33 - Clarisse
Résumé des chapitres précédents – 1 à 32 :
Diana reçoit la visite d’une gendarme qui enquête sur la mort de Nicole Dunham. Celle-ci était jalouse de Grace Rockwell, une étudiante américaine. Nicole possédait une vidéo de Grace dévoilant son homosexualité. Parallèlement, la doyenne de la fac dit s’être disputée avec Grace pendant la fête. Le gardien confirme avoir vu le scooter de Grace quitter la propriété et la doyenne la suivre dans la nuit. A propos de nuit, Paul Debreuil, l’ancien compagnon de Diana, lui rend visite un soir, et celle-ci se réconcilie charnellement avec lui. Son comportement étrange et agressif n’empêche pas Olivia d’envisager une nouvelle relation. Avec la gendarme Olivia, Diana se rend à la grotte où a été retrouvée Nicole. Le corps était disposé en fœtus dans une crevasse tapissée de pétales, rite pratiqué à la fin de la préhistoire. Grace leur explique que les outils préhistoriques peuvent être datés. Olivia et Nicole en empruntent donc au mari de la doyenne Duguet pour les comparer à ceux découverts dans la tombe de Nicole. Le labo identifie ces derniers comme des faux. Olivia et Diana rendent alors visite à des fabricants de faux artefacts, sans succès. Puis Diana a l’idée d’emmener Paul à la grotte pour le faire avouer le crime de Nicole. Mais Paul a des réponses étranges et confuses. Elle découvre alors chez lui un silex taillé du type de ceux retrouvés avec Nicole.
33
Le portable de Nicole Dunham avait parlé.
Olivia, toute fière, posa devant mes yeux attentifs une série de feuillets où étaient retranscris des échanges de textos ainsi que des appels déposés sur sa messagerie. Nous sirotions un thé glacé chez elle, toutes les deux assises dans le canapé. Mes doigts fins se délectaient de manipuler une élégante dinette de porcelaine comme lorsque j’étais petite fille.
– Ça été un peu long, me dit-elle. Cette fois, Diana, je suis dans l’illégalité la plus totale, vu que je conserve le portable de Nicole alors que j’aurais dû le remettre depuis longtemps au juge d’instruction. Mais je veux d’abord savoir, et je ne fais pas confiance à mes collègues, enfin à certains. Ce sont des fils de pute.
Mais elle parlait comme un charretier ! J’ouvris la bouche de surprise. Ma figure scandalisée l’étonna à son tour, et cela nous procura des rires. J’étais agaçante mais aussi comique de me révéler aussi rabat-joie, et presque anachronique. Je l’exhortai néanmoins à la prudence pour son enquête.
– Oui, je sais, me répondit Diana en pardonnant mes mignardises d’un autre âge. J’ai dû me débrouiller seule pour extraire les SMS. Pas facile, l’informatique... Olivier pourrait m’aider, mais hors de question de le mêler à ça. Hé bien, avant que nous en parlions, poursuivit-elle, je dois vous dire que sur la vidéo, il y a un élément de nouveau, mais bon, sans conséquence...
– Lequel ?
– Hé bien, Diana, vous vous souvenez, quand nous sommes allés chez Grace, j’ai prétexté une envie pressante, pas difficile quand on est enceinte. Je voulais jeter un coup d’œil à la chambre. C’est bien le lit qui est sur la vidéo. Cette vidéo a été tournée dans la chambre de Grace, c’est une certitude. Bon, ce n’est pas vraiment une surprise. Et c’est maigre.
– Rien d’autre ? dis-je en admirant l’initiative de mon amie. Vous l’avez ici ?
– La vidéo ? Oui…
– Je peux la revoir ?
– Là, maintenant ? Si vous voulez... Attention Diana, vous voulez vous rincer l’œil, vous, une deuxième fois, hein ?
C’était très drôle. Je faillis lui mettre un coup de coude, mais une femme enceinte était à mes yeux un globe délicat et fragile.
– Et en double, avec deux belles paires de fesses ! ajouta Olivia pour ensuite éclater de rire. Allez, m’ordonna-t-elle sur un ton affectueux, arrêtez donc un peu de jouer votre mijaurée.
Légèrement empourprée autant pour m’avoir fait la leçon que par rapport à l’objet de sa plaisanterie, la coquine me tendit son portable dans lequel elle avait transféré le fichier vidéo. Je voulais effectivement refaire un passage. Je me tenais coite. Peut-être que cette gentille luxure m’émoustillait après tout secrètement ? J’avais du mal à me situer depuis quelques jours.
– La personne qui a filmé, c’était l’une des deux femmes ? questionnai-je en me concentrant.
