Chapitre 4 * (- 1)

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Ancien chapitre 13, avec un morceau du 10

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Appartement de Rosalie BasRose, 13h13, 14 nafodard de l’an 1900


Rosalie avait consacré ses trois jours de repos à s'occuper de Léni. Sa destruction avait réveillé en elle une sorte d’instinct maternel. Même s’il ne ressentait pas de douleur physique, ce pouvait être le cas de celle venue de son moral, et elle voulait qu’il puisse lui dire s’il souffrait. Ensemble, ils avaient étoffé leur langue des signes, à l’aide d’images.

C’était peut-être ridicule, et si Astrance l’avait su, elle aurait bien ri de son malheur.

Rosalie s’en foutait pas mal.

Comme s’il avait senti qu’elle pensait à sa famille, Léni agita les bras, ce qui la fit soupirer.

– Non, je n'ai pas écrit à ma mère.

Léni lâcha les images en l'air avant de sauter furieusement sur place. De ce que Rosalie comprenait, il était scandalisé qu'elle n'ait pas parlé du cambriolage et de ses blessures à sa famille. Mais elle n'en voyait pas l'intérêt, si ce n'était inquiéter ses parents, alors qu'elle allait bien. Ce n'était pas comme si Jasmine et Pyrius pouvaient se déplacer pour la soutenir. Des mots sur du papier ne remplaceraient jamais leur présence, celle-là même qui la consolait des esprits sous son lit ou des cauchemars d'enfant.

D’autant qu’elle était toujours en colère.

De plus en plus, Rosalie apprenait à vivre sans eux. Bien sûr, au départ ils s'étaient promis de garder des liens forts, de s'écrire, que les choses seraient comme avant. Les illusions s'étaient rapidement dissipées. Avant leur dispute, la situation du conflit entre les magiteriens et la reine Galicie VII au sujet de la lune, avait rendu difficile leur communication.

De petits coups frappés à la porte lui firent relever la tête. Aussitôt, Léni signa deux fois, une aiguille à coudre et un point d'interrogation. Il demandait si Mona était celle qui venait de toquer.

– Oui, je pense que c'est elle.

Rosalie avait à peine ouvert que son amie fit irruption dans l'appartement, une boîte en verre en main. Rosalie la savait remplie à ras bord d'un plat fait maison au goût réconfortant.

Comme si elle l'avait senti, Mona lui avait rendu visite le lendemain de son agression. Depuis, elle passait tous les jours, apportant de quoi manger à chacune de ses pauses-déjeuner.

Rosalie appréciait l'attention, mais à écouter son amie sa vie était en danger.

– Ça n'aurait pas dû arriver.

Mona avait plusieurs fois répété cette phrase, mais un cambriolage pouvait survenir n'importe où.

Rosalie n’avait su comment réagir. Voir Mona ainsi chamboulée et déboussolée la perturbait, les émotions qu'elle affichait d’ordinaire étaient souvent exagérées pour faire office d'artifice.

– Je t'ai fait du bœuf sauté aux champignons.

Les deux amies s’attablèrent pendant que Léni, monté sur la table, s'amusait à empiler des morceaux de sucre pour former un château.

Rosalie mangea son repas sans rien dire. Depuis l'attaque, elle avait du mal à formuler ses pensées.

– Tu es prête à en parler ?

Elle releva la tête vers Mona.

– Tu te donnes l'air d'un roc, mais tu es aussi humaine que les autres, ma chère. Tu es secouée et à la manière dont tu maltraites cette pauvre viande, tu dois commencer à t'en rendre compte.

Rosalie observa sa nourriture. Le bœuf avait davantage été émietté que coupé, et les champignons à peine entamés.

Même après plus d'une année, Rosalie était toujours étonnée des réflexions de Mona. Sous sa couche épaisse de fard blanc et ses lèvres aussi dessinées que celles d'une poupée, son amie savait observer et comprendre le genre humain. Elle avait patiemment attendu que Rosalie manifeste des signes attestant d'un besoin de parler. Des choses qu’elle-même n'avait pas vues.

