Chapitre 12

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  Taejun approuva la décision de la soldate lorsque Minchi lui raconta l’affaire, un peu plus tard dans la journée. Le soleil tapait fort sur les étals du marché dans la cour principale du palais impérial, mais cela n’empêchait pas la foule de s’y presser.

« Quand est-ce que tu dois intégrer l’équipe ? interrogea le prince.

-Dès ce soir, expliqua Minchi. Resal ne veut pas que je passe une nuit de plus au palais.

-Tu vas danser, quand même ? s’inquiéta son ami.

-Oui, mais ce sera la dernière fois avant longtemps. Il faut aussi que je voie Min-jae. Le seigneur Han m’a dit qu’il partait demain, et qu’il voulait passer sa dernière nuit avec moi. Resal viendra me chercher ensuite.

-Tu pourras sortir de la caserne, de temps en temps ? Pour qu’on se voie un peu.

-Ça, je ne sais pas. J’espère. »

Le prince semblait embêté.

« Ne t’inquiète pas, je viendrai te voir dès que je pourrai, le rassura-t-il pourtant. J’ai le droit de me balader partout, y compris là-bas.

-J’ai déjà de la chance de ne pas avoir été envoyé dans un centre d’entraînement en dehors du palais.

-Ça ne m’aurait pas empêché de venir. »

Minchi sourit tristement. Au moins, il pouvait compter sur son ami.

Le soir venu, Minchi donna son ultime représentation. Il ne choisit que deux cibles dans l’assistance, pour lesquelles il mit toute son âme dans sa performance : Taejun et Min-jae. Il ne regarda personne d’autre. Si Min-jae se troubla et tourna à l’écarlate, Taejun soutint son regard pendant toute la représentation, ne manquant pas une miette de la chorégraphie. Mais Minchi n’avait déjà plus la tête à ce qu’il faisait. Ce fut un spectacle magnifique, mais tout le monde fut sensible à la mélancolie qui transpirait des mouvements du danseur. Il ne dansait plus pour séduire, il dansait pour conjurer sa tristesse.

A sa sortie de scène, Resal se plaça immédiatement à son côté, chose pourtant inutile car le seigneur Han s’était enfermé dans ses appartements durant toute la soirée, ruminant sa colère et son humiliation. Elle l’escorta ensuite jusque devant la chambre de Min-jae, lui laissant à peine le temps de saluer Taejun. Les valises de Min-jae étaient presque terminées, les domestiques les fermeraient sans doute le lendemain matin. Le prince avait l’air triste, lui aussi.

« Taejun m’a appris ce qui vous arrive, dit-il alors que le danseur venait à peine de pénétrer dans la chambre. J’en suis vraiment navré. Je ne savais pas que le seigneur Han était un tel monstre.

-Je n’ai pas envie de parler de lui maintenant, prince, répondit Minchi. J’ai besoin de réconfort. »

Min-jae s’approcha et le serra dans ses bras. Les deux jeunes hommes faisaient à peu près la même taille, et Minchi put enfouir son visage dans le cou de l’autre. Il lâcha un gros soupir. Le prince allait lui manquer. Celui-ci l’invita ensuite à s’asseoir sur le bord de son lit, comme ils avaient fait la fois précédente. Ils restèrent assis sans rien dire. Min-jae lui prit la main.

« Si j’ai bien compris, nous nous faisons nos adieux ce soir, déclara-t-il.

-S’il vous plaît, prince, je n’ai vraiment pas envie de parler de choses tristes, répliqua le danseur. Mais vous avez raison, je serai déjà à la caserne quand vous quitterez le palais demain.

-Qu’est-ce que vous avez, dans le cou ? s’enquit le jeune homme. »

Minchi grimaça en remontant son col.

« Cela n’a pas d’importance. Ils vont guérir.

-Si, c’est important, insista le prince en s’approchant pour découvrir doucement ses clavicules. »

Minchi détourna la tête, honteux. Min-jae avala sa salive.

« Ils vous font mal ?

-Je suis habitué.

-Vous voulez dire que vous vous retrouvez souvent avec de telles marques ? s’étonna le prince en écarquillant les yeux.

-Pourquoi revenez-vous toujours sur le même sujet ? riposta le danseur en reculant. Je cherchais du réconfort et vous ne pensez qu’à remuer le couteau dans la plaie !

-Pardonnez-moi, répondit l’autre en baissant la tête. »

Le danseur soupira.

« Je trouve tellement injuste que l’on vous fasse tant de mal, continua Min-jae. Vous êtes un danseur extraordinaire, et une personne appréciable. J’aime beaucoup votre compagnie. Je ne peux pas supporter l’idée que des gens ne vous traitent pas à votre juste valeur. »

Minchi fut incapable de répondre, la gorge serrée. Comme le premier soir, Min-jae replaça une mèche volante derrière son oreille, puis il posa un baiser sur sa joue. Cette fois, ce fut lui qui invita Minchi à s’allonger à côté de lui.

Ils ne firent pas grand-chose de plus que de se serrer l’un contre l’autre, échangeant de temps à autre un baiser ou une caresse. Minchi écouta battre le coeur du prince, l’oreille appuyée contre sa poitrine. Min-jae défit les cheveux du danseur et lui caressa longuement la tête. Ils ne parlèrent pas, mais Minchi sentit son coeur devenir un peu plus léger. Il était enfin apprécié par un partenaire, pas seulement par ce qu’il pouvait lui procurer, mais pour sa simple présence. Il aurait voulu rester là pour toujours.