– C’est possible, répondit Olivia. Possible mais pas forcé. Vous remarquerez que la caméra ne bouge pas. J’ai pris quelques photos vite fait quand j’étais dans la chambre de Grace. Ce doit être filmé depuis la bibliothèque de la chambre, en hauteur. L’appareil a pu être dissimulé, à moins que Grace n’ait voulu filmer son fantasme, ce qui est encore possible. Les filles de cet âge maintenant sont capables de tout. J’ai demandé à un collègue expert dans le montage. Le cadrage a été remanipulé par une découpe, et cela à dessein. Peut-être pour éviter de trop voir la chambre ? Mais si Grace est à l’origine de tout ça, comment Nicole a obtenu le film ? Qui est la personne qui lui a envoyé sur son portable ? Quel était l’intérêt de Grace de le divulguer ? Et de le rogner de surcroît ?
Toutes ces interrogations étaient légitimes.
– Un fantasme ? émis-je après avoir hésité, parce que je marchais sur des œufs à propos de tels sujets. Certaines personnes aiment faire des sex-tape et osent même les poster sur les sites pornos, je crois.
J’avais horreur de prononcer ce mot de « porno », lui-même complètement indécent et corrosif, mais je n’avais pas le choix. C’était un mot devenu courant dans notre époque de gratuité et de pléthore d’images.
– Vous êtes bien au courant, pouffa Olivia.
Le mieux était de ne rien répliquer. Je ne voulais pas être raillée une fois de plus. Avec les amis de Nicolas, cela était déjà arrivé. Au lieu de cela, je lui fis remarquer avec l’index, après avoir visionné plusieurs fois le court extrait où deux corps de femme en lingerie fine commençaient à faire l’amour, que le dessin du soutien-gorge de l’inconnue était particulier. Le côté du balconnet, souligné par un liseré blanc, possédait comme un trou en losange, rempli d’une croix brodée, et plus loin des compartiments mauves décorés de petits cœurs. C’était assez difficile à distinguer. Les fesses étaient bien plus visibles en revanche. Il fallait dire que les culottes de ces dames faisaient dans l’archi minimalisme.
– Ah, maintenant vous voulez connaître tous les soutiens-gorges des amies de Grace ? ironisa mon amie gendarme, cependant intéressée, quoiqu’elle éludât vite mes observations.
C’est qu’elle était impatiente de m’apprendre autre chose. Je n’étais pas à l’aise du tout pour ma part à cet instant.
– Bon, non, le plus important est ailleurs, Diana, continua donc Olivia. Jetez un coup sur ces SMS, me proposa-t-elle en saisissant des feuillets sur la table de salon, sur lesquels étaient retranscrites des conversations, il y en a de très intéressants. Je suis remontée loin dans le temps.
Nicole : – Si je sors avec lui, c’est bon… :) Je le trouve sexy :)
0606081278 : – T’es sûre ?
Nicole : – Oui il m’a dit que ce n’était pas un souci. Vu ses parents :)
0606081278 : – Ils font quoi ?
Nicole : – Vendeur Mercedes :)
Nicole : – Sinon, je dois travailler ou rentrer en Angleterre, ou les deux :(
0606081278 : – Ok, méfie toi quand même de Grace. Ils sont parfois ensemble, et elle n’a pas peur des histoires…
Nicole : – Je sais…
– Nicole Dunham avait des inquiétudes vis-à-vis de l’argent ?
– Apparemment. Et manifestement, elle avait déjà peur que Grace lui pique son Andreas.
– Ces conversations datent de quand ?
– Un an. J’ai appelé Andreas. Son père est bien concessionnaire de la marque Mercedes en Allemagne. Mais jetez un œil à l’autre feuille…
Des mots s’y trouvaient soulignés. Je lus :
0606081278 : – Tu es là meuf ?
Nicole : – Oui
0606081278 : – On peut se voir ?
Nicole : – Pas tout de suite, meuf, Andreas va passer :) Demain ?
0606081278 : – Demain, je suis chez ma grand-mère. Repos, faut que je réfléchisse. Mais c’est qd même important, meuf. Et chaud… Après-demain ?
Nicole : – Ok, après-demain. T sûre que ça peut attendre ? Ça va ?
0606081278 : – Oui, ça va. Mais j’ai la frousse. C’est à propos de la doyenne. Elle est mêlée à un sacré truc. J’ai tout vérifié. Au moins, j’aurais pas fait de l’escalade pour rien.
Nicole : – Le grand ponte a fait quoi, meuf ?
0606081278 : – Je peux pas te le dire là. Pas de SMS ou de coup de fil. C’est trop ouf !
Nicole : – Bon ok.
0606081278 – Ce soir, je te mettrai juste un indice par mél. Tu « regarderas » bien. Et ensuite on se voit pour en parler. Et surtout tu dis rien, à personne ! Ne réponds pas au mél ! Bisous.
– L’autre qui lui parle est donc une amie ? Elle lui dit « meuf ». Elles parlent de quoi ? Vous savez ?
Ma voix était devenue hachée. La doyenne semblait mêlée à un mauvais coup, je n’en revenais pas.
