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Allo, oui c’est moi, tu n’es pas là ?
Elle est pénible cette question. Elle offre un abîme de silence. On n’en distingue pas le fond. Aux antipodes, on ne perçoit que les perspectives, jamais les secrets. Elle me met de biais comme le déplacement des crabes. Quand ils se mettent à table, leurs pinces, à la semblance d’un couvert, décortiquent avec méthode le mollusque malchanceux. Ils sont précis, attentifs, minutieux.
Je les regarde avec mes yeux de billes, opales. Absent, je reste là, coincé entre stupeur et inquiétude. Il manque quelque chose. Un petit rien prend aux tripes, enfle et grossit. Autour, le sentiment que tout se désagrège. En soi, le risque, une sensation indicible, désagréable suspendue entre cœur et sternum. Je voudrais écouter avec mes yeux. J’ai une araignée dans l’œil. Elle me fait cligner, tisse et n’arrête pas de rire. L’iris coule.
Il me faut un danseur de cordes, histoire de le faire chuter. Un jour, la vie d’un pote s’est éteinte tel un vieux moulin désoeuvré dont les ailes s’abandonnent et tournoient aux caprices du vent. Je n’étais pas là. Il est tombé, là-bas, alors que j’étais ici. J’aurai juste aimé lui tenir la main, lui éponger le front tiré de rides inquiètes dans ces chaleurs caniculaires de l’été, lui, sous l’épreuve, le regard éperdu, chargé d’attente et d’incompréhension. Je sais le mal-être. Ce déséquilibre innommable, inqualifiable. Une mise en biais. Le corps s’acharne en vain à s’extraire de l’emprise, rebondit de crevasse en crevasse, retombe au creux d’où il venait de s’extraire. Les temps se succèdent, les sensations s’enlisent dans les dissonances et les disharmonies. Les gens meurent, ainsi la vie achève la vie. On ne peut plus enterrer quelqu’un n’importe où, sauf les lions et les chameaux. Il y a des chats en terre dans mon jardin puisque les dragons n’existent plus.
Voici l’idée : mourir l’âme tranquille, quel bonheur. La multitude cherche le bonheur. Or, il n’existe pas, tant qu’il y aura des hommes. Or, il n’existe pas sans les hommes. Impasse. Il faut une incroyable imagination pour inventer les mots. Ainsi l’homme nomme l’innommable. Le bonheur est dans cette liste. Le bonheur est une industrie humaine. Nous sommes doués pour vendre l’apparence et l’absence. On vend au nom du bonheur. On s’enrichit au nom du bonheur. On explose les prix au nom du bonheur. On navigue sur un océan de couleuvres, dont le bruissement doucereux se déploie bien au-delà de l’horizon. Un bonheur gratuit, c’est donc trop demandé !? Alors, je dors bien. Je fais tout ce qu’il faut pour cela. Le bonheur commence par un bon sommeil, ça nous échappe. Et si par malheur, ça me hante au coucher, alors ça converse. J’écoute le son, puis la musique. De discorde en dissension, je m’abreuve aux accords. Ainsi le corps endolori, mais l’âme en chanson, je m’endors.
Ça peut être beaucoup plus sournois. Plaquer images et pensées dont je ne peux rien. A l’irréconciliable, ça me mène. L’insupportable mêlé à l’absurde. Telle est la vie. Et là, ça me glace. Pour un bon sommeil, reste une parade indéfectible, l’humour. Et si ceci est irréalisable, je câline l’enfant effrayé que ça peint sans mon accord.
Pouvoir boiteux, ça se gorge de foule, raille et ricane.
- Voyez-le ! Bouffon de la tour, comme il transpire, comme il a peur, comme il est faible.
- Hourrah ! criait la foule gorgée d’opinions indigestes.
Je passe mon chemin. J’ai d’autres frères à enterrer. D’autres m’ont suggéré de tendre la main.