Mona avait sans doute raison. Elle était moins solide qu'elle ne l'aurait pensé – et voulu.

Rosalie se remémora l'agression. La silhouette sortant de l'ombre, se jetant sur elle pour finalement la laisser au sol.

Cette peur primaire et animale de la mort.

Rosalie ne parla pas de la forêt. Elle ne parlait jamais de la forêt.

– C'est surtout son masque qui m'a fait bizarre. Enfin, je crois que c'en était un. Le bois, c'est étrange comme choix. Elle semblait avoir du mal à respirer.

Mona haussa les épaules avant d'agiter la main.

– Je ne pense pas que ce soit important, ma chère. Cette voleuse avait simplement à cœur de se démarquer des autres.

– Je ne crois pas qu'un voleur se soucie de ce genre de chose.

– Qui sait ? Derrière leurs mauvaises actions, il y a des gens.

Sur cette phrase bien trop obscure pour Rosalie, Mona rapprocha sa chaise de la sienne.

– Fais-moi voir ta blessure.

Avec une moue irritée, Rosalie consentit à dénuder son épaule. Deux jours après sa chute, un imposant hématome recouvrait encore la peau. Sans lui demander, Mona s’empara d’un baume qu’elle avait elle-même amené et en déposa sur la blessure.

Elle avait insisté pour soigner Rosalie, qui l’avait laissé faire pour ne pas la vexer. Alors que son esprit dérivait, bercé par l’odeur épicée de la crème, la robe de Mona attira son regard. Un bouton du décolleté avec sauté, faisant bâiller la manche au niveau de l’épaule.

Rosalie remarqua quelque chose jusque-là passé inaperçu. Une marque, rouge et irrégulière.

– C'est... une tache de vin ?

Elle était étonnée que son amie ne lui en ait jamais parlé. Ces marques de naissances étaient rares et Mona connaissait forcément ce point commun avec Rosalie, cette dernière en ayant une au beau milieu de la figure.

Le regard de Mona sembla distant.

– Je tiens ça de ma mère. J'imagine que c'est pour cela que je t'ai voulu près de moi. C'est un signe qui ne trompe pas.

– Mais pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

Elle rougit aussitôt de ses paroles. Ça n'avait pas d'importance, ce que Mona choisissait ou non de dire. Ce n'était pas une obligation.

La réponse ne fut qu'un haussement d'épaules.

Mona s’écarta soudain avec un sourire satisfait, comme si elle venait d’ajouter la touche finale à un tableau.

– Tu n’auras plus à t’en faire, approuva-t-elle. Encore un peu de baume, et plus de cicatrices !

– Ce n'est pas grave, s'il y en a.

– Certes, mais nous en avons suffisamment à l’intérieur, tu ne crois pas ?

À nouveau, une réponse très ancrée dans la réalité qui stupéfia Rosalie. Mona rangea le baume et se leva.

– Je dois retourner travailler. Tu retournes à La Bulle, demain ?

Rosalie hocha la tête.

– Bien. Alors je viendrais pour ton jour de repos. Ne te préoccupe plus de ce cambriolage sans importance.

Elle adressa un clin d'œil à Rosalie puis quitta l'appartement.

Cette conversation lui avait au moins permis d'alléger un peu sa conscience. Poussée par une énergie nouvelle, Rosalie se fit un devoir de ranger et astiquer son appartement.

Elle s'empara d'une robe qui traînait sur une chaise, quand un bruit de papier froissé la retint.

Rosalie plongea la main dans la poche de la jupe, extirpant une feuille noircie d'encre. Elle la reconnut aussitôt : c'était l'un des feuillets que la cambrioleuse avait tenté de récupérer. Rosalie avait complètement oublié qu'elle la lui avait arrachée des mains.

