Une horde de Morgors venait d’envahir la citadelle. Au-delà des murailles effondrées, entre fracas d’épées et flots de sang, les soldats harassés ruisselaient de rage et de peur.
Pendant ce temps, moi, j’étais devant la télé. Je regardais un programme culturel. Une réflexion sur la richesse et la gloire. J’écoutais attentivement le présentateur, un homme élégant qui semblait toujours de bonne humeur, révéler la véritable raison qui avait poussé Angélina à quitter Brad.
- « Papa ?
- Oui, ma chérie ? »
C’était Lila. C’est ma fille. Elle avait un cahier à la main.
- « Papa, je ne comprends pas bien les hypoténuses au carré, tu peux m’expliquer ? »
Je sentis un frisson glacé me parcourir du haut du crâne jusqu’aux orteils. J’étais pétrifié malgré les flots d’adrénaline qui s’infiltraient sauvagement dans tout mon organisme.
Les maths. La géométrie. Mon cauchemar. Je n’avais jamais rien compris à tous ces triangles, ces bissectrices, ces petits carrés dans les coins les moins serrés.
J’inspirai le plus discrètement possible une grande goulée d’air avant de la rejeter lentement. Normalement, ça me calme.
- « Oui, bien sûr, ma chérie. Mais avant, papa a un peu de travail. On va le faire tout à l’heure, promis ! »
- « Tout à l’heure ? Ça veut dire avant de manger, quand même ?
Elle repartit. Je bondis de mon siège, poussai le bouton « On » de l’ordinateur, m’agaçai du temps qu’il lui fallait pour démarrer et, papier-stylo à la main, je m’installai.
En tapant « hypoténuse » sur Gogol, j’eus une pensée pour tous les papas qui avaient vécu sans Gogol. Comment diable avaient-ils pu faire ?
Il me fallut deux heures et visiter une cinquantaine de sites spécialisés, De « Prof Trop Cool » à « Les mathématiques, c’est pas automatique » en passant par « La trigo, c’est rigolo ».
Soudain, ce fut le choc ! « J’ai compris ! Le carré de l’hypoténuse ! et les deux autres côtés, au carré aussi. »
Je fus pris de vertiges, une chaleur intense m’envahit, aussitôt suivie d’une violente jubilation. Je me mis à chantonner puis même à danser.
J’éprouvais enfin la satisfaction de l’honnête homme qui a accompli son devoir.
Et maintenant, je savais : j’étais un héros.