Chapitre 3 : L'incident du dix-septième arrondissement

16 minutes de lecture

— Mmmh !

Elias réprima un bâillement tout en s’étirant malgré l’intérieur exigu du carrosse. Dehors, l’aube n’était pas encore là, cachée par une épaisse mer nuageuse, mais la ville montrait déjà des signes d’activité. Il faut dire qu’à l’image des semaines précédentes, Paris avait mal dormi, bercée aux sons d’explosion et de cris. Les violences nocturnes se poursuivaient, rongeant les rues de la capitale et érodant progressivement l’influence et la légitimité d’un pouvoir sous perfusion. Néanmoins, ces agitations ne troublaient pas Elias outre mesure. Celui-ci regardait d’un œil morne les visages exsangues des travailleurs, qui remontaient les artères en direction des ateliers.

Pitoyable. Tant qu’ils continueront de s’écraser devant l’appareil de production, alors toute lutte sera vaine.

Son soupir de mépris passa inaperçu. Ses compagnons affichaient une façade sérieuse, déterminée. Bien qu’il n’ait jamais été observé directement, Dowle prenait au sérieux l’existence d’un vampire rôdant dans le dix-septième. Aussi s’étaient-ils équipés en conséquence : Goran avait préparé des balles en argent pour ces diverses armes à feu ; Marcus et Elias avaient opté pour des lames composées du même métal. Varis enfin, étonnement plus loquace, leur fit part de ses compétences de chimiste, et du dangereux poison qu’elle avait concocté la veille. Profitant de cette occasion, Elias avait tenté d’en apprendre plus sur elle, sans succès de prime abord. Néanmoins, à force d’insister, celle-ci finit par leur faire une révélation. Malgré ses longues oreilles et son regard émeraude, elle n’était qu’une sang-mêlé, à chemin entre le monde des hommes et celui des elfes. Orpheline, elle ignorait tout de son parent elfique, ainsi que les raisons derrière son abandon. Durant sa confession, elle continua de maintenir cette façade dure, presque hostile, à l’égard de ses associés. Mais Elias fut satisfait d’y voir une fêlure, hautement révélateur sur la psyché de la demi-elfe. Il ne regrettait pas d’avoir choisi cette voie-là, qui promettait moult péripéties.

Oooh maudit Livre, sens-tu ton heure arriver ?

Pendant qu’il songeait avec excitation au futur, un nouveau silence durable s’était installé, détournant son attention vers le paysage qui défilait. L’aube prenait doucement fin, et il ne subsistait presque plus d’obscurité. En revanche, le ciel gris privait encore la ville de la caresse des rayons du jour. L’ambiance morose qui en jaillissait s’accommodait parfaitement avec l’architecture plus moderne, faite d’espace plus large. Les rues de plus en plus spacieuses étaient symptomatiques des arrondissements périphériques, même si paradoxalement, peu de monde les arpentait. Seuls quelques badauds, en retard ou perdus, erraient comme des âmes en peine. C’était en partie dû à la fonction première du dix-septième arrondissement, constitué en grande majorité de résidences prolétariennes. Les lieux de vie étaient peu nombreux dans ce gigantesque dortoir. Du fait de leur rareté ici, les quelques cafés et bars étaient bondés de locaux.

Ce quartier tranchait avec la richesse et l’opulence du troisième arrondissement. Chez les Mienor, pas de magie pour masquer la crasse inhérente à une ville, et plus particulièrement à un coin modeste. Les maisons étaient toutes à étages, étroites et collées les unes aux autres, offrant un contraste avec la largeur des rues. Leur disposition évoquait un simulacre de rempart, qui s’adossait par ailleurs à la véritable muraille.

Le carrosse s’arrêta subitement au détour d’une avenue, libérant le groupe à proximité de son objectif. Ils ne mirent pas bien longtemps à l’apercevoir : coincé entre plusieurs habitations similaires, un perron en ruine laissait entrevoir les signes d’une explosion. Néanmoins, en se rapprochant, il apparaissait que le site semblait nettement mieux préservé que prévu, et que seule l’entrée avait subi le passage d’une chose vraisemblablement trop grande pour les standards humains.

