Le préjudice des préjugés
Admettre avoir besoin d'aide au point de se faire hospitaliser – en psychiatrie - c'est dur. Surtout la première fois. Pourquoi ? Bah d'abord parce qu'à 20 ans j'avais envie d'un autre genre de première fois : premier vrai baiser d'amour après des semaines de regards intenses, premiers pas foulés dans le monde des adultes sans ceux qui m'ont élevé pour qu'un jour je m'envole du nid, première journée vécue seul dans mon studio d'étudiant où toutes les pièces s'entassent dans une, il y a toutes sortes de premières fois sympa dans ces âges-là.
Mais alors, la première hospitalisation, c'est pas sympa du tout. Pourtant ça vous file le vertige tout pareil mais en lieu et place de vous faire tourner la tête ça aurait plutôt tendance à vous la faire perdre pour de bon. Parce que voilà, après des années passées à lutter contre une maladie même pas correctement diagnostiquée et mal soignée, le corps et l'esprit s'épuisent, plus rien ne tient debout, d'ailleurs je ne sais pas comment j'ai réussi à tenir un mois entier à dormir nuit et jour juste pour ne pas ressentir une souffrance paroxystique qui m'aura quand même eu au final.
Je ne détaillerai pas le pourquoi ni le comment de ma première tentative de suicide, par contre je vais balancer une bonne gueulante contre les films d'horreur qui ont l'idée - qu'elle est bonne ! - de placer un peu trop souvent leur cadre moisi dans un simulacre tout aussi pourri d'asile pour aliénés (une dénomination d'un autre temps). Et pas besoin d'être un cinéphile aguerri pour choper des préjugés affreux, on peut aussi s'amuser à compter le nombre de fois qu'une personne malade passe à la télévision voyeuriste pour faits de violence et comparer ce nombre avec celui des agressions commises journellement par des personnes «saines d'esprit » contre des personnes malades mais ça on ne filme pas. De la bouse de vache encéphalopathe pour nourrir l'audimat La télé et moi, nous ne sommes pas très copains.
.Je suis en colère quand j'entends « Tiens voilà l'autre fou d'hier » dans la bouche d'un crétin prépubère lorsque mon ami plus atteint par la maladie et moi-même nous retrouvons dans le même bus. Ca me fait bondir intérieurement. Je suis en colère aussi parce que sans le poids corrosif du tabou social / corpus de préjugés / effarouchement médiatique qui fait le bonheur (financier donc tout relatif) des uns, j'aurais peut-être demandé moi-même l'hospitalisation avant que ça ne devienne une urgence vitale et que je fasse mes premiers pas de patient numéroté selon son dossier en secteur fermé, c'est-à-dire dans une partie de l'hôpital où il faut demander l'accord signé du médecin pour sortir 10 minutes encadré d'une paire d'infirmiers « au cas où », demander l'accord écrit du médecin pour avoir droit à la visite minutée de sa famille proche, demander l'accord du médecin pour aller faire ses besoins... Non, pour la dernière je blague mais les deux autres exemples sont vrais. Et pour peu que vous vous agitiez ou vous montriez un peu trop en colère, vous vous retrouvez en chambre d'isolement auquel cas ma blague n'en est plus une ou alors faut rire jaune, très jaune.
J'ai été traumatisé par ma première hospitalisation au point d'en dégueuler toute la peur que la société des préjugés m'avait collée au ventre. J'ai rendu toutes mes tripes, les miennes organiques et celles qu'on m'avait données à manger déguisées en légumes à la sauce encore moins ragoûtante. J'ai passé une journée entière assis à fixer le mur d'en face parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire et que personne ne s'est soucié de ma détresse inscrite à l'encre presque visible sur le crépi sale. Les médecins m'ont donné des doses d'antipsychotiques plus fortes que ce qu'on m'avait prescrit jusqu'alors et j'ai souffert d'effets indésirables absolument inconfortables qu'une infirmière a remarqués mais pas crû bon de faire remonter, non il a fallut que ma famille insiste que ce n'était pas normal pour qu'on me prescrive enfin un correcteur qui m'a soulagé en une demi-heure et durablement. Ma première pensée quand on m'a réveillé et sommé de me doucher, ç'a été de calculer de combien de temps je disposais seul dans la cabine et de me demander si ce serait assez pour m'étrangler avec le tuyau de cette foutue douche. En fait, je me suis lavé avec mes larmes cette fois-là.
Vous voulez un vrai film d'horreur ? Et bien regardez un reportage – informatif, pas voyeuriste – sur ces fameux secteurs fermés, vous aurez mieux qu'avec un ticket de cinéma ou un zapping de trois minutes taillées au couperet sur une chaîne d'actualités.
Voilà, mon coup de gueule se termine. J'ai avalé mes p'tites pilules roses !
Dans le prochain chapitre je parlerai sûrement des secteurs ouverts et des aspects beaux et utiles de ces unités de soin très différentes et bien plus rependues. C'est là que ma renaissance a commencé..
Ca me fait toujours bizarre de me dire que la qualité des soins est aussi disparate sur le territoire français.
Adieu, ville trop pauvre pour avoir un hôpital psychiatrique efficace et non un mouroir ! A partir de mon déménagement dans une ville mieux dotée, j'ai enfin commencé à recevoir de vrais soins adaptés à ma personne et pu être traité avec respect et déontologie.J'y ai davantage progressé en 2 ans que durant ces maudits 20 ans de cache-misère.
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