Parfois on se fait des films pour rien
- Laisse-moi au moins regarder..!
- Non !
Wagram fit zipper la fermeture éclair de sa trousse sans que Valmy n'ait le temps d'y hasarder un oeil. Valmy soupira.
- C'est pas juste ! Moi je dis bien des secrets.
- Mais ce secret-là il est pas à moi.
Valmy se redressa sur sa chaise, interloqué.
- Pas à toi ?
Une voix grave du bureau du bout de la classe fit sursauter les deux camarades.
-Dîtes-donc, vous deux, si vous y tenez tant, je peux vous envoyer discuter chez le CPE.
Les garçons baissèrent les yeux sur leur cahier. Le professeur reprit sa leçon.
- Pas à toi ? reprit Valmy en chuchotant après que le maître s'est tourné pour écrire une date au tableau.
- Non, pas à moi.
Valmy gratta sa nuque blonde avec circonspection. Le ton sybillin de son ami ameçonait sa curiosité. Wagram était un petit jeune homme roux plein de mystères. Il ne parlait pas beaucoup, mais il ne disait que des choses intelligentes.
- Wagram ?
C'était le professeur.
- Oui, Monsieur.
- Puisque vous semblez si passionné par ce cours, vous saurez sûrement répondre à cette question : Quel Européen a découvert le continent américain en premier ?
La réponse fusa.
- L'Islandais Erik le Rouge, Monsieur.
Le professeur inspira profondément.
- Et je suppose que vous savez pourquoi il a lancé cette expédition ?
- Il fut banni de sa terre natale pour meurtre.
Cette fois le professeur rougit, puis reprit son cours comme si de rien n'était.
Valmy en profita pour reprendre le cours de sa conversation.
- C'est le secret de qui, alors ?
- J'ai pas le droit de te dire puisque c'est un secret !
- T'es pas drôle !
On frappa à la porte.
- Entrez.
La porte s'ouvrit, laissant apparaitre le visage de Léa.
- Je suis navrée, je suis en retard.
Le coeur de Wagram se mit à s'accélerer. Léa était la fille qu'il voulait pour lui. Chaque soir, elle le rejoignait dans ses rêves, lui prenait la main, l'appelait de toutes sortes de noms qui le faisaient frissoner. La main qu'il lui restait, il la posait sur sa joue et tout doucement, ils s'embrassaient.
- Eh Wagram !
Du coude, Valmy l'extirpa de ses pensées. Wagram dissimula son agacement en faisant mine de chercher quelque chose dans sa trousse. Valmy l'exaspérait de plus en plus. Le petit blond ne s'assayait à côté de lui que pour pouvoir copier lors des contrôles. Tout le monde le savait, et Wagram ne faisait pas exception. Mais Valmy était populaire, qualité dont Wagram espérait déceler la recette au contact du cancre. Le blond continua à voix basse.
- Tu trouves pas qu'elle est jolie, Léa ?
Naturellement qu'elle était belle, avec ses cheveux mouillés par la pluie et ses joues ravivées et essouflées par l'effort. Mécaniquement et sans vraiment y penser, Wagram avait serré un peu plus ses doigts sur sa trousse à cette remarque.
Le dernier cours de la journée prit fin et les élèves évacuèrent la classe pour rentrer chez eux.
Valmy ne prit pas la peine d'attendre Wagram et reparti en rigolant avec sa bande de potes. Seul, Wagram sortit de l'enceinte de l'école et fit un détour par les pots de fleurs bordant la fenêtre du concierge avant de se diriger vers l'arrêt de bus. Il cacha la fleur qu'il avait dérobé dans la poche de son ciré jaune avec le plus grand soin du monde. La pluie s'était arrêtée et un rayon de soleil vint caresser ses tâches de rousseur. Léa attendait là, sous l'abribus. Elle lui sourit. Elle l'attendait.
- Tu prends le bus 146 toi aussi ? demanda Wagram.
Léa répondit d'une voix douce et riante.
- Non, mais je voulais te parler.
Le rythme cardiaque du petit rouquin s'accéléra de nouveau.
Elle reprit.
- C'est bien moi qui a écrit le mot que tu as mis dans ta trousse.
Cette fois c'était sûr, son coeur cherchait par tous les moyens à s'évader de son torse. Ses jambes commencaient à se dérober sous lui. Il s'apprêta à dégainer la rose qu'il avait subtilisé pour elle.
- Mais je te rassure..
Wagram ne disait toujours rien, il était comme propulsé dans l'espace, en apesanteur.
- ... ça ne t'était pas destiné.
- Oh...
Le retour à la réalité fut brutal. Wagram avait le tourni, plus de force dans les jambes et luttait de toute ses forces pour n'en rien laisser paraître.
- En fait, j'avais dit à Laëtitia de le donner à Valmy mais cette conne elle te l'a envoyé sans te dire de le passer à ton voisin. Je suis désolée.
- Oh, t'inquiète, y pas de malaise.
- De toute manière, je vais lui dire directement, c'est plus romantique qu'un pauvre papier, t'es pas d'accord ?
- Si, si, t'as raison.
- Bon ben... je vais y aller alors.
- Ouais.
- Salut !
- Salut.
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