- Ne fuis pas ! Vois, l’ami, comme la foule te hait.
Ça rigole.
Je m’éloigne sous les quolibets et les pierres.
Il y a des eaux grouillant des grouillements douloureux des grenouilles. « Soyez féconds » qui disait. Il s’attendait à quoi ? Ça a tu l’autre planète. À peine, ont-ils atterri que, déjà, un drame. L’autre frère aurait dû offrir des amphibiens, il n’y aurait pas eu homicide, à moins que ça n’eût rien changé. La convoitise propice aux excès. Il n’empêche que les autres n’ont pas mangé le fruit. Ils n’ont pas profité du cortex. Nous sommes donc conscient et contraint à marcher côte à côte ; Uni dans l’uni, un espoir déchu ?
J’ai un goût d’égout sec sur la langue. L’eau qui s’abîme dans ma bouche tsunamise les mauvaises humeurs. La faim reprend ses droits.
La fringale s’éprend de moi comme un aigrefin. Escroc besogneux du manque. Fantasque, elle vient sans prévenir toujours au mauvais moment, en plein bourbier. Je marche pourtant, patauge. Au loin, dans les brouillards fangeux, j’entraperçois une bicoque. Tout s’invite toujours au bon moment. Ça déteste tout. Je devine ça, derrière mon dos ; Ça palpite, ça tressaille, ça chancelle, ça vacille, ça craint, ça s’éclipse. Tout sait ça, ça sait tout.
- Qui vient troubler mon repos ?
Ça rechigne.
- La faim me tenaille.
- Vous tenaille.
- Mais…
- Je reviens.
J’attends. Ça gesticule.
- Ça empêche de voir. Tout est lumière. Il suffit d’être bien accompagné. Triste est ta situation. Voici du pain, du vin, deux bols de soupe.
- Ça ne mange pas !
- Je sais, ça altère la nourriture. Que m’importe ! Tout est offert. Vous êtes venus, vous avez faim, mangez ! Tout est dit.
- Regardez !
Ça s’empiffre. Ça joue à la mouche du coche.
- Ne t’embarrasse pas de ça. Tiens ta maison en ordre.
Tout rentra dans l’ordre.
Je pars dans le désert, histoire de me déconstruire sur les grains. Le soleil décline après avoir offert son superflu. La clarté s’estompe derrière l’horizon. Les contours orangés fascinent. Le sable, glisse par à coup, sans prévenir, dans un chuintement. Les grains cèdent la place à d’autres. Le sable est dénué d’orgueil. Chez lui, la vanité est vaine. La tempête s’ingénie à changer la forme et les hauteurs des dunes. Il s’en moque. Trop bas, elles se dépassent, trop haut, elles s’avalanchent. Le sable profite d’une stabilité éphémère, s’éprend d’immobilité et de silence. À minuit, les ombres s’agitent sous les étoiles. Je regarde leur scintillement. Je cherchais un endroit désinfecté de lumière urbaine ? Je suis servi. Ma vue s’adapte à l’immensité. Le noir profond de l’univers m’embrasse. Je suis dans son accueil, bercé dans sa luminosité. Le cosmos file vers un destin inconnu. De spirales en ellipses, les brumes nébuleuses évoluent en contredanse. Je pars, chargé du poids inutile de mon sac à dos. Les sangles m’estropient les épaules, vu la charge, m’oppressent les intestins. Je, fardé d’un faix, à la semblance des chamelles, me hâte dans le désert. Je marche jusqu’à la gare. Je sais, maintenant, pourquoi je prends le train. Les compartiments semblent vides. Les souffles de la locomotive inspirent en soupirs. J’entends l’écho successif d’un expire « je dois », « je veux » indécis. Je sommeille, je m’allonge. Je ressens sous mon dos la vie du flottement. Je perçois jusqu’au profond des tripes, l’envol du train. C’est parti pour l’autre voyage. Celui que je me destine.
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