Elle laissa tomber sa robe dans le panier à linge sale sans regarder, les yeux déjà rivés sur la feuille. Elle se dirigea vers son canapé tout en déchiffrant le document.

Une équation magique se déployait sous ses yeux. L'écriture serrée penchait légèrement et les lignes n'étaient pas toujours droites.

L'auteur ou l'autrice de la formule n'avait pas utilisé sa signature, mais Rosalie ne comprenait pas ce qu'elle lisait.

La teneur de l'équation et de son utilisation lui échappait. Il avait trop de termes et sous-termes qu'elle ne connaissait pas. À quelles actions certains groupes de signes se referaient-ils ? Et qu'est-ce qui les déclenchait ? De toute évidence, Rosalie ne possédait qu'une partie de la formule, mais elle aurait normalement dû pouvoir l'interpréter en partie.

Elle avait du mal à croire que ce texte soit réel et réalisable.

Une équation de quelques paragraphes était déjà considérée comme complexe, mais sur plusieurs pages ? Rosalie n'était même pas certaine que cela ait déjà dépassé le domaine de la théorie.

Il lui semblait que cette équation faisait mention d'un matériau. Quelque chose à changer, à transformer peut-être, mais quoi et sous quelle forme ?

Ces documents appartenaient-ils à Amerius ? Rosalie le soupçonnait, car ils étaient cachés dans son bureau, mais ce n'était pas son écriture.

Elle ignorait dans quelle affaire il trempait, mais cela était assez important pour justifier un cambriolage. Elle eut tout à coup peur pour sa vie. La voleuse savait qu'elle fréquentait La Bulle, et si Amerius et Rosalie devenaient des témoins gênants il serait facile de se débarrasser d'eux.

Seulement voilà, il y avait cette odeur de bois brûlé.

Rosalie pouvait-elle penser qu’il ne s’agissait plus d’une coïncidence ? Cela ne ferait-il pas d’elle une folle ? Il ne semblait pourtant y avoir aucun lien entre ce cambriolage et son passé.

Elle se dit que c’était à l’image d’une équation : séparez là en deux, effacez en une partie, et ce qui les rattachait disparait.

Peut-être lui manquait-il simplement un morceau de la formule. Par deux fois, Rosalie avait croisé quelqu'un qui avait dégagé ce parfum. Et elle n’avait jamais cru pas à d'aussi grosses coïncidences.

Mais un détail la gênait. La cambrioleuse avait refusé de lui faire du mal, prenant le risque de la laisser en vie, là où Amerius n'avait pas reçu de traitement de faveur.

Ce n’était pas comme la main froide et dure sur son poignet.

« Rosalie BasRose. Tu dois venir avec moi. »

Un claquement creux, une odeur âcre de brûlé.

Ce qui l’avait poursuivie venait peut-être de la rattraper.

Elle devait rendre la feuille à Amerius. Maintenant, si possible. Elle était déjà suffisamment bouleversée à l'idée d'avoir gardé cette chose dangereuse aussi longtemps.

Il devait avoir des réponses, qui peut-être la rassureraient, lui feraient comprendre qu’elle se trompait.

Elle se leva en trombe du canapé et attrapa sa sacoche, tandis que Léni prenait sa place dans les plis de son écharpe. Elle allait fourrer le document dans une poche quand son regard accrocha une fine note à l'arrière de la feuille. Rosalie dut la relire deux fois pour en être certaine.

« Transformation du matériau lunaire en magie, partie 2/3. »

Le matériau lunaire. La Lune.

Rosalie réinspecta la formule. Certains passages devenaient plus clairs. La roche lunaire devait être... dissoute ? Non, ce n'était pas ça.

La Lune.

Voler une telle équation peu de temps avant les enchères, ça n'avait rien d'une coïncidence.

Rosalie se dépêcha de quitter son appartement. Écharpe remontée sur le nez, elle se pressa pour atteindre la foule sécuritaire du train.

Sur le quai, elle remarqua un homme.

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