsqu'ils me voyaient pour la première fois. On me dévisageait beaucoup, mais je m'en fichais royalement. Sans être présomptueuse j'étais quand même la fille d’Hadès, non de non. Pour les mortels, qui passaient leur vie à juger les gens différents, j'étais étrange. Un alien dirait certain ; une monstruosité dirait d'autre. Pour mon père, j'étais sa petite chérie, le soleil dans l'obscurité qu'était sa vie.

En parlant d'enfer, à cette période-ci Perséphone y résidait puisque c'était l'époque des semences. Date à laquelle elle quittait sa mère Déméter pour rejoindre les enfers. Au fait, connaissez-vous l'histoire d'Hadès et de Perséphone ? Si oui, vous rejoindrez l'Olympe, sinon...vous irez brûler dans les flammes de l'enfer...

Mais non je plaisantais, je vais vous raconter leur histoire.

Alors mon cher papounet a un jour décidé qu'enlever la fille de Zeus et de Déméter, sa nièce donc, était une très bonne idée. Il faut l'excuser le pauvre, mais il avait été subjugué par la beauté de Perséphone qui cueillait tranquillement des fleurs, avec des nymphes, dans la plaine d'Enna, en Sicile. Sa mère, Déméter, il faut suivre voyons, traversa toute la Grèce pour retrouver la prunelle de ses yeux, mais en vain. Zeus ordonna donc à Hadès de rendre Perséphone à sa chère maman, mais la malheureuse avait entre-temps mangé un grain de grenade qui la condamna à rester en enfer. Comme compromis, il fut décidé qu'elle partagerait son temps entre le monde souterrain et le monde d'en-haut. Donc à chaque printemps Déméter retrouve sa chère fille, mais lorsque l'automne arrive, elle retourne en enfer auprès d'Hadès. Il était donc inhabituel qu'il soit présent aujourd'hui. Eh oui, malgré son apparence douce, Perséphone était une vraie peste et elle lui faisait regretter le fait de l'avoir faite sienne un jour.

— Dis-moi comment se fait-il que tu sois là alors qu'ELLE est revenue ?

Il se tourna vers moi le regard malicieux.

— Peut-être parce que j'ai laissé Cerbère entrer dans sa chambre...il peut se montrer très affectueux lorsqu'il le souhaite.

Je le regardais dubitative. Il ne faut pas oublier que Perséphone était une la reine des limbes. Cerbère ou pas, elle aurait pu parfaitement le faire sortir de sa chambre.

— Et c'est tout ? Tu n'as rien fait d'autre ?

— J'ai peut-être demandé à Morphée de s'acquitter de la dette qu'il avait envers moi...

N'oublie jamais, Hestia, tout service rendu réclame paiement et celui-ci peut être réclamé à tout moment.

J'éclatais de rire, il n'était pas croyable. Il pouvait vraiment se montrer très immature après des siècles d'existence, comme quoi être très vieux n'apporte aucune sagesse au contraire.

— Et comment a fait Morphée pour se faufiler dans sa chambre et lui faire ingurgiter ses pavots soporifiques ?

Attends, ne me dit rien ! Tu m'as déjà dit qu'elle détestait qu'on entre dans sa chambre et donc qu'on y voit ses plantes chéries (elle adorait les fleurs c'est la fille de la reine du printemps quand même) par peur qu'on lui vole c'est bien ça ? Il acquiesça en me souriant. Que rien ni personne ne pouvait tromper sa vigilance et qu'elle veillait sur ses précieux, comme un dragon sur son trésor ? Il acquiesça une seconde fois l'air espiègle.

Je mis un doigt sur mon menton, pris une pose pensive et fis semblant de réfléchir.

— Hestia, je sais que tu sais !

Oh, il voulait jouer au jeu des questions, eh bien allons-y. Depuis petite j'adorais y jouer avec lui.

— Tu sais que je sais quoi ?

— Je sais que tu sais la réponse !

— Alors tu sais que je sais que tu as fait une bêtise ?

— Je sais que si tu ne me donne pas tout de suite la réponse tu seras bientôt en train de patauger au milieu des poissons !

— Tu n'oserais pas ? m'indignais-je

— Hestiaaa, gronda-t'il en faisant semblant d'être fâché contre moi. Mais peine perdu, son regard était pétillant de malice.

— Rhô, très bien ! Hestia sait que tu sais qu'elle a compris que tu avais obligé Morphée à porter ton casque qui te rend invisible. Afin de tromper la vigilance du dragon et de l'endormir. Tout ça, dans le but égoïste de venir t'amuser sur terre. C'est d'un tel machiavélisme. Le pauvre Morphée va en baver lorsque la bête se réveillera.

— Est-ce égoïste d'utiliser tous les moyens possibles pour venir assister à la représentation de sa fille ? Fille qu'il ne voit presque jamais et qui lui manque terriblement.

Je me jetais sur lui pour l'embrasser.

— Non, c'est la plus belle preuve d'amour.

— 1..., 2..., 3... Ma puce, si tu ne cours pas très vite tu risques de te retrouver trempée et transie de froid. Barboter dans la mer en automne n'est pas très recommandé…

—Oh papa, tu n’as pas intérêt. Je me levais pour m'éloigner de lui.

— Je vais pas me gêner.

En entendant cela, je me mis à courir aussi vite que possible tout en rigolant pour échapper au dangereux maître des morts, Hadès mon père.

Mais... ce que je ne savais pas, c'était que nous étions épié.

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