5 - Psychose

6 minutes de lecture

Résumé des chapitres précédents – 1 à 4 : Pour Diana Artz, les problèmes n’ont pas commencé avec cette intrusion d’un inconnu dans sa maison perdue en pleine garrigue non loin d’Aix. Mariée à Paul, elle a habité à la Défense, puis en Touraine, et finalement, la personnalité de Paul changeant de plus en plus, elle a accepté de le suivre en Provence. Là-bas, ils ont divorcé. Les gendarmes passent chez elle au sujet de son agression. Ils lui apprennent la disparition d’un petit garçon dans la région. Elle est sur les nerfs. Elle découvre que l’agresseur en avait après sa pharmacie. Le contact de Nicolas ne l’apaise guère, au contraire elle a du mal à s’épancher sur ce qui vient de lui arriver.

– 5 –

Les semaines passèrent. J’avais l’impression que mon existence était devenue plus que terne, sinistre. Rien n’allait plus. J’occupais mon temps en courses pour des vétilles, sans que je pusse réagir, et cette après midi, à la sortie de Lambron, je crevai un pneu. Ma seule veine fut que je pus me replier dans un chemin longeant la route, faisant office de contre-allée. Un type stationnant là pour passer un coup de fil me prêta généreusement assistance. Dieu merci, il y en avait encore quelques uns de biens.

Nous étions sous la pluie, et chaque fois qu’un véhicule passait sur la route détrempée, une gerbe jaillissait et un bruit de cascade cisaillait l’air. J’étais toujours aussi nerveuse et bizarrement frigorifiée.

– Rentrez dans la voiture…

– Non, non. Je préfère vous tenir compagnie.

Je n’avais pas envie d’être seule dans l’habitacle, dans le silence et la moiteur, ni de sentir le type trifouiller le flanc de mon auto sans voir ce qu’il faisait. L’automobiliste me sentit sur la défensive.

Un orage violent avait éclaté la nuit dernière. Le temps s’était détraqué, et depuis une bruine persistante s’abattait sur le pays sans discontinuer. C’était un voile humide, collant et désagréable comme une toile d’araignée. La terre se gorgeait tant qu’elle pouvait. Tout le monde était soulagé sauf moi à cette minute. Bien sûr, je n’avais aucun parapluie dans la voiture. Je pestais.

Tandis que mon preux chevalier accroupi s’occupait de ma roue, je regardais attentivement dans plusieurs directions. Mon instinct me disait que nous n’étions pas seuls. Enfin la roue fut changée. Le type, dont j’avais visé l’alliance au doigt dès son approche, me salua et repartit, fier et content d’avoir rendu service. Pas de monnaie, je n’avais rien à lui donner. Cependant, j’avais bien vu que pendant qu’il s’affairait à genoux, il m’avait reluquée le bas des jambes à plusieurs reprises, et même, de façon équivoque, il s’était essayé plus haut. Avec mon chemisier trempé, le spectacle devait être charmant. Il s’était payé avec.

Il n’y avait plus que ma personne au milieu de la campagne opaque ; mais ce sentiment d’être épiée ne me quittait pas. Un camion passa sur la nationale, au ralenti ; le chauffeur tourna la tête vers moi. Un frisson me saisit l’échine. Je regardai défiler quelques autos, demeurant concentrée sur le visage des conducteurs, pour voir si eux aussi me repéraient. « Tu te fais du cinéma pour rien, Diana. Ne tombe surtout pas dans la paranoïa. Ta vie va devenir impossible. »

A ce moment, je sursautai. A travers le rideau de pluie, je crus voir une silhouette de l’autre côté de la route, tout là bas, à la lisière d’un bosquet. L’homme disparut sous le couvert. La pluie s’accéléra, si bien que je ne distinguai bientôt plus rien. Le vent se leva et les tourbillons m’assaillirent. J’avais peut-être rêvé.

Je rentrai prendre un bon bain. Mes cheveux détrempés ressemblaient à du varech, mes habits n’avaient plus de couleur. La chaleur, malgré la pluie, était toujours aussi tenace. Finalement, je ne restai pas en place. Par la suite, je repris la voiture. Passer ma journée à conduire, à déambuler dans les magasins d’Aix ou à feuilleter des journaux au tabac-presse du coin, occupait mon esprit : je m’enveloppais dans une carapace de mouvement. Et puis je rendis visite à une ou deux amies. Et bientôt je me retrouvai chez Nicolas.

