Chapitre 3 * (- 2)

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Amerius gisait sur le sol, séparé de son haut-de-forme qui avait roulé à quelques pas de là.

– Amerius ! Vous m'entendez ?

Rosalie le secoua. Elle retira sa main devenue humide. Son patron avait une plaie à l'arrière de la tête. Il gémit, avant de sursauter et de rouvrir les yeux. Il remua, cherchant à se relever.

– Fuyez ! Elle est...

Le parquet grinça. Une silhouette se tenait dans l'encadrement du bureau de Rosalie. Une cape noire munie de manches lui couvrait le visage. Seul le menton était visible, recouvert d'une sorte de masque en bois blond.

Rosalie demeura figée, les membres tétanisés de peur.

L’espace d’un instant, sa vue se brouilla et elle vit la forêt.

Le plancher craqua soudain, la ramenant au présent, à son cœur qui battait la chamade.

Cette femme avait mis Amerius à terre. Qui sait ce qu'elle ferait à Rosalie maintenant que cette dernière l'avait vu ?

L'inconnue s'avança d'un pas incertain vers elle.

Rosalie bondit vers une étagère. La femme fonça sur elle, mais elle s'était déjà saisie d'une plaque de récompense en étain. Son adversaire leva les bras pour se protéger au moment où Rosalie la frappait à l'épaule. Un étrange craquement résonna et la femme tituba vers l'arrière. Rosalie lâcha la plaque, devenue trop lourde.

Amerius s'était entre-temps relevé, appuyé sur sa canne. Rosalie se saisit de son bras pour le soutenir.

La femme ne les regardait plus, accroupie au sol devant la plaque en étain.

Rosalie se rendit compte qu'elle s'était ouverte sur un côté, dévoilant un paquet de feuilles froissées. L'inconnue s'en empara, avant de vérifier son contenu.

– Lâche ça !

Amerius se déroba. Il tira sur le pommeau de sa canne, dévoilant une lame. Il la tenait pour cible, mais sa blessure reçue à la tête l'empêchait de marcher droit. Il porta un coup, mais ne parvint qu'à ficher sa lame dans une bibliothèque.

L'inconnue fonça aussitôt vers la sortie.

– Non !

Dans un râle, Amerius s'effondra au sol. Rosalie comprit que les papiers étaient importants. Elle courut sans réfléchir vers l'inconnue et la poussa contre le mur avant de saisir les feuilles.

Face à elle, l'inconnue sembla tétanisée, ses mains gantées crispées autour des feuillets. Rosalie leva le genou pour la frapper au ventre, décidant la femme à réagir. Elle lui donna un coup de tête dans le nez. Rosalie chuta en arrière, et se réceptionna lourdement sur l'épaule tandis qu’un cri s'échappait de ses lèvres.

L'inconnue s'avança d'un pas. Rosalie se traîna pour se reculer, la main sur son nez humide et chargé d’une odeur métallique. Cette femme allait la frapper et la tuer, elle en était certaine. Elle était stupide d’avoir voulu se battre sans réfléchir, alors qu’il y avait une lanterne rouge au rez-de-chaussée !

La cambrioleuse leva un bras, mais à ce moment-là Léni sauta sur son visage depuis la bibliothèque.

Rosalie ne s'était pas rendu compte que l'automate était descendu de son épaule.

Sa joie fut de courte durée. La femme arracha l'automate de sa figure avant de le jeter à l'autre bout de la pièce. Rosalie hurla, impuissante en voyant la tête de Léni se tordre dans un angle impossible.

Elle tenta de se relever, mais échoua. Elle était impuissante face une cambrioleuse qui n'avait même pas d'arme.

Sonnée et à terre, sa vue trouble lui jouait des tours, elle avait l'impression qu'une fumée se détachait du corps de la femme, qui la suivit quand elle s'enfuit dans le couloir.

Rosalie n'attendit pas que l'effet se soit dissipé pour se traîner jusqu'à Amerius. Inconscient sur le sol, elle ne parvint pas à le réveiller.

Un cambriolage, par une seule personne, et Rosalie n'avait rien pu faire ! Elle s'était fait mettre à terre sans effort. Elle n'était pas une combattante, mais son intervention n'avait peut-être fait qu'empirer les choses. Elle avait la sensation de ne pas avoir réfléchi.

De rage, elle serra les poings, ce qui eut pour effet de déclencher un bruit de papier froissé. Rosalie n'avait pas fait attention, mais elle avait arraché une des feuilles à la femme.