— Et bien, c’est tout à la fois décevant et impressionnant ! sifflota Elias.

Varis lui adressa un regard noir, visiblement contrarié par le manque de discrétion de son acolyte, avant de franchir le palier. Celui-ci donnait immédiatement sur un petit salon au mobilier modeste. Dedans, rien ne laissait deviner qu’une explosion avait bien eu lieu, à l’exception d’un nouveau trou similaire au premier, situé de l’autre côté.

Celui ou celle qui a étouffé l’affaire semble être un sacré amateur. Rien ne correspond à la description du compte-rendu ! s’amusa Elias.

Après quelques minutes de réflexions communes, les membres se séparèrent après s’être attribué chacun une zone de recherche : Varis restait fouiller le salon alors que Goran s’occupait de la pièce juste derrière. Elias quant à lui montait à l’étage, pendant que Marcus guettait l’extérieur, pour s’assurer que personne ne vienne les déranger.

Personne n’ignorait que la possibilité de trouver quelque chose était mince, vu le temps passé depuis les faits, et le résultat des précédentes investigations. Avec un sérieux presque exagéré, Elias ouvrit l’une des deux portes présentes dans le petit couloir. Derrière, une chambre presque vide, dans laquelle le mobilier se résumait à un modeste bureau, une bassine en bois dont l’odeur presque estompée ne trompait pas sur son ancienne fonction, et un lit simple. En somme, rien de bien pertinent. Le jeune homme ne s’attarda pas longtemps dedans et rebroussa chemin pour visiter la seconde pièce. Sur le palier de celle-ci, la similitude avec la précédente ne laissait que peu d’espoir pour trouver un indice bienvenu, la seule différence résidant dans les fissures du mur du fond, conséquence du perron en ruine. Cette simple nuance manqua de lui coûter sa vie.

Avec un salvateur réflexe, il esquiva d’une roulade la lame fusant vers sa gorge. Immédiatement après, il se retourna pour faire face au responsable. Entièrement drapée de noir, une silhouette pestait sur l’élégant poignard bloqué dans l’embrasure de la porte en bois. Profitant de cette immobilisation temporaire, Elias s’élança en dégainant, tout en criant pour avertir ses camarades.

— On est attaqué !

Sa riposte n’atteignit pas sa cible, qui libéra son arme à temps pour dévier l’acier tout en propulsant son pied vers le ventre de Elias. Le souffle coupé, celui-ci parvint maladroitement à esquiver une nouvelle taillade avant de redresser sa garde, pour parer la seconde lame qui venait d’apparaître dans la seconde main de son assaillant. Un échange de coup eut lieu, remarquable par l’intensité et la rapidité des deux combattants. Soudain, la silhouette en noir s’immobilisa, avant de se retourner faiblement : la détonation du pistolet de Goran avait résonné dans la pièce, touchant l’agresseur dans le bas du dos. Chancelant, celui-ci s’élança subitement dans le couloir, avec l’intention ferme de forcer le passage.

— Attention, elle n’est pas humaine ! avertis Elias.

Le demi-vampire en était convaincu après cette passe d’armes : seul un congénère pouvait ainsi lui tenir tête. Sans perdre son sang-froid, Goran dégaina son second revolver et fit parler la poudre à plusieurs reprises. Mais sans l’effet de surprise, le mystérieux assaillant dévia sans peine les projectiles tirés, et combla la distance le séparant du pistolero. Alors qu’il s’apprêtait à le décapiter, Goran se laissa chuter en arrière dans un mouvement parfaitement contrôlé, tout en faisant feu à nouveau. Les balles ricochèrent une fois encore sur l’acier des lames, mais cela suffit pour détourner l’attention de sa cible : deux éclats lumineux fusèrent du couloir et la touchèrent, dans le torse et dans la tête. Un grognement de douleur se fit entendre, et la silhouette tituba au centre de la pièce, désormais encerclé.

— Inutile d’essayer de vous échapper, vous êtes piégé.

Calmement, Varis apparut à son tour, jouant avec d’autres dagues dans ses mains, pendant que Goran se remettait debout en maintenant le canon de ses armes pointées.

— Ces dagues sont enduites d’un poison capable de paralyser et tuer un cheval en quelques secondes. Visiblement, vous y avez résisté, du moins partiellement, n’est-ce pas ?