Je répugnai à lui raconter mes nouvelles mésaventures. Evoquer cette silhouette d’homme en train de me guetter au bord de la route, sous la pluie ? Mais il allait me rire au nez. Ce serait aussi agaçant que ces gendarmes finalement assez peu concernés par mon récit de l’agression. Et sans doute étais-je encore dans mon délire, entre peur de l’humiliation et psychose… Mais la roue, elle, était bien crevée.

Au fur et à mesure que nous passâmes cette soirée ensemble, l’atmosphère se figea. Nicolas avait bien tenté de me prendre la main à plusieurs reprises, mais cette main glissait, s’éclipsait, ne tenait pas en place. Mauvais réflexe ? Vérité cachée ? J’en avais un peu honte. J’avais senti l’autre jour comme une imperceptible fissure au milieu de nos retrouvailles. Un indicible sentiment d’abandon de soi-même entièrement négatif, car correspondant à une idée de renoncement.

Nous n’avions jamais vécu ensemble à dire vrai. Nicolas avait rompu de son côté après une longue relation, à l’époque où je divorçais de Paul. Nous avions jugé que se voir selon nos envies du moment était la meilleure façon de ne pas recommencer les erreurs du passé.

Je mis cette répugnance passagère sur le compte de l’attaque de l’autre jour.

– Est-ce que ça va, Diana ?

De toutes les manières, question lit, - en l’occurrence canapé - j’étais consciente que, depuis un certain temps, j’étais plus que passive, fuyante, secrètement lugubre, tout en essayant de le cacher. Je me laissais désirer autant que Paul dans les derniers temps de notre vie commune. Enfin, Nicolas sentit mon plaisir et il s’en trouva heureux. C’était l’essentiel. C’était tout. Ce constat m’enrageait. Le fait qu’il avait été à la hauteur ajouta à ma mauvaise humeur et ma consternation. Je me dis que je n’aurais pas dû accepter cette nouvelle étreinte après ce qui m’était arrivé. D’un autre côté, le frein que j’éprouvais à ce qu’il me possédât existait déjà bien avant l’agression. J’étais contradictoire. Est-ce que je pouvais affirmer que j’avais éprouvé ce soir le plus abouti des transports ? C’était bon, mais ce n’était pas le Pérou. Ah ! le gâchis des corps qui ne se trouvent plus, soit parce qu’ils sont paresseux et trop proches, routiniers et connaisseurs, soit parce qu’ils réfléchissent trop, ce qui était mon cas. Nicolas avait dû sentir que je me lassais de quelque chose. Je soupirai :

– Non rien, juste un peu fatiguée.

– Fatiguée, tu fais quoi de tes journées ? Tu montes un mur en cachette ?

Quelle drôle d’expression de sa part.

– Non, fais-je en me forçant à sourire, juste désorientée. Tu sais bien, mon chou, j’ai subi un choc…

Mon réflexe était de mettre en accusation ce qui m’était arrivé deux semaines plus tôt, l’attaque de l’horrible vagabond. Cette hypocrisie de ma part me mit hors de moi. Quel prétexte vain ! Répondre aux gens n’est bien souvent qu’un invraisemblable jeu de passe-passe entre des idées qui se déguisent et se rendent service.

– Excuse-moi. Mais arrête de te mordiller les poings, ma chérie, je t’en prie.

Lui aussi, je le trouvais mou de toute façon. Je songeai à Paul, qui n’était pas mieux au moment de notre séparation. J’y vis comme un mauvais présage.

– C’est mieux que de me ronger les ongles, non ?

– Tu triches dans ta réponse, fit-il avec un air réprobateur. Tu m’as avoué l’autre fois mettre un vernis spécial pour éviter justement cette mauvaise habitude.

Je restai silencieuse. Vraiment je n’étais pas dans mon assiette. Il y avait comme un flottement. Nous parlions vernis alors que la question d’avoir un enfant venait de m’effleurer.

Annotations

Vous aimez lire Delia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0