– Ce sont mes collègues qui ont l’ordinateur de Nicole, fit Olivia, toute songeuse elle aussi. Ses méls ont été épluchés, hélas, rien ne spécial. Comme ils ne connaissent pas ces SMS, ils pensent toujours qu’elle est tombée par hasard sur son assassin. Et si ce fameux mél que son amie lui promet pour le soir, elle l’a balancé dans la poubelle Gmail, alors depuis le temps, c’est fichu… Ce mél n’existe plus.
Je laissai échapper un soupir.
– Au fait, mais qui lui parle, là ?
– Une amie, vous l’avez dit vous-même…
– Mais qui ? Grace ?
Olivia se fit un peu énigmatique.
– Non, pas vraiment. Le 0606081278 était le numéro d’une autre étudiante, une certaine Clarisse Ribeiro-Pereira, dont j’ai obtenu le nom par mes services.
– « Etait » ?
– « Etait », oui. J’ai téléphoné au secrétariat de l’université. Ils commencent à « nous » connaître là-bas, glissa Olivia qui par gentillesse, me sachant seule, ne perdait jamais une occasion de m’associer à son enquête. Clarisse « était » une étudiante. Elle est décédée l’an dernier. Un accident de voiture. Mais vous savez quoi, Diana ?
– Vous allez me le dire.
Olivia faisait une drôle de tête. Sa figure était même devenue légèrement blême, tandis que j’avais le crâne qui bouillait.
– Tous ces SMS ont été envoyés la veille de son accident mortel.
Je poussai une exclamation de surprise.
– Oui, enchaînait Olivia tandis que mon cœur s’accélérait, elle est morte dans un accident, et tout de suite, j’ai voulu vérifier si c’était bien un accident, vu la teneur des SMS. Cette fille, cette Clarisse, elle savait apparemment quelque chose sur la doyenne…
– Et alors ?
– Hé bien non, répondit Olivia désappointée, après mes quelques coups fils, aucun doute possible, c’était bien un accident de la route…
– Mais il n’y a eu aucune enquête d’effectuée, je parie…
J’étais aussi déçue qu’elle. Olivia esquissa une grimace. Elle leva la main pour m’apaiser.
– Cela aurait pu, mais si, en fait il y a bien eu une enquête. Pas longtemps plus tard. Un type et sa femme se sont présentés à la gendarmerie. Un médecin. Sa femme l’a poussé à se dénoncer. Elle a expliqué qu’ils étaient sur cette route ce jour là, son mari allait trop vite, et il a raté son virage. En voulant l’éviter, Clarisse a perdu le contrôle. Le couple s’est précipité dans le ravin, puis quand le médecin a constaté qu’elle était morte, ils ont paniqué, ils ont pris la fuite. Et puis la femme ne pouvait plus dormir. Trop de remords. Elle l’a forcé à se dénoncer. C’est comme ça d’ailleurs que l’auto a été retrouvée trois jours plus tard. La femme du médecin n’en pouvait plus d’entendre aux infos la disparition de Clarisse, étudiante partie chez sa grand-mère, alors qu’elle savait. D’ailleurs on a reparlé de cette histoire quand Nicole a disparu.
– En tous les cas, ça serait bien de savoir ce que cette Clarisse a découvert sur la doyenne. C’est peut-être en rapport avec les rumeurs sur sa vie dissolue et sa réputation qui sent le souffre.
Olivia me dit qu’elle avait déjà pris rendez-vous pour se rendre chez les parents de Clarisse. Il y avait peut-être des choses qui traînaient encore dans son ordinateur, si elle en possédait un.
– Mais il y a encore cet autre SMS, me prévint la gendarme en me tendant un autre feuillet.
Les portables étaient décidément des biographies en gruyère électronique. Cela comptait pourtant. L’interlocutrice de Nicole était toujours Clarisse. Le SMS était plus ancien.
Nicole : – Je peux pas pour Marseille et Nice. J’ai pas de sous.
Clarisse : – T’en fais pas.
Nicole : – Toi ? Tu m’as dit que t’étais pareille que moi.
Clarisse : – Oui, l’autre jour je pouvais rien dire devant les filles. Mais depuis un moment j’amasse. J’ai trouvé une combine.
Nicole : – T’es sérieuse ?
Clarisse : – Très sérieuse. Pose pas de question, c’est moi qui finance Marseille. Ne dis rien aux autres, c’est tout. Bisous.
Je relevai la feuille, tandis qu’Olivia, en train de se caresser le ventre, ne disait plus rien. Il y eut un blanc. Je ne savais pas quoi penser. Manifestement, cette Clarisse avait découvert quelque chose sur la doyenne, mais elle non plus n’était pas claire. Elle semblait soudain disposer d’argent facile.
Cela avait été mon cas dans le passé grâce aux parents de Paul.
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