Effectivement, leur adversaire avait vraisemblablement du mal à tenir sur ses jambes, et finit par abdiquer en posant un genou à terre. Une voix féminine teintée de haine sortit de l’ombre de la capuche.

— Pitoyables êtres inférieurs, ne criez pas victoire trop vite !

— Allons, allons ! Quelle singulière manière de saluer autrui ! répliqua Elias. D’abord une attaque-surprise, et ensuite, en guise de premiers mots, des insultes ?

— Maudit sang-mêlé, sale engeance incapable d’accepter la bénédiction qui t’a été offerte !

— Voilà qui confirme ma pensée et les rumeurs du coin : vous êtes une vampire n’est-ce pas ? Et de bons rangs si j’en juge la qualité de vos mouvements.

Tout en discutant, Elias et ses compagnons réduisaient la distance qui les séparait de la femme pour lui retirer toute échappatoire. Suivant ces manœuvres d’isolements, les pupilles rouges vibrantes de colère semblèrent finalement abdiquer. Personne ne décela le piège. C’est quand ils furent presque sur elle que la vampire agit, bondissant désespérément sur Elias. Pris de court par ce baroud d’honneur, celui-ci répliqua instinctivement, sa lame décrivant un parfait croissant dans les airs. Le bras droit de leur opposante fut tranché net, mais cela ne la stoppa nullement dans son ambition. Sans l’ombre d’une hésitation, elle passa derrière l’épéiste et traversa, dans un bruit assourdissant de verre brisé, la fenêtre du premier étage.

Elias jura, et s’élança presque à sa suite. La chute ne dura qu’un instant, et le jeune demi-vampire se réceptionna habilement. En levant les yeux, il aperçut leur adversaire plaqué sur le ventre au sol, et perché dessus, Marcus qui lui faisait une clé de bras.

— C’est quoi ce bazar ?! J’ai entendu des tirs, et voilà que maintenant, une chatte errante atterrit sur moi !

— Une heureuse rencontre, voyons la chose comme ça, ricana Elias. Vous la tenez bien, hein ? Je vais l’assommer.

Alors qu’il se redressait, la vampire se mit doucement à rire tout en tournant un regard chargé de haine en direction des pas qui se rapprochait. Maintenant que sa capuche était tombée, on pouvait distinguer très clairement le teint pâle et les yeux rouges caractéristiques de sa race.

— C’est inutile, maudite espèce, tu m’as déjà permis de m’échapper, cracha-t-elle avec un sourire plein de colère.

Dans un premier temps, Elias ne tiqua pas sur ces mots. Ce n’est que lorsque les premiers rayons chatouillèrent sa peau, qu’un électrochoc se produisit. Les nuages s’étaient légèrement dissipés, suffisamment pour ressentir la caresse du soleil.

— Marcus, vite à l’ombre ! Elle va brûler !

Celui-ci n’eut pas le temps de réagir. En l’espace d’une seconde, la vampire déboîta sa jambe et la projeta dans son dos. Surpris, le moustachu relâcha la pression. Libre de tout mouvement, la femme se dégagea, et roula à bonne distance de ses opposants. Sous le joug solaire, des flammes s’élevèrent de son corps fumant. Pendant que son être se consumait, elle jeta un dernier regard haineux pour Elias.

— Vous n’avez pas idée de l’étendue des événements futurs.

Aucun des deux compagnons n’eut le temps de réagir à l’avertissement. La silhouette brisée de la vampire s’embrasa entièrement, la réduisant en quelques secondes à l’état de cendre. Visiblement effaré, Marcus observa ce qui en restait.

— Qu’est-ce que… balbutia-t-il. Elle n’avait pas d’anneau ?

— Je lui ai tranché un bras à l’étage. C’est probablement là qu’il se trouve, pesta Elias.

Le jeune homme soupira. Une source d’information précieuse, tombée miraculeusement dans leurs mains, venait de leur échapper. Derrière eux, Varis et Goran les rejoignaient, avisant en silence les braises fumantes. Sans un mot, Goran fut le premier à s’en détourner.

— Qu’importe ce qu’elle savait, il est trop tard. En revanche, j’ai une piste bien concrète.

