Chapitre 20
L’ennui était en train de prendre possession de mon corps. Je comprenais parfaitement bien le célèbre écrivain Oscar Wilde lorsqu’il disait : « il n’existe qu’une chose horrible en ce monde, un seul péché irrémissible, l’ennui ». La situation dans laquelle je me trouvais était invivable, je n’allais tout de même pas rester cachée dans cette maison toute ma vie. Il fallait que je sorte, pour prendre un peu l’air, me défouler, sinon mes pouvoirs allaient faire des ravages.
Ce fut déterminée comme jamais que je partis à la recherche de Décerto. J’avais décidé que c’était moi qui irait chercher Zéphyr à l’école aujourd’hui. Et rien ni personne ne me ferait changer d’avis, j’avais besoin de sortir !
Danaos venait me rendre visite à chaque fois que la nymphe, s’en allait chercher Zéphyr. Il attendait qu’elle ne soit plus en vue, avant de venir frapper à la porte. Il était adorable car grâce à lui j’avais l’esprit plus tranquille. Il me permettait de penser à autre chose et j’oubliais tout dès que ses bras se refermaient contre moi et que ses lèvres touchaient les miennes. Je pouvais même discuter avec Rallyeso par l’intervalle du téléphone de Dano.
Même faire du sport dans le jardin était proscrit. J’allais devenir rouillée à force de ne rien faire, il était pourtant impératif pour moi de m’entrainer, car la menace pesait toujours au-dessus de moi.
Je retrouvais Décerto dans le salon, elle regardait une série de télé-réalité, chose que je ne comprenais pas, mais alors pas du tout. A quoi cela serait-il de voir des filles superficielles, se crêper le chignon pour un mec qui s’en fichait comme de la dernière pluie. Le pire s’était les répliques, je n’avais jamais entendu pareille absurdité, même mon petit Zéphyr était plus intelligent du bout de ses cinq ans.
Je m’assis à ses côtés et elle ne daigna même pas tourner la tête vers moi.
—Décerto, je peux te parler ? demandais-je.
—Hum, fais vite, c’est le moment où Kévin va dire à Stacy qu’il préfère Rebecca.
Elle était complètement focalisée sur ce qu’il se passait à l’écran. Je tentais le tout pour le tout et j’éteignis la télé, sous le regard scandalisé de la nymphe.
—Nous devons discuter ! Cela fait bientôt quinze jours, que je suis enfermée ici, j’en ai marre ! J’ai l’impression d’être en prison. Je sais que dehors c’est dangereux, mais je ne vais pas rester éternellement enfermée dans cette maison ! lui expliquai-je hors de moi.
—Tu m’as interrompu pour ça Hestia ?! m’interrogea-t-elle d’un air dubitatif.
Je saisis ses deux mains entre les miennes.
—Décerto, je sais que c’est pour mon bien, mais comprends-moi, cette situation est insoutenable.
Elle se libéra de ma poigne et ferma un instant les yeux.
—Je le sais ma chérie, mieux que quiconque. La liberté est vitale pour un être vivant, mais ton père a promis qu’il enverrait l’un de ses gardiens, or il n’a toujours pas tenu sa promesse.
Je la regardais surprise par ce qu’elle venait de me dire. Ainsi, Hadès a décidé de m’envoyer une sorte de garde du corps. Je me demandais qui cela pouvait bien-t-il être, un mort ? Un autre chien des enfers ?
Résolue, je me levais avec précipitation et me plantait au milieu du salon.
—Il ne nous reste qu’une seule chose à faire Décerto, invoquer mon père !
Une lueur amusée traversa ses prunelles bleues.
—Ah et comment compte tu faire ? me questionna-t-elle en s’enfonçant plus confortablement sur le fauteuil en velours gris.
Je pris une grande inspiration et mis mes poings sur les hanches.
—Papa ! J’ai besoin de toi maintenant ! m’exclamai-je avec force et conviction.
Seul le silence me répondit. Je remarquais que Décerto se retenait de rire, ses lèvres tremblotaient et son corps était secoué de soubresaut. Je fis la moue et croisai les bras sous ma poitrine en marmonnant :
—Il n’est jamais là quand on a besoin de lui !
—De qui tu parles, ma poupée ? me demanda une voix grave et rocailleuse tout à fait reconnaissable.
