Chapitre 16

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  La soldate l’emmena ensuite se restaurer aux cuisines, mais il refusa d’avaler quoi que ce soit. La sensation de la langue parcourant ses clavicules lui donnait encore la nausée, sans parler du reste.

Resal ordonna au jeune homme de ne pas la quitter d’un pouce pour le restant de la journée. Elle avait l’air confiante par rapport à la décision de l’empereur.

« Je savais que j’aurais dû lui en parler plus tôt, confia-t-elle à Minchi alors qu’ils se rendaient dans la cour où Taejun s’entraînait tous les après-midi. Mais je ne voulais pas qu’on pense que sa Majesté fasse du favoritisme. Je voulais faire ça dans les formes, pour que le seigneur Han ne puisse pas refuser de quitter la cour, j’avais donc commencé à en parler aux conseillers de sa Majesté. Ces imbéciles sont d’une lenteur ! Ils avaient trop peur de se mouiller. Je suis désolée de ce que tu as subi pendant ce temps, Minchi. »

Le danseur ne répondit pas, luttant pour ravaler ses larmes.

La séance d’entraînement du prince se déroula comme d’habitude, Resal se désespérait du niveau de son élève, qui traînait des pieds et se plaignait de la rudesse des méthodes de son maître d’armes. Maintenant qu’il avait vu de véritables soldats en action, Minchi réalisait que son ami était vraiment doué. Resal exigeait de lui une rigueur extrême, car le jeune homme était destiné à devenir général ou commandant, pas faire partie de la piétaille. Les exercices qu’il peinait à réaliser étaient d’un niveau nettement supérieur à celui qu’on avait enseigné à Minchi. Les nuages passaient mollement dans le ciel, la chaleur était cuisante au soleil.

L’entraînement fini, Resal refusa que Taejun et Minchi sortent de l’enceinte de la cité impériale. Ils déambulèrent donc sans but dans les jardins, la soldate les suivant quelques pas en arrière. Il régnait une atmosphère relaxante autour des étangs, mais ceux-ci étaient pris d’assaut par les courtisans et autres membres de la famille royale qui cherchaient un peu de fraîcheur. Les deux amis finirent par dénicher un petit pavillon vide pour s’asseoir au frais. Depuis sa place, Minchi remarqua au bout de quelques minutes un groupe de gens qui s’affairaient à l’ombre d’un paulownia. C’était son ancien groupe de danseurs. Ils avaient dû vouloir profiter du beau temps pour répéter en extérieur.

Minchi reconnut la chorégraphie, c’était sa danse préférée, celle avec l’éventail. La formation n’était plus la même, maintenant que le jeune homme manquait, mais cette danse particulière nécessitait que les danseurs se répartissent en arc de cercle autour d’un soliste, qui était le pilier de la formation. C’était la place qu’occupait Minchi. Celui-ci sentit sa gorge se serrer en voyant qu’on l’avait remplacé par Lali, la numéro deux de leur groupe. Il l’observa enchaîner les mouvements qu’il exécutait sur scène encore quelques semaines auparavant. Elle était loin d’avoir sa grâce. Ses mouvements étaient plus grossiers, moins aboutis que ceux de Minchi, il pouvait le voir d’ici. Mais au moins c’était elle qui était au centre, c’était elle qui pouvait se mouvoir à loisir, qui n’était pas à la merci du seigneur Han et sous la surveillance de Resal. C’était elle qui était libre. Minchi détourna la tête, l’estomac tordu par la jalousie.

C’est à ce moment-là qu’un domestique essoufflé fit irruption dans le pavillon. Il s’inclina profondément devant Taejun, puis s’adressa à Resal.

« Sa Majesté vous fait savoir qu’il a pris sa décision, et qu’il va expulser Monseigneur Han de la cour, récita-t-il. Cet ordre entre immédiatement en vigueur, et Monseigneur Han est en train de faire ses valises. »

Taejun poussa un cri de joie et serra Minchi contre lui. Resal soupira de soulagement.

« Minchi, tu veux qu’on aille voir cette ordure ficher le camp ? proposa Taejun. »

Minchi accepta. Tous trois retournèrent au palais. Ils trouvèrent le seigneur Han et sa femme dans une cour secondaire, en train d’essayer de faire rentrer malles et valises dans une charrette gracieusement offerte par sa Majesté. Ce dernier assistait au spectacle, entouré d’une poignée de gardes. Resal accourut vers l’empereur, et lui prit doucement le bras, lui murmurant des remerciements. Taejun, aux anges, se tenait fièrement aux côtés de son ami.