— Pardon ? s’étonna Varis.

Le Traqueur ne daigna pas apporter la moindre réponse, se contentant de tourner les talons vers la maison. D’un regard tacite, les autres s’élancèrent à sa suite pour le rejoindre dans la pièce du fond. Contrairement au salon ou à l’étage, ici tout était en désordre. Ce qui était à l’origine une modeste cuisine n’était plus qu’un amas de mobilier et d’ustensiles éparpillés un peu partout. En prenant soin de ne pas trébucher sur les débris, Elias se rapprocha de Goran qui s’était agenouillé en silence dans un coin.

— D’accord, et maintenant ? s’impatienta la demi-elfe.

Ignorant l’injonction, Goran observait avec attention le parquet abîmé, caressant du bout des doigts les lattes usés. Soudain, il se redressa et d’un coup sec, frappa violemment le sol avec son pied. Ces camarades n’eurent pas le loisir de s’émouvoir face à une telle scène : la jambe traversa le plancher, révélant un escalier qui s’enfonçait sous terre.

— Merde alors, comment saviez-vous ?! s’interrogea Marcus.

— J’ai de très bons yeux. C’était presque imperceptible, mais le bois à cet endroit était légèrement différent du reste. Il semblait… plus récent.

Ce ton détaché n’enlevait rien à la performance : Elias avait beau essayer de distinguer ces fameuses traces, le sol paraissait parfaitement uniforme. Échangeant un regard entendu avec Marcus, il comprit qu’il n’était pas le seul stupéfait.

Mais bon, quoi de plus étonnant pour un tireur que d’avoir une vue excellente, pensa-t-il.

Des bruits le ramenèrent à la réalité ; Varis était en train d’arracher les planches gênantes pour dégager le chemin. Ils remarquèrent à cette occasion que la pierre était abîmée de partout, comme si une chose plus imposante que l’étroit escalier était passée par là.

— Haha, je crois qu’on tient quelque chose ! jubila le moustachu.

— Du calme, tempéra la demi-elfe. Avant de continuer, notons déjà que cet endroit semble sceller depuis un moment. Les Justes et les Braves ne l’ont probablement pas trouvé.

— Ou bien n’ont-ils pas voulu ! ricana Elias.

Effectivement, un épais nuage de poussière s’était soulevé, accompagné d’une désagréable odeur de renfermé. Ils devaient être les premiers à poser leurs yeux dessus depuis que les précédents occupants l’avaient abandonné.

— Il nous faut déterminer un ordre de descente. Vu l’étroitesse, on ne pourra avancer qu’un par un, nota Varis. Il n’est pas à exclure également que cet endroit soit piégé, donc celui qui ouvre la marche devra faire très attention.

— Amusant ! s’enthousiasma Elias qui s’élança sans attendre.

Varis s’apprêtait à protester, mais les autres ne lui laissèrent pas le temps d’exprimer son agacement. Finalement, la demi-elfe abdiqua et s’engagea à son tour, disparaissant dans l’obscurité.

Le tunnel n’était pas bien long, et s’arrêtait face au reste défoncé d’une épaisse porte métallique. Si un système de sécurité avait existé, alors il était inopérant depuis. Le groupe pénétra sans encombre dans une cave au plafond voûté, où s’étendaient des paillasses recouvertes de fioles et instruments étranges. Grimaçant, Elias abrita ses narines derrière le col de son manteau, sensible aux effluves chimiques qui embaumaient la pièce.

— Aucun doute, c’est un atelier, murmura-t-il.

Derrière lui, ses compagnons acquiescèrent silencieusement. Ces laboratoires étaient les salles aux trésors des mages, le lieu de leurs expérimentations les plus secrètes et précieuses. Explorer l’un d’eux revenait à pénétrer dans l’intimité de son propriétaire, sauf qu’ici, le, le ménage avait vraisemblablement déjà été fait. Au-delà des émanations tenaces, il régnait une odeur de papier brûlé, qui ne laissait pas de place au doute.

Alors qu’il déambulait doucement en essayant de se représenter quelles sombres recherches avait pu être mené, le bruit du verre que l’on écrase surpris Elias. Celui-ci découvrit, dans un coin reculé de la pièce, une imposante cuve éventrée.