Je sursautai et fis un bond magistral dans les airs. Décerto aussi a été surprise car elle a mis une main sur sa poitrine, signe de sa frayeur. Je me retournai afin d’examiner mon cher papounet.
—Super papa, tu es enfin là ! Alors ça fait deux semaines que je suis enfermée ici, je n’ai pas le droit de sortir, j’en ai assez ! Décerto, m’a promis de me laisser aller dehors si le protecteur que tu as promis faisait son apparition.
—Tu ne veux pas venir m’embrasser plutôt ? me dit-il avec un sourire charmeur et en ouvrant grand les bras pour que je viennes m’y blottir.
Je m’empressai de lui embrasser la joue et il me serra fort contre son cœur en huma l’odeur de mes cheveux.
—Papa tu peux me lâcher, j’étouffes, lui fis-je remarquer.
—Hum tu sens bon ma poupée et tes cheveux sont tous doux.
Il frotta son visage contre ma chevelure tel un chat en manque d’affection. Cela me fit rire aux éclats et le sourire de mon père s’agrandit. Il ébouriffa mes boucles ébènes, me cala contre lui et se retourna vers Décerto, qui était encore installée sur le sofa. Elle était complètement figée comme si elle avait vu un fantôme, ses mains ne cessaient de triturer sa jupe. On voyait bien qu’elle était nerveuse et la raison de cette nervosité semblait être la présence de mon père.
—Je vais accompagner Hestia faire un tour et à notre retour nous aurons une discussion, déclara-t-il à Décerto.
Cette dernière hocha la tête et se dépêcha de déguerpir, comme si elle avait le feu aux trousses.
Mon père m'adressa un regard confus et je m'empressais de le rassurer.
—Ne t'inquiètes pas, tu as été tout à fait charmant cette fois-ci, je pense juste que ta présence l'intimide quelque peu. Tu es quand même assez impressionnant, lui expliquai-je en lui faisant un clin d'œil.
Un rictus moqueur vint déformer sa bouche et il me pressa la main.
—Va chercher tes chaussures et prend un manteau chaud, il fait froid dehors. Nous allons discuter tous les deux, il est temps pour moi de tout te dévoiler, ma chérie, m’expliqua-t-il d'un air grave.
Cette déclaration n'annonçait rien de bon, j'appréhendais ce qu'il allait me dire. Faisant fit de mes états d'âmes, je m'empressais d'aller revêtir des bottes pour garder mes pieds bien au chaud, un bonnet avec un joli pompon rouge, des gants, une grosse écharpe en laine blanche, le tout agrémenté d'une veste épaisse noire. Cela me permettrait de ne pas me geler, car il faisait quelque peu frisquet en cette période.
Mon père m'attendait sur le perron de la porte, les mains dans les poches et le front plissé. Il semblait soucieux et cela ne me rassura guère.
Je le rejoignis et sans mots nous commençâmes à marcher dans les rues de Houston. Le silence qui pesait entre nous était parfois interrompu par des bruits citadins : des moteurs de voitures, des klaxons, des crissements de pneus, des cris, des rires…
J'inspirai profondément cet air glacial et pollué. Je n'aurais pas dû faire cela car je fus prise d'une quinte de toux à la suite du passage d'un bus crachotant du co2 par son pot d'échappement défectueux. Une main secourable me tapota le dos pour m'aider à récupérer mon souffle. J'offris à mon père un regard de gratitude et nous reprîmes notre chemin main dans la main.
Il nous dirigea dans un parc tout près de l'école de mon petit Zéphyr et me conduisit jusqu'à un banc en fer noir.
Nous nous installâmes et mon père passa son bras gauche autour de mes épaules et je calais ma tête contre son cou. J'aimais beaucoup ces instants de douceur et d'amour entre lui et moi, c'était si rare.
—Ma chérie, ce que j'ai à te dire ne va te plaire, mais ne m'interrompt pas s'il te plait, déclara-t-il avec sérieux.
—Je te le promets si toi tu me jures de répondre à toutes mes interrogations.
Je relevai la tête pour le regarder et il leva la main droite comme pour prêter serment.
—Je jure de dire la vérité et rien que la vérité.