Min-jae ouvrit en grand le col du danseur, dévoilant ses épaules nues. Une par une, il embrassa chaque tache violette qui salissait sa peau, comme s’il voulait les faire disparaître au contact de ses lèvres. Minchi eut presque l’impression que cela fonctionnait, que le prince le délestait d’une petite part de sa malédiction. Min-jae dégrafa entièrement le haut du jeune homme et ses lèvres descendirent le long de son torse. Minchi l’arrêta au niveau de son nombril. Il ne voulait pas qu’il aille plus loin. Les lèvres du prince revinrent se loger au creux de son cou, sa tunique fut refermée. Les joues de Minchi se retrouvèrent trempées de larmes. Jamais personne ne lui avait laissé l’occasion de se demander s’il voulait bien de ce qu’on lui faisait, même s’il aimait. Le prince le regarda pleurer sans rien dire, se contentant d’essuyer doucement ses joues jusqu’à ce que leur source se fût tarie.

Au bout d’un certain temps, plusieurs heures peut-être, Min-jae se redressa.

« Minchi, je n’ai pas envie de vous voir partir, mais je pense qu’il ne serait pas bon de prolonger cette soirée. Ce serait encore plus dur de se séparer. »

Le danseur ne put qu’acquiescer. Il avait raison, il fallait décoller le pansement tout de suite. Il s’assit à son tour, rattacha ses cheveux.

« Vous allez me manquer, prince, dit-il.

-Je pense que vous pouvez m’appeler Min-jae, maintenant. Je pense même qu’on devrait laisser tomber le vouvoiement.

-Si c’est ce que tu veux… »

Les deux jeunes hommes se sourirent. Cela sonnait mieux comme ça.

« Tu vas me manquer quand même, reprit Minchi.

-A moi aussi. »

Presque d’un même mouvement, ils rapprochèrent leurs deux visages l’un de l’autre. Min-jae avait de longs cils noirs et épais, des lèvres roses. Ils s’embrassèrent longuement. Min-jae essaya à plusieurs reprises de se détacher de Minchi, mais ce dernier le rappelait à lui en resserrant sa prise dans son cou. Il ne voulait pas lui laisser reprendre son souffle, car il savait quelles paroles l’autre allait prononcer. Le prince parvint à se dégager en riant.

« Il faut vraiment que tu y ailles, souffla-t-il. »

Minchi revint à la charge, faisant comme s’il n’avait pas entendu. Min-jae interposa ses doigts entre leurs lèvres.

« Minchi. Tu te fais du mal, insista-t-il avec douceur. »

Cette fois le danseur capitula, et ils se levèrent du lit. Ils se serrèrent une dernière fois dans les bras devant la porte.

« Tu pourras revenir bientôt ? s’enquit Minchi.

-Cela dépend de mon père. Je suis le prince héritier, mais je dois le suivre dans ses voyages diplomatiques, pour me familiariser avec mes futures fonctions. Nous vivons vraiment très loin au Nord. Mais je ferai tout ce que je peux pour revenir te voir, ajouta-t-il en voyant la mine déconfite de son partenaire. Je ne t’abandonne pas.

-Je penserai souvent à toi, insista Minchi.

-Ça, je n’en doute pas, mais ça ne sera jamais autant que moi, sourit l’autre. »

Il posa un baiser sur sa joue en ouvrant la porte. Resal attendait comme prévu dans le couloir, faisant les cent pas. Il faisait très sombre dehors, seules quelques torches formaient des halos sur les murs. Minchi se tourna vers le prince. Il se sentait faiblir. Il aurait voulu se jeter dans les bras de Min-jae pour qu’il l’emporte avec lui, vraiment très loin au Nord. Mais Resal posa sa main sur l’épaule du danseur.

« Allez, Minchi, nous devons y aller, dit-elle. »

Celui-ci opina, les yeux à nouveau humides.

« A bientôt, Min-jae, dit-il. »

Le prince lui rendit son salut, et Resal entraîna le danseur vers la sortie.

Ils ne parlèrent pas sur le trajet jusqu’à la caserne, traversant les jardins endormis. Tout se passa comme dans un rêve, Minchi ne reprit conscience qu’une fois allongé sur le matelas inférieur de l’un des trois lits superposés du dortoir des soldats. La caserne comportait plusieurs pièces de ce type, des chambres ne dépassant pas six personnes. Les cinq autres soldats s’étaient redressés à l’arrivée de Minchi, lui avait posé quelques questions auxquelles ils ne se souvenait même pas s’il avait répondu, puis Resal leur avait intimé le silence en emportant la torche avec elle. Le dortoir s’était retrouvé plongé dans le noir et Minchi s’était installé dans le lit qui lui avait été indiqué. A présent, ses camarades de chambrée ronflaient faiblement, et Minchi fixait la planche de bois au dessus de lui. Il avait déjà pleuré toutes les larmes de son corps, ses yeux restèrent résolument secs jusqu’à ce qu’ils se ferment, terrassés par le sommeil.

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