— Vu les dimensions, la chose dedans devait être massive, siffla Marcus qui s’approchait.

Elias acquiesça, tout en songeant aux portes explosées et au perron en ruine. Il s’agenouilla, ramassant un morceau où figurait une inscription.

— « Jet 41 »… Sujet 41, je suppose.

— Tout ça ressemble beaucoup à des expériences sur des hybrides, intervint Varis. Néanmoins, avec ces modestes installations, j’ai du mal à croire qu’ils aient pu en concevoir autant. Il existe sans doute d’autres labos similaires à celui-ci.

— Et celui-ci a dû connaître une interruption brutale à cause du sujet 41, acquiesça Marcus. (après réflexion, il ajouta), mais comment expliquer alors le parquet intact dans la cuisine ? Ceux qui travaillaient ici l’auraient fait remplacer ? Et même ainsi, comment la police a-t-elle pu l’ignorer ? Après tout, Goran l’a bien débusqué en peu de temps !

— Ma vue est spéciale, réagit l’intéressé. Si j’ai pu le remarquer, c’est parce que le bois avait été renforcé par divers sorts qui le rendaient plus résistant que de l’acier.

— Ne dites pas n’importe quoi, répliqua Varis. Outre le fait que vous l’avez fracassé, j’ai facilement arraché des lattes.

Retirant son gant, le Traqueur tendit sa main face à ses camarades. Une entaille barrait la paume, fraîche, comme l’attestait l’absence de cicatrisation.

— Mon sang à des propriétés corrosives. Avant l’attaque de la vampire, j’en avais déjà aspergé le sol.

— D’accord, d’accord, obtempéra Marcus. Tout ça tient la route, mais il reste encore une zone d’ombre.

Tout en parlant, il désigna la cuve. Elias se gratta le menton, pensif.

— C’est vrai que la chose à l’intérieur ne devait pas passer inaperçue, surtout aux yeux des mienors…

La phrase mourut dans la bouche du jeune homme, alors que sa main descendait prudemment jusqu’à la garde son épée. Il avait été réactif, mais moins que Varis, qui s’était déjà glissé à l’ombre de l’entrée de l’atelier, prête à prendre par surprise l’intrus qui approchait. La démarche était féline, volontairement discrète, mais n’avait pu échapper à l’ouïe acérée de la demi-elfe. À peine l’inconnu posait-il un pied que le fil tranchant d’une lame caressa la peau de son cou, le forçant à s’immobiliser. Sans perdre son sang-froid, il leva lentement les mains en l’air.

— Calmez-vous, je ne suis point une menace, bien que ma soudaine apparition vous donne toutes les bonnes raisons du monde d’être sur vos gardes, dit-il avec une voix profonde et assurée.

Drapé dans un long manteau militaire, son visage sévère observait avec attention les mercenaires. Malgré sa chevelure grisonnante, il ne semblait pas subir son âge, conservant une posture droite.

— Vous êtes ? grogna Marcus.

— Willard, chef d’une unité de Jaëgers.

Sans relâcher la pression, Varis adopta une attitude plus ouverte. Les Jaëgers étaient un groupe hétéroclite de chasseurs de vampire. Ils ne se préoccupaient pas des questions politiques ou morales, seule leur importait l’extermination de leur ennemi juré. De fait, elle savait qu’il est possible d’engager une conversation avec cet individu.

— Comment se fait-il qu’un Jaëger se trouve là, et que cherche-t-il à accomplir en venant s’adresser à nous ?

— Pour ce qui est de votre première interrogation, et elle est parfaitement légitime, je suis ici en lien avec la créature que vous avez affrontée, répondit poliment Willard.

Tout en s’exprimant, son regard s’était arrêté sur Elias. Malgré les verres ronds de ses lunettes, le demi-vampire sentit toute la pression de ses pupilles de rapace, rodé par de nombreuses années de terrain.

Ah ! M’aurait-on percé à jour ?

— Quant à votre seconde réflexion, poursuit-il, et bien je souhaite pouvoir échanger entre partisans de la chasse au vampire. Partager quelques paroles entre personnes de confiance en somme.