Son air solennel me fit rire et je me reblottis contre lui dans l'attente de ses explications. J’entendais son cœur tambouriner contre sa cage thoracique, il prit une grande inspiration et commença son récit.
—Il y a de cela des centaines d’années, l’oracle de Delphes a prononcé une prophétie qui a changé mon frère, le seigneur des cieux. Lui qui avait vaincu Cronos pour mettre fin à son règne dictatorial, devint comme son père. Il fit assassiner tous les demi-dieux et demi-déesses qui avaient pour parent l’une des douze divinités Olympienne, même ses propres enfants. Il n’eut aucune pitié. Car la prophétie annonçait que son règne allait s’arrêter lorsque l’enfant de l’un des douze naitrait. L’élu serait encore plus puissant que lui et deviendrait le nouveau maitre des cieux, ainsi une nouvelle aire pourrait commencer, une aire moderne et prospère. La domination de Zeus était sur le point de toucher à sa fin et elle n’avait que trop durée, il était temps pour lui de se retirer.
De la buée s’échappait de nos bouches respectives, tous les bruits alentours s’étaient comme évaporés, je ne percevais plus que la voix grave de mon père. Ce qu’il était en train de me raconter était effroyable. Comment le seigneur des cieux avaient pu tuer sa progéniture son propre sang, la chair de sa chair. En y réfléchissant bien, cela ne me surprenais pas, il avait quand même lancé à mes trousses Python, alors que je ne constituais pas une menace pour lui. Malheureusement, j’étais la fille d’Hadès et il faisait partie des douze, donc ma vie était en péril.
Mon père crispa ses mains sur ses genoux et continua son récit.
—La célèbre guerre de Troie avait été fomenté par Zeus lui-même, l’idée était de tuer le plus de demi-dieux possibles ce fut le cas pour Achille, Hector, Ajax et bien d’autres. Il envoyait ses sbires assassiner même les familles des enfants des douze. Il promulgua un décret nous interdisant d’avoir des enfants, car jamais il ne laisserait quiconque lui voler son trône, car il était notre sauveur, notre protecteur. Héra soutint son mari, et les siècles de tyrannies commencèrent. On n’avait plus le droit d’émettre une quelconque opposition à Zeus ou Héra, tout ce qu’ils disaient devait être respecté, sous peine de punition. Ils envoyèrent des délateurs partout, pour nous espionner, et voir si l’on respectait bien leurs directives.
Les années passèrent et personne n’osa s’élever contre la perfidie des époux royaux. Et un jour, moi le seigneur des enfers je suis tombé amoureux et j’ai commis l’irréparable : engendrer un enfant. Ta mère sur son lit de mort, m’a fait jurer de te laisser la vie sauve, car elle avait senti au plus profond d’elle que tu étais l’enfant de la prophétie, celle qui faisait peur à mon frère Zeus.
Il raffermit la prise qu'il avait sur mon épaule et ferma les yeux un instant en quête du courage qu'il lui manquait pour terminer son histoire.
—Je t'ai raconté que ta mère était morte de tristesse, mais j'ai menti. Elle était très heureuse tout le long de sa grossesse, néanmoins très affaiblie par le petit être qui prenait forme dans son ventre et qui puisait sa magie en elle. Lorsque Astérope accoucha, elle utilisa ses dernières forces pour mettre au monde son bébé.
Je retins mon souffle dans l'attente de la suite. Il se pinça l'arête du nez et déglutit péniblement avant d'ajouter :
—Si elle est morte Hestia c'est parce que tu étais trop puissante pour elle et sans le vouloir tu l'as affaiblie. Tu te nourrissais en quelque sorte de la magie de ta mère pour grandir.
À sa mort, j’ai été anéanti et je t'ai rejeté, je ne voulais plus te voir. Par ta faute l'amour de ma vie était parti. C'est pour ça que je t'ai confié á Décerto. Je ne supportais plus ta présence... Et un jour, j'ai eu tellement mal de ne plus serrer dans mes bras Astérope, que je me suis matérialisé dans ta chambre et je t'ai poignardé.
J'écarquillai les yeux et reculai pour m'éloigner de lui sous le choc de cet aveu. Mon propre père avait essayé d'attenter à ma vie.
Ce fut comme si le ciel me tombait sur la tête.
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