La charrette était déjà pleine à craquer, et pourtant les domestiques des Han apportaient sans cesse de nouvelles malles en une chaîne ininterrompue. Le seigneur Han semblait très remonté contre ses gens, et était occupé à agonir d’injures un serviteur qui luttait sous le poids d’un énorme coffre qui refusait de tenir dans le véhicule. Comme il fallait s’y attendre, l’objet dégringola et s’écrasa sur le sable de la cour, répandant son contenu tout autour d’eux. Taejun eut du mal à contenir son fou rire. Dame Han s’efforçait de rassembler les étoffes et les bijoux perdus tandis que son mari hurlait de plus belle sur son serviteur, qui ne savait plus où se mettre. Cela faisait longtemps que Minchi n’avait pas croisé l’épouse du seigneur. Ses cheveux comptaient de nouvelles mèches grises, et son menton présentait un ou deux bourrelets supplémentaires, mais dans l’ensemble elle n’avait pas changé. Le jeune homme se souvenait avec exactitude de l’apparence du corps gras et mou de son initiatrice, de la forme de ses seins, de ses hanches, de ses chairs flasques. Perdu dans ses pensées, il ne réalisa pas tout de suite que le seigneur Han avait remarqué sa présence. Celui-ci se précipita vers lui, le visage plissé de colère.

« Tu oses venir me narguer !? hurla-t-il. Tu ne perds rien pour attendre, sale petit traître ! »

Il fut cueilli à l’épaule par un coup de poing lancé par Taejun. Resal arriva en renfort, se plaçant devant le danseur. Les autres gardes se précipitèrent pour protéger Taejun.

« Pas touche à mon ami ! le défendit le prince.

-Tu m’appartiens, Minchi ! continuait de vociférer le seigneur. Ne vas pas t’imaginer que mon départ de la cour sera ton salut ! Tu as signé un contrat !

-Han, j’ai fait preuve de magnanimité en vous laissant regagner votre fief sans complications, intervint Yeon Kimin d’une voix forte. Mais si vous continuez de vous comporter aussi mal, si vous osez toucher à un seul cheveu de mon fils, je peux également vous retirer votre titre et vous jeter à la rue. »

Le seigneur Han ne répondit rien, mais ses yeux lançaient des éclairs. Il s’inclina de mauvaise grâce devant son suzerain. Pendant ce temps, les domestiques étaient parvenus à faire miraculeusement tenir les bagages dans la charrette, au prix de douloureuses contorsions et d’échanges d’insultes. Quatre hommes débarquèrent avec une chaise à porteurs branlante, et dame Han entreprit d’y prendre place.

« Votre carrosse est avancé, railla l’empereur en désignant le véhicule du menton. Dépêchez-vous de débarrasser le plancher. »

Acculé, le seigneur Han lança un dernier regard noir à l’assemblée, puis monta piteusement dans la chaise à porteurs, qui grinça sous son poids. Les porteurs s’en saisirent et prirent la direction de la porte Ouest, à l’autre bout de la cour, suivis par la charrette à bagages tirée par un bœuf. Ils n’avaient même pas fait deux mètres qu’une malle se détacha et tomba par terre, emportant d’autres bagages dans sa chute, déclenchant la panique parmi les domestiques. Taejun se tenait les côtes de rire. Minchi ne parvint pas à en faire autant. Il ne reprit son souffle que lorsque la chaise à porteurs eût disparu derrière la porte, une fois que les valises récalcitrantes eurent été fixées à l’aide d’une corde sur la charrette.

Il eut une discussion rapide avec Resal. La soldate lui annonça qu’il ne retournerait pas à la caserne, étant donné l’atmosphère qui y régnait et les mauvais traitements de ses camarades. Le danseur l’aurait embrassée. Mais Resal ne lui laissa regagner son poste de danseur qu’à une condition : qu’il prenne des cours particuliers de maniement de l’épée. Elle restait persuadée de son potentiel. Minchi aurait accepté n’importe quoi pour pouvoir danser de nouveau.

La nuit venue, il n’y eut pas de représentation de danse. Minchi dîna avec ses collègues, qui se réjouirent de son retour. Lali lui avoua son soulagement de le voir revenir, elle n’aimait pas du tout être le pilier de leur groupe. Le danseur parvint à manger un peu. Puis ils allèrent se coucher. Pour une fois, les deux collègues masculins de Minchi dormaient dans leur chambre commune.

« Minchi ? C’est à toi ce coffre ? demanda l’un d’eux alors qu’ils entraient dans la chambre. »

Un petit coffre vernis était en effet posé sur la couchette du jeune homme. Dessus trônait la pipe en bois sculpté et en ivoire que Minchi avait lâchée dans sa fuite, derrière le cabanon de rangement. Ses jambes se mirent à trembler. Le coffre contenait une douzaine de boîtes à opium, toutes pleines à ras bord, un dernier cadeau empoisonné du seigneur Han. Minchi aurait voulu balancer les deux objets par la fenêtre, mais il savait à quel point ils lui étaient précieux. Avec l’aide de ses collègues, il le dissimula sous une lame de parquet mal fixée, et ils se mirent au lit.

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