Varis resta silencieuse, analysant la situation, avant de retirer lentement son poignard. Tout en rejoignant ses compagnons, la demi-elfe peaufina intérieurement une réponse qui lui permettrait de tirer de nouveaux renseignements.

— Avec plaisir, monsieur Willard !

Prise de court, elle observa avec colère Elias, qui venait de la devancer. Celui-ci s’en amusa d’autant plus que son enthousiasme troublait également le sérieux Jaëger.

— Ah ? Et bien… mmh… je suis ravi de constater un tel enthousiasme pour cette proposition, balbutia Willard.

Essayant tant bien que mal de suivre le flot anarchique de ses mots, ses mains cherchaient quelque chose dans les larges plis de son manteau. Il finit par en sortir une carte, que Elias s’empressa d’accepter.

— Ce bout de papier contient les informations nécessaires si vous souhaitez me contacter, après en avoir discuté entre vous, dit-il en insistant sur ces derniers mots. Ne perdez pas trop de temps en réflexion, l’affaire dont je veux vous entretenir est urgente et il me faut une réponse rapide, avant demain soir si possible.

Il hésita quelques instants, encore désarçonné par la candide franchise de Elias, avant de tourner les talons. Celui-ci tenait la petite carte cartonnée entre ses mains, où figurait une adresse qu’il prononça à voix haute.

— 23 Allée du Maréchal Bolur, de mémoire pas un endroit très fréquenté.

— À l’avenir, je mènerais les conversations, Elias.

Varis laissait échapper un peu de sa frustration. Celle-ci s’accentua d’autant plus face à la réaction surprise de son camarade.

— Comment ça ? Ai-je fait quelque chose qui mérite réprimande ?

Alors que la demi-elfe s’apprêtait à donner une réponse sèche teintée de mépris, elle remarqua le subtil sourire en coin sur les lèvres de son interlocuteur.

Petit malin, ce n’était pas une erreur, rumina-t-elle. Il se joue de moi, et cette situation semble l’amuser au plus haut point.

Varis révisa son jugement à son égard : de toute évidence, elle n’était pas la seule renarde dans ce groupe.

— Je ne suis simplement pas d’accord avec votre manière de mener une négociation. Mais qu’importe ce qu’il vient de se passer, nous avons maintenant une décision à prendre ensemble, poursuivit-elle.

— Accepter ou non la charmante invitation de ce dénommé Willard ? demanda Marcus.

– Absolument. Je pensais être en mesure d’en apprendre plus en discutant avec lui, mais l’intervention de notre cher camarade m’en a empêché. Je reste persuadé que l’on peut obtenir de lui des renseignements inédits.

— Je partage cet avis, acquiesça Goran.

— Peut-être, mais on ne sait rien de ce type, rétorqua Marcus. J’ai déjà entendu parler des Jaëgers, ils ont une réputation correcte, mais qu’est ce qui nous prouve que ce Villard en fait réellement partie ?

— Il ne nous a pas menti.

La voix de Elias avait retenti forte et claire. Il profita de l’attention qui se portait sur lui pour poursuivre.

— Je me sais capable de juger de la valeur d’un individu. Un talent forgé grâce à une longue expérience en la matière, ajouta-t-il avec un clin d’œil appuyé pour Varis.

Varis réprimait en silence son agacement. Alors qu’elle avait sous-estimé cette personne, celui-ci l’avait parfaitement cerné depuis le début. Son emprise sur les décisions de leur temporaire groupe allait se raffermir avec cet épisode.

Dans tous les cas, il paraît plus sage pour le moment de conserver une certaine unité entre nous, songea la demi-elfe en maintenant un visage impassible.

Alors qu’ils quittaient la salle, Varis se retourna une dernière fois. Malgré leurs maigres découvertes, elle ne pouvait totalement refréner un troublant sentiment de malaise. Des choses s’étaient déroulées ici, des expérimentations qui avaient marqué durablement les pierres de ce sous-sol. Des recherches hérétiques, imprégnées de souffrance et au-delà de tout bon sens moral. Une fugace pensée s’enracina dans son esprit : quelqu’un était-il suffisamment fou pour réellement briser le tabou du Séraphin ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maxime Lopez ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0