Chapitre 8 - Celle qui sort de la boîte
Après ça, les jours avaient passé lentement.
Anna se sentait comme suspendue, entre deux mondes.
Depuis qu’elle avait dessiné ce visage, elle se sentait observée. Pas épiée, non — plutôt comme si quelqu’un marchait à côté d’elle, juste un pas trop loin pour être vu.
Elle n’en parlait pas. Elle avait fini par ranger le dessin au fond d’un carnet, mais parfois, dans la journée, elle croyait l’apercevoir dans un reflet de vitre, ou sur la buée d’un miroir.
Sa mère, elle, ne disait rien. Ni sur ses silences, ni sur ses absences.
Le samedi soir, elles avaient dîné face à face, sans un mot de plus que le strict nécessaire.
Et le dimanche matin, Anna ouvrit la boîte.
Mais cette fois rien.
Elle fouilla.
Rien.
Une panique légère l’envahit, presque ridicule. Elle eut honte.
Pourquoi aurait-elle attendu une lettre ?
Pourquoi ce besoin si précis ?
Elle referma la boîte, plus vite qu’à l’habitude, comme on claque une porte sur une pièce qu’on n’a pas le droit d’ouvrir.
Elle passa la journée morose. L’après-midi, elle sortit marcher seule.
Un peu de pluie tombait, fine et glacée. Le genre qui s’infiltre sans qu’on s’en rende compte.
En rentrant, elle se déshabilla, se changea, prit son sac pour préparer le lundi.
En l’ouvrant, elle s’arrêta net.
Entre deux feuilles de cours, soigneusement pliée, se trouvait une lettre.
Même papier ivoire.
Même écriture penchée, tremblée.
Mais elle n’était pas dans la boîte.
Elle n’avait aucune raison d’être là.
Anna la déplia, les mains froides.
“Tu commences à douter.
C’est bien.
Le doute, c’est ce qu’on a quand on n’a plus le droit d’avoir des souvenirs.
Je suis encore là, même si tu ne me vois pas.
Rappelle-toi la balançoire.
Le bruit.
Le vertige.
Rappelle-toi l’absence.
Elle a toujours ton goût. Suzanne”
Anna relut plusieurs fois.
Elle sentit son cœur cogner.
La balançoire.
Oui.
Elle s’en souvenait.
Pas clairement.
Mais le vent, le mouvement, le rire dans son dos…
Quelqu’un poussait.
Quelqu’un riait.
Et ce n’était pas sa mère.
Elle replia la lettre lentement, presque avec tendresse.
Puis elle leva les yeux vers le miroir accroché à sa porte.
Elle se vit. Elle vit son visage.
Mais il lui sembla que, juste derrière elle, quelqu’un venait de disparaître.
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