Elle fourra le feuillet dans la poche de sa jupe, avant de se précipiter vers le bureau. Dans un tiroir, elle trouva des pages rouges, faites pour les urgences. Elle griffonna l'adresse de La Bulle et mentionna rapidement la situation. Le feuillet fut plié en forme d’oiseau et lancé par la fenêtre. Les équations l'envoyèrent directement au poste de secours le plus proche. Une invention dont tous les foyers avaient gratuitement été dotés.

En s'éloignant, le regard de Rosalie croisa le corps inanimé de Léni. Elle était meurtrie par l'état de l'automate, mais il pouvait être réparé, ce qui n'était peut-être pas le cas d'Amerius.

Par chance, il commençait à se réveiller. Il gémit et se retourna sur le dos. Il tenta de se relever et d'atteindre son épée, mais Rosalie l'en empêcha en se saisissant de son bras.

– Elle s'est enfuie, j'ai alerté les autorités.

– Bon sang, jura-t-il.

Il se retourna vivement vers la sortie de la pièce, ravivant la douleur dans l'épaule de Rosalie, qui lâcha son patron.

Ce dernier restait aussi neutre et stoïque qu'à l'ordinaire, mais Rosalie vit la douleur ainsi qu'une certaine honte, naître dans son regard couleur de feuilles mortes.

Une partie d’elle se sentait responsable. Elle aurait voulu s’excuser, mais ignorait de quoi. Elle n’avait pas pensé à mal.

Deux gens d'armes finirent par arriver, accompagnés d'un secouriste.

Rosalie s'en tira avec des antidouleurs, mais Amerius hérita d'un imposant pansement sur le crâne – que son haut-de-forme camouflerait.

Un gens d'armes récupéra son témoignage. Amerius en fit autant de son côté, bien que Rosalie ne l'entendit qu'à peine. Toute son attention était rivée sur Léni. Elle le tenait au creux de ses mains, évaluant les réparations à effectuer. Le pauvre automate n'avait pas eu de chance. Elle n'aurait pas pensé qu'il puisse vouloir l'aider. Il avait davantage appris que sa créatrice ne l'avait soupçonné, au point de s'attacher à elle. Et voilà tout ce qu’il recevait en retour.

– Rentrez chez vous. Prenez quelques jours de congés, je vous les offre.

Rosalie releva la tête vers son patron. Son chapeau était de retour sur sa tête et sa canne redevenue un simple accessoire.

– Je suis navré de cet incident.

– Vous n'y êtes pour rien.

Amerius ne répondit pas. Son regard glissa furtivement vers la plaque en étain creuse.

Rosalie était encore trop choquée et fatiguée pour se poser des questions. Un gens d'armes la raccompagna jusqu'à son appartement où elle s'enferma à double tour.

Une douche fraîche et un repas frugal la ravivèrent, mais elle se laissa rapidement tomber dans le lit, Léni posé sur la table de nuit.

Rosalie se massa les tempes, épuisée. Pourtant, le sommeil mit du temps à la trouver.

Un détail n'arrêtait pas de tourner en boucle dans sa tête. Elle aurait voulu l'ignorer ou ne pas s'en être rendu compte, mais elle l'avait fait.

Quand l’inconnue l'avait frappé avec sa tête, Rosalie avait senti très nettement son parfum. Elle l'avait déjà rencontré, des années plus tôt, au cœur de la forêt.

Le visage lisse et figé, une main qui se refermait sur son bras.

« Rosalie BasRose. Tu dois venir avec moi. »

À ce moment-là, une odeur s’était dégagée de la silhouette, celle d’une femme. Une senteur évoquant le bois brûlé qui avait fait craindre le pire à Rosalie, mais l’avait surtout écœuré.

Ses mains tremblaient, un sanglot remonta dans sa gorge. Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce la même personne ? Avait-elle…

Poursuivait-elle toujours Rosalie ?

Impossible, se dit-elle. Pas comme ça, pas après toutes ces années. Ce n’était qu’un cambriolage, durant lequel Rosalie n’aurait même pas dû être présente !

Elle inspira pour se calmer. D’un coup d’œil, elle vérifia que les volets étaient bien fermés, ainsi que ceux du séjour, visible derrière le rideau ouvert le séparant de la chambre.

Personne ne pouvait entrer. Personne n’avait besoin d’entrer.

Cette odeur n’était qu’une coïncidence.

Il n’y avait pas d